par Didier Borowski, stratégiste chez Amundi Asset Management
Le Président Obama a présenté son budget 2011 au mois de février, présentant de nouvelles mesures de stimulation. A politique budgétaire inchangée, les projections du Government accountability Office (GAO) montrent que la dynamique de la dette publique américaine est insoutenable à long terme. Les autorités américaines sont sur la corde raide. D’une part, elles ne peuvent durcir la politique budgétaire trop tôt de peur de précipiter une nouvelle récession.
D’autre part, elles doivent au plus vite rassurer les marchés, en se pré-engageant sur une discipline budgétaire future leur permettant d’endiguer la dérive des finances publiques. L’enjeu est de taille : les agences de notation brandissent désormais régulièrement la menace de dégrader la note de la dette souveraine américaine si rien n’est fait. Et les travaux empiriques suggèrent qu’une prime de risque conséquente pourrait se manifester sur les taux d’intérêt.
La politique budgétaire reste expansionniste
Le Président Obama a présenté son projet de budget pour 2011 au début du mois de février. Ce projet comprend pour 2011 des mesures temporaires de relance pour $166 Mds et prolonge, notamment pour les familles gagnant moins de 250 000$ par an, les baisses d’impôts octroyées en 2001-03. Le plan sera sans doute amendé par le Congrès d’ici au mois de septembre. Mais l’orientation globalement expansionniste ne sera pas remise en cause. L’objectif est de pérenniser la reprise en cours, l’économie étant encore beaucoup trop fragile pour supporter un durcissement de la politique budgétaire. Dans ces conditions, après avoir atteint son plus haut niveau depuis la seconde guerre mondiale en 2010 (-10,3% du PIB), le déficit fédéral tomberait à 8,9% en 2011 puis 5,8% en 2012 selon le CBO. La dette fédérale augmenterait continûment au cours des 10 prochaines années et atteindrait 90% du PIB en 2020.
Il est urgent de préciser les modalités de l’assainissement budgétaire à venir…
Les projections du GAO sont encore plus alarmantes : le record atteint en 1946 (109% du PIB) pourrait être atteint dès 2020, si les baisses d’impôts étaient prolongées à cet horizon. Les coûts de la santé et le vieillissement de la population sont les principales causes de la dérive de la dette fédérale. Notons à titre de comparaison que la grande majorité des projections de dette publique réalisées aux Etats-Unis dépassent celles réalisées pour la zone euro à l’horizon 2020-30.
Pour l’heure, l’administration Obama cherche à gagner du temps, notamment en créant une « Commission fiscale » dont la mission sera de proposer des moyens pour stabiliser le déficit primaire (i.e. hors charges d’intérêt) d’ici à 2015, et plus généralement, de garantir – par ses propositions – la soutenabilité des finances publiques à long terme. Par ailleurs, le Congrès a d’ores et déjà adopté le retour de la règle du « Pay As You Go » (PAYGO) qui impose que les augmentations de dépenses ou baisses d’impôts soient à l’avenir financées par des recettes courantes et non plus par emprunt. Mais d’une part, la façon dont la Commission opérera reste flou ; et d’autre part, la règle du PAYGO ne permet pas de diminuer la dette déjà accumulée. En creux, une hausse de la fiscalité et des coupes claires dans les programmes de dépenses s’imposent. L’ajustement budgétaire promet d’être particulièrement douloureux.
…sous peine de voir les taux d’intérêt grimper
Politiquement, il est très difficile de voir comment les autorités vont pouvoir imposer un tel régime à la population. Mais à défaut, la contrainte de marché promet de jouer à plein. Les travaux empiriques ne permettent certes pas de mettre en évidence un lien étroit entre les taux des emprunts et la dynamique de la dette publique aux Etats-Unis. Mais une synthèse des travaux réalisés sur l’ensemble des pays développés montre qu’une augmentation durable de 1pp de dette publique conduit à une hausse de taux d’intérêt longs comprise entre 1 et 6pb.
En supposant que la dette publique américaine excède durablement le seuil de 100% du PIB au-delà de 2020 (contre environ 40% avant la crise), ceci signifierait qu’une prime de risque de l’ordre de 60 à 350pb est susceptible de surgir dans les années qui viennent. Un tel ajustement, en alourdissant les charges d’intérêt, renforcerait encore le caractère insoutenable de la dette publique et imposerait en définitive un ajustement budgétaire encore plus douloureux. Pour autant un krach obligataire aux Etats-Unis nous semble très improbable à court terme : la politique monétaire promet de rester accommodante en 2010-11, l’économie est encore trop fragile pour supporter une hausse brutale des taux longs, et enfin l’excès d’épargne dans les pays émergents continuera de contenir les taux longs.
Ceci dit les marchés sont actuellement nerveux : les taux à 30 ans viennent de retrouver leur plus haut niveau depuis octobre 2007 (+80 pb au cours des 6 derniers mois). Il faut garder à l’esprit qu’à mesure que la reprise économique s’enracinera, les marchés réclameront « leur dû ». Il n’a jamais été aussi urgent pour les autorités américaines de clarifier leur stratégie budgétaire de long terme.