par Stéphane Déo, Stratégiste chez LBPAM
L’investissement socialement responsable est principalement justifié en termes de morale, donc en termes de finalité : dé-carboniser pour sauver la planète, parité dans les entreprises pour promouvoir l’égalité des chances, etc… Ces arguments sont, bien évidemment non seulement valides mais aussi et surtout souhaitables. Ils concentrent néanmoins le débat sur l’objectif final et passent sous silence la méthodologie dans une approche très « Conséquentialiste». Il nous semble qu’il existe une autre justification, complémentaire, à l’investissement socialement responsable : il permet de mieux comprendre le monde.
La crise actuelle apporte une preuve irréfutable de la nécessité d’une approche extra- financière. La première idée, évidente, est que la situation actuelle n’est en rien le résultat de problèmes financiers ou économiques. Contrairement à la crise précédente de 2008-2014, la cause est purement extra-financière, en l’occurrence une pandémie. Il devient donc évident que nous sommes obligés d’élargir notre approche et de prendre en compte des facteurs non-financiers dans nos analyses.
Soyons plus précis, la méthode d’analyse exclusivement financière ou économique est toujours celle qui prévaut trop souvent. Elle devient insuffisante et doit être complétée. On trouve par exemple que les pays qui ont le meilleur système de santé sont ceux qui résistent le mieux en termes d’activité économique pendant la crise que nous vivons. Si cet exemple peut paraitre intuitivement évident, il a des implications importantes. La qualité du système de soins et l’accès pour tous devraient figurer dans une approche socialement responsable pour un investisseur souverain. Là aussi les raisons morales sont évidentes.
Mais il y a plus, cette variable renseigne aussi sur la résilience économique d’un pays et sa capacité à faire face à la crise, donc sur la dynamique des variables financières et économiques. En conséquence un pays avec un système de santé de qualité est aussi un pays moins risqué pour l’investisseur puisqu’il sera moins affecté par une crise sanitaire mondiale telle que celle que nous vivons. Ne pas se préoccuper de cette dimension c’est donc passer à côté d’une partie de l’information pertinente et donc de l’histoire économique. En revanche prendre en compte cette variable c’est mieux comprendre le monde et son évolution.
L’approche extra-financière permet de mieux comprendre notre monde : elle rend plus intelligent ! On déplace alors, ou plutôt on complète, la justification de l’investissement responsable puisque l’argument devient aussi un argument de méthode. Cela a des implications profondes sur la façon dont les marchés fonctionnent. Il s’agit d’abord, comme nous l’avons montré, d’élargir l’analyse à des sujets dont l’importance est sous-estimée. Mais il s’agit aussi, et surtout, d’embarquer plus d’investisseurs et donc d’augmenter l’impact. Si la justification est purement morale, seuls certains investisseurs mettront en place des stratégies socialement responsables, l’impact sera alors limité. Au contraire, si la justification
devient d’améliorer la méthode d’investissement, alors tous les investisseurs devraient suivre : les pays avec un système de santé faible sont plus risqués et donc cela devrait conduire à la prudence de tous les investisseurs. Dans ce cas la prise en compte de l’investissement socialement responsable ne fait pas que rendre plus intelligent, il devient aussi beaucoup plus efficace.