par Grégoire Picard, Consultant chez Eurogroup Consulting
Selon l’institut Gallup, en 2018 dans le monde, 85% des salariés se déclarent désengagés au travail et seuls 6% des collaborateurs français s’estiment quant à eux engagés… mais satisfaits de leur même travail à hauteur de 70%, selon Korn Ferry Hay Group en 2015. Un tel niveau de désengagement constitue un enjeu majeur pour les dirigeants d’entreprises. Les raisons de ce désengagement sont nombreuses et connues : aspirations en décalage avec les activités de l’entreprise, équilibre vie professionnelle / vie personnelle mis à mal par l’hyper-connexion, contenu du travail vidé de sa substance par l’excès de processus, dilution de la responsabilité dans des fonctionnements matriciels surdéveloppés, lien de subordination toujours aussi fort qui bride l’autonomie, …
Eurogroup Consulting est parti à la rencontre d’entreprises européennes qui ont fait de l’engagement de leurs salariés un levier fondamental de management et d’organisation : Transavia, Buurtzorg, Talkwalker, Autonom, House of Entrepreneurship. Chacun de leurs témoignages a été passé au crible de l’analyse de nos experts, pour porter un regard opérationnel, académique et même philosophique sur la notion d’engagement, et fait ressortir un certain nombre de bonnes pratiques qui remettent l’engagement au cœur des préoccupations des entreprises.
L’engagement, qu’est-ce-que c’est ?
Au-delà de la définition classique de l’engagement en entreprise, qui voit les collaborateurs adopter une attitude positive à l’égard de leur entreprise et de ses valeurs et faire preuve de motivation et d’implication envers leurs activités, le modèle de notre partenaire Wellbeing Society nous a semblé le plus pertinent pour comprendre les leviers de l’engagement. Il embrasse 7 leviers à la fois rationnels que sont l’environnement de travail et la rémunération, et émotionnels autour de la reconnaissance, du sens , des relations en entreprise et du style de management et à la frontière des deux familles, caractérisée par l’autonomie et la capacité d’influence du salarié, le talent et l’apprentissage en continu.
Cinq organisations engageantes à travers l’Europe
Chaque entreprise étudiée nous montre que l’engagement de ses salariés peut être activé par des organisations bien différentes. Le modèle de Buurtzorg, entreprise néerlandaise de soins à domicile, s’attache à responsabiliser ses collaborateurs, à leur faire confiance quant à leur contribution aux résultats de de l’entreprise. Ses équipes sont constituées en petites cellules autonomes, avec des prises de décisions collectives et « décentralisées », ayant pour objectif de satisfaire au mieux des patients considérés comme des clients et appuyées par un management intermédiaire très restreint, au rôle de coach.
Autonom, entreprise de transport de personnes située en Roumanie, s’engage à responsabiliser les managers qui sont légitimement affectés à 30% au développement des collaborateurs et ce, en l’absence de toute DRH, avec des prises de décision également extrêmement décentralisées. Le sens est également trouvé dans l’incarnation concrète de la mission et des valeurs par les dirigeants, et par leur mise en application concrète dans toutes les décisions prises, à tous les niveaux de l’entreprise.
Transavia, filiale low cost d’Air France, n’hésite pas à aligner ses images interne et externe, en s’appuyant sur une organisation « simple et efficace », une culture « conviviale, responsabilisante et digitale » et à l’instar des autres entreprises étudiées, une structure managériale courte et un management responsabilisé. La compagnie mise sur des modes de management à l’image de son slogan : « Make low cost feel good, make our staff feel good”. Portée par le digital au travers d’un réseau social et une dématérialisation avancée des processus et des opérations, elle promeut la qualité de vie au travailet l’engagement solidaire.
Start-up luxembourgeoise à l’exceptionnelle croissance, Talkwalker mise sur le management pour favoriser l’engagement de ses collaborateurs au travers de l’identification et la rétention des collaborateurs et des talents clés, l’instillation d’une culture du feed-back, des décisions stratégiques progressivement décentralisées, une communication transparente sur le changement de culture accompagnant la croissance.
Enfin, House of Entrepreneurship, structure publique luxembourgeoise au cadre de travail contraint par son statut, combine trois pratiques managériales pour faire de l’engagement de ses collaborateurs une réalité. Le renouvellement de la marque s’associe à des intitulés de postes aux consonnances plus dynamiques. Les modes de travail sont modernisés et profitent d’espaces de travail plus ouverts et du télétravail. L’agilité, la flexibilité et le lean start-up dans la conduite des projets sont amplifiés par des pratiques managériales participatives.
Des méthodes de motivation diversifiées et adaptées à la culture des entreprises
Ces modèles engageants sont accompagnés de méthodes diversifiées de motivation. Buurtzoorg a développé une méthodologie maison de communication non violente afin de favoriser la décision collective et l’autonomie des équipes.
Autonom bénéficie d’une motivation démultipliée des salariés via la redistribution des profits au niveau des agences ou encore le développement d’actions caritatives, et surtout un alignement total entre les décisions prises et les valeurs de l’entreprise.
Au sein de Transavia, de nombreux moments conviviaux sont portés par une quarantaine d’ambassadeurs internes, l’expérience innovatrice des collaborateurs est accélérée par un Lab d’intrapreneurs qui organise par exemple des concours d’innovation.
Des avantages financiers et des incitations financières, distribués en fonction des niveaux de performance atteints, sont privilégiés par Talkwalker, qui n’oublie pas de miser sur la convivialité malgré une croissance forte des effectifs.
Un gros effort sur le budget formation et l’ouverture à des certifications individuelles reconnues viennent compenser les marges de manœuvre réduites en matière de rémunération de la performance individuelle chez House of Entrepreneurship.
Quels enseignements retenir de notre étude ?
Tout d’abord, l’engagement en entreprise ne veut pas dire bonheur. Recruter un « chief happiness officer » et chercher à rendre ses collaborateurs « heureux » pourrait être le meilleur moyen de leur imposer un nouvel impératif au bonheur, à l’effet finalement inverse. Alors délaissons cette quête subjective et personnelle du bonheur et cherchons plutôt par exemple à offrir la meilleure expérience collaborateur possible.
L’engagement n’est ni transactionnel, ni linéaire, ni prévisible, et par nature difficilement mesurable. Il ne se résume pas à une équation « ce que je fais pour ce que je reçois ». Il est subjectif, volatil, cyclique, et par nature difficilement mesurable. Cherchons donc à créer les conditions propices à l’engagement à long terme plutôt que courir après un « retour sur engagement » à court terme. La responsabilisation, facteur de mobilisation notamment des managers mais aussi des équipes, est le dénominateur commun des toutes les entreprises engageantes étudiées. Elle doit s’accompagner d’une véritable autonomie dans la prise de décision, avec un cadrage clairement défini des marges de manœuvre et du droit à l’erreur.
Enfin, à l’heure de « l’entreprise à mission », l’alignement des pratiques de l’entreprise sur ses valeurs et le sens donné à ses activités, ainsi que son utilité sociale et environnementale, seront d’autant plus au cœur de l’engagement des collaborateurs.
Mot de la fin
Reste une limite à ses bonnes pratiques, avec une conséquence indéniable sur la rétention de certains talents : toute entreprise très engageante peut exiger en retour un fort engagement des collaborateurs… Et si une telle exigence devenait facteur d’exclusion de ceux qui ne vivraient pas en totale adéquation avec les valeurs de l’entreprise ? « Engaged or out” is the new “up or out” ?