par Brett Rowley, économiste chez Amundi Asset Management
Les interrogations continues sur la santé du président Umaru Yar’Adua laissent son sort politique en suspens. Il y a plus de deux mois, le président Yar’Adua a quitté le Nigeria pour se faire soigner une maladie cardiaque en Arabie Saoudite. Il s’en est suivi plusieurs semaines sans prise de parole, ni bulletin de santé. Les rumeurs, toutes plus sombres les unes que les autres, se sont alors multipliées. On a même annoncé la mort du président. Afin de faire taire ces rumeurs, le président Yar’Adua a accordé un bref entretien téléphonique à un correspondant de la BBC à Londres, au cours duquel il indiquait qu’il rentrerait au Nigeria dès que ses médecins l’y autoriseraient.
Crise constitutionnelle
L’entretien remonte au 12 janvier, et le retour du président Yar’Adua ne semble toujours pas d’actualité. Les appels de l’opposition en faveur de sa démission se font de plus en plus pressants, et la Haute Cour fédérale statue quasi quotidiennement sur des plaintes qui pourraient l’obliger à se démettre de ses fonctions. La Constitution du Nigeria (Sections 144 et 145) comprend des articles permettant un transfert des pouvoirs dans le cas où le président se trouverait « dans l’incapacité d’assumer ses fonctions ». Or jusqu’ici, les décisions de la Haute Cour semblent cohérentes avec la jurisprudence existante. C’est en soi une victoire pour la jeune démocratie nigériane, et ce d’autant plus qu’un nombre élevé de pratiques extraconstitutionnelles (comme l’accord de partage du pouvoir entre le Nord et le Sud) ont compliqué ce qui aurait pu être une simple question de procédure.
La Haute Cour a décidé que le vice-président Goodluck Jonathan a le droit d’assumer certaines fonctions symboliques jusqu’à ce que l’état de santé du président soit connu. Mais en l’absence d’instructions écrites du président, il n’a pas été investi comme « président par intérim » et s’est contenté d’une fonction de représentation. En effet, le vice-président Jonathan s’est rappelé que peu de temps après le retour de M. Yar’Adua de 6 mois d’hospitalisation lors de son mandat de gouverneur de l’État de Katsina, le gouverneur adjoint, qui avait pris sur lui la responsabilité d’expédier les affaires courantes, avait été relevé de ses fonctions. Le vice-président a tout intérêt à laisser à d’autres le soin de monter au créneau.
Alors que la pression intérieure s’est intensifiée au cours des dernières semaines, des leaders mondiaux ont commencé à exprimer leur inquiétude. Les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et la France ont récemment publié une déclaration commune sur les incertitudes engendrées par la vacance du pouvoir. Tout en souhaitant au président de se rétablir pleinement, la déclaration s’est également félicitée des efforts récents « visant à examiner comment le processus constitutionnel pourrait résoudre la question de l’autorité gouvernementale pendant l’absence prolongée du président ».
Certaines rumeurs font désormais état d’un retour imminent du président Yar’Adua. Mais il est impossible d’en connaître le fondement. Et même si le président parvient à revenir cette année et à terminer son mandat, il est peu probable qu’il soit réélu pour un nouveau mandat de quatre ans. Ainsi, la visibilité politique restera assez limitée, alors que d’autres hommes politiques essaient de se positionner pour les scrutins présidentiel et législatif prévus en avril 2011.
Traverser l’orage politique
En dépit du risque politique élevé, la bourse nigériane a déjà progressé de 9,3% depuis le début de l’année. De plus, le gouvernement a plus ou moins réussi à stabiliser les taux d’intérêt et le taux de change du naira. La récente hausse des cours des actions a été particulièrement encourageante, au vu de la forte sous-performance de la bourse nigériane sur la majeure partie de 2009. Sur la foi de discussions récentes avec de nombreux analystes, la résistance de la Bourse locale a surpris jusque dans les rangs des opérateurs à Lagos. C’est d’autant plus impressionnant que l’indice de référence MSCI Marché émergents a cédé 5% sur la même période. Nous pensons que la bourse nigériane parviendra à poursuivre ces gains sur une grande partie de l’année en 2010.
La sous-performance de 2009 résultait des inquiétudes sur la solvabilité des banques nigérianes, et c’est aujourd’hui les progrès accomplis dans la réforme du secteur financier et les efforts entrepris pour recapitaliser les banques du pays qui tirent le rebond. Ces efforts ont porté leurs fruits au début de l’année, lorsque la Banque d'import-export des États-Unis a donné son accord à un prêt de $1 Md pour soutenir les garanties des 14 prêteurs qui avaient été renfloués l’an dernier. L’accord du gouvernement autorisant la création d’une société de gestion pour racheter les mauvaises créances des banques en échange de titres du Trésor devrait être le prochain catalyseur. Une telle mesure aiderait à renforcer le bilan des banques, leur permettant de reprendre leur activité de prêts.