par Nicolas Bickel, Group Head of Investment Private Banking chez Edmond de Rothschild
Fin mars les investisseurs semblaient soulagés d’avoir enfin pu tourner la page d’un premier trimestre 2025 très perturbé sur les marchés financiers. Le soulagement fut de courte durée, car l’annonce des droits de douane le 2 avril par Donald Trump a fait l’effet d’une douche froide. La sentence est tombée, sévère : 175 pays se sont trouvés
frappés de taxes douanières réciproques allant de 10% à plus de 50% (voir 125% pour la chine à ce jour), ces taux dépendants principalement du niveau du déficit commercial de chaque pays avec les États-Unis. Avec quelques incohérences, comme la taxation d’îles inhabitées ! Après des mois de discours ambigus, Donald Trump a finalement
révélé ses intentions au monde entier. Cependant, loin de lever l’incertitude qui pesait sur les marchés financiers, cette annonce n’a fait qu’accentuer les préoccupations existantes et de nombreux soutiens ont plaidé pour une approche moins dogmatique du locataire de la Maison-Blanche.
Depuis le 2 avril, quantité de théories fleurissent pour essayer de comprendre les raisons fondamentales d’une telle annonce. Les plus optimistes penchent pour un « coup de poker » ayant pour objectif de pousser les partenaires commerciaux des États-Unis, l’Europe notamment, vers une suppression totale des taxes douanières et la mise en place de vastes accords de libre échange (un souhait exprimé le week-end dernier par Elon Musk lors d’un événement organisé par Mateo Salvini, vice-premier ministre italien).
D’autres observateurs espèrent le lancement de négociations majeures pouvant permettre un retour proche des niveaux de taxes douanières d’avant le « Liberation day ». Certaines théories soutiennent l’objectif d’un refinancement à moindre coût des 7’300 milliards de dollars de dettes arrivant à échéance cette année, provoquant une
forte baisse de l’inflation, suivie d’une baisse du dollar et des taux directeurs. Ce dernier point semble visiblement un échec avec la remontée brutale des taux d’intérêts, après être redescendus au-dessous de 4%.
Enfin, les plus pessimistes décrivent un changement radical de doctrine économique, cherchant à contraindre les partenaires commerciaux à céder face à des tarifs douaniers prohibitifs. Cette approche se base sur la croyance quasi religieuse de Trump dans les droits de douane, car il considère que tout déficit commercial avec les États-
Unis résulte non pas de la division internationale du travail, mais d’une « arnaque » de la part des partenaires, selon ses propres mots. Cette approche inciterait les partenaires commerciaux à accepter une appréciation de leur devise par rapport au dollar ainsi qu’à échanger leur dette américaine à taux fixe contre des obligations
perpétuelles sans coupon. Ceci, en échange de la protection militaire des États-Unis et d’accords commerciaux favorables, démontrant la première étape du « plan de Mar-a- Lago ». Ce réalignement monétaire massif serait comparable à ceux connus sous les présidences de Reagan ou Nixon, avec à la clé une dépréciation ordonnée du dollar.
Bien que ce plan puisse faire du sens pour réduire le déficit commercial et renforcer la compétitivité des États-Unis au niveau mondial, sa réussite dépend de la conjonction favorable de trop nombreux facteurs pour garantir son succès. À ce stade, il relève moins d’un plan stratégique solide que d’un pari très hasardeux, d’autant plus que depuis 20 ans, la part des détenteurs étrangers d’obligations du Trésor américain est en baisse constante. Les trois quarts des détenteurs sont américains, le dernier quart comprenant la Chine et le Japon comme détenteurs majeurs. Or, ni l’un ni l’autre n’est dépendant de la protection militaire américaine et ils n’ont pas démontré à ce jour de volonté de faire apprécier leur devise face au dollar. Cela limite tant l’impact que la probabilité d’une mise en application prochaine de cette vision du nouveau président américain.
Certes, la compétitivité des entreprises américaines serait renforcée par une dette à moindre coût et un dollar faible. Mais la voie brutale qu’a choisi d’emprunter l’administration Trump risque de laisser une marque indélébile dans les rapports de confiance entre les États-Unis et le reste du monde. Sans compter le risque inflationniste et celui de guerre commerciale généralisée, compromettant près de 50 ans de mondialisation heureuse. Le choc passé, le monde « d’après » sera-t-il enclin à nouer de nouvelles relations d’affaires plus normalisées avec les États-Unis ? Ses
partenaires n’auront-ils pas entre-temps réorganisé leurs flux commerciaux, développant de nouvelles alliances ?
Quoi qu’il en soit, il reste très hasardeux à ce stade de donner plus de poids à l’une ou l’autre de ces théories, même si les plus alarmistes semblent peu réalisables à l’heure qu’il est. Il est indéniable cependant que les récents mouvements des marchés ont ramené les actions à des niveaux de valorisation très proches des moyennes
historiques.
En mars 2025, le S&P 500 avait déjà perdu près de 6%, fait particulièrement rare. En effet, une performance mensuelle en dessous de 5% ne s’est produite que 22 fois depuis 1990 soit à peine plus de 4% d’occurrence. Cette baisse était restée concentrée sur les trois secteurs qui étaient parmi les plus fortement valorisés en ce début d’année, à
savoir la technologie, la consommation discrétionnaire et la communication.
Depuis le début du deuxième trimestre, les principaux indices mondiaux ont tout d’abord perdu entre 10% et 15% supplémentaires, touchant de manière relativement uniforme tous les secteurs avec un impact toujours plus important sur les actifs les plus fortement valorisés et plus cycliques. C’est tout simplement le début d’année le moins
favorable depuis 25 ans, en incluant l’ouverture des marchés le 9 avril ! Ainsi, sur les 15 premières semaines de l’année 2025, 11 ont été négatives pour le S&P 500, soit une proportion de 73%. En 2008 et en 2022, année de performance très négative pour l’indice américain, la proportion était bien plus basse, à respectivement 58% et 61%.
La diversification, notamment via les obligations de bonne qualité et l’or, a bien joué son rôle d’amortisseur afin de limiter la baisse subie par les investisseurs. L’essentiel est et sera de maintenir un niveau d’investissement suffisant pour tirer pleinement parti des rebonds à venir. L’exemple de lundi dernier avec des mouvements journaliers de
plus de 10% lors de l’annonce, très rapidement démentie par la Maison-Blanche, d’un éventuel moratoire de 90 jours sur les tarifs, a démontré que les investisseurs étaient prêts à revenir sur les marchés actions à la suite de nouvelles encourageantes. Le rebond massif du mercredi 9 avril après l’annonce (officielle cette fois) d’un abaissement généralisé des droits de douane à 10% pour une période de trois mois, a confirmé cet appétit des investisseurs à profiter des niveaux actuels, avec le plus gros volume d’actions traitées à Wall-Street de l’histoire, soit plus de 30 milliards de titres échangés ! L’indice S&P 500 a posté sa meilleure performance boursière depuis 2008 et
l’indice technologique Nasdaq a quant à lui affiché sa deuxième plus forte performance journalière depuis sa création, à peine 2% derrière le record de janvier 2001. L’action Apple, fortement impactée par les tarifs douaniers a rebondi de plus de 15%, soit la meilleure performance du titre depuis plus de 25 ans. Ceci, malgré une surenchère des
tarifs jusqu’à 125% appliqués à la Chine dans la foulée, afin de la punir de ses mesures de rétorsion. Dans ce contexte, il nous parait nécessaire de faire preuve de résilience et de maintenir les expositions au marché des actions.
La difficulté à court terme au-delà de la volatilité extrême des marchés réside dans la hausse de la probabilité d’une récession, déclenchée essentiellement par les décisions de la Maison-Blanche. À ce stade, le sentiment des consommateurs, des investisseurs et des entreprises s’est dégradé, mais les fondamentaux restent suffisamment solides pour éviter une récession, à condition que le gouvernement américain revienne à une approche plus pragmatique. Certains dirigeants d’entreprises influents, pourtant parmi les plus fervents supporters du nouveau président, l’ont exhorté à faire machine arrière, ou à mettre en place un moratoire permettant de négocier des tarifs douaniers raisonnables, qui ne réduiraient pas à néant tout investissement des entreprises, plongeant l’économie mondiale dans une récession profonde. Cela semble chose faite et une résolution rapide de la crise est encore envisageable, ce qui n’était pas le cas durant le Covid ou la crise financière de 2008. Ceci à condition que le gouvernement américain ne reprenne pas une posture trop rigide et ne retombe pas dans la surenchère, à l’image de sa réaction face à la réponse chinoise.
Les prochaines semaines seront très probablement rythmées par les négociations bilatérales de nombreux pays avec l’administration américaine et sources de volatilité. Entre mesures de rétorsion et baisses volontaires de taxes douanières dans l’espoir de susciter une réaction positive américaine, les perspectives d’une guerre commerciale
généralisée ne sont pas encore claires. Aux États-Unis, les baisses de taxes tant attendues pourraient également venir soutenir la consommation, moteur essentiel de la croissance américaine. La volatilité de court terme pourrait aussi être déterminée par le début des résultats du premier trimestre 2025 avec l’actualisation des perspectives pour le second trimestre, qui sont pour le moment très positives.
Nous gardons une vue prudente à court terme mais constructive sur les marchés actions à moyen terme en particulier sur les actions américaines et européennes sur lesquelles nous continuons de maintenir notre préférence. Nous avons réduit notre exposition aux marchés émergents, qui font face à un déficit commercial plus important avec les États-Unis et ne disposent pas tous de la capacité de compenser les effets négatifs des tarifs douaniers par de grands plans de relance. Nous favorisons les actions défensives, comme les télécoms, les services aux collectivités et les biens
de base, aux dépens de la consommation discrétionnaire ou de certaines sociétés industrielles internationalisées très dépendantes des exportations vers les États-Unis. Nous avions récemment réduit notre exposition au secteur technologique et continuons de rester très sélectifs. De manière générale, les titres internationalisés devraient être davantage impactés que les titres de sociétés produisant et vendant localement.
Le récent rebond ne doit néanmoins pas faire oublier que nous assistons actuellement aux prémices d’un changement de paradigme dans les équilibres économiques et géopolitiques mondiaux, accompagnés de bouleversements inédits depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Si le nouveau monde économique que semble vouloir façonner l’administration américaine prend forme, il deviendra nécessaire d’apporter des modifications aux allocations stratégiques des portefeuilles à plus long terme.