Les leçons de la crise

Par Dominique Sabassier, Directeur général délégué en charge des gestions de Natixis Asset Management

L'année 2009 a commencé dans un contexte tourmenté, où le pessimisme et l'aversion au risque faisaient figure de pensée unique. Cette tendance est née après la faillite de la banque Lehman Brothers en septembre 2008 et s'est accentuée sur les premiers mois de 2009. De nombreux facteurs latents, sources de nouveaux déséquilibres, se sont révélés, accentuant ainsi la rupture. Les mesures exceptionnelles prises au niveau national puis au niveau international ont tardé à rassurer les investisseurs.

Cependant, leur impact s'est concrétisé dès le printemps 2009. Après la réunion du G20 en avril, le discours a changé et les propos sont devenus plus rassurants. La baisse des taux d'intérêt de court terme (qui ont atteint des niveaux très bas) et la substitution des Etats aux banques comme garants "de dernier recours" ont entraîné une forte réduction de l'aversion au risque dès les premières embellies économiques.

Ce processus volontariste mais vertueux a entraîné un redressement spectaculaire des prix des actifs financiers.

Sur le marché des taux d'intérêt, les spreads corporate et high yield se sont réduits. Sur celui des actions, les secteurs cycliques, ainsi que les financières, se sont bien comportés. Un changement de régime est donc intervenu sur les marchés financiers et l'aversion au risque a changé de nature. Seule la finance structurée semble devoir être plus durablement atteinte.

Natixis Asset Management n'a jamais cru à une crise systémique durable ou à une "japonisation" de l'économie mondiale dans son scénario central au vu de l'intervention rapide, massive et très volontariste des gouvernements et des banques centrales. Natixis Asset Management avait en effet anticipé une amélioration des données économiques dès le mois de mars 2009.

Cependant, ramener la crise actuelle à une crise classique serait une erreur. Nous sommes convaincus que, par son ampleur, les mesures prises ou encore sa médiatisation, cette crise aura des conséquences durables dans l'évolution de l'activité mondiale.

Le poids prépondérant des pays émergents

La crise renforce le poids relatif des émergents et notamment de la Chine. Ces pays ont été moins affectés par la crise que les pays industrialisés. Cela traduit la réactivité des acteurs économiques, le volontarisme des stratégies économiques mises en place, mais aussi la perturbation plus limitée de leurs systèmes financiers et bancaires. Nombre d'entre eux ont rapidement retrouvé des taux de croissance forts, effaçant ainsi les pertes d'activité liées à la crise.

Depuis le début de la décennie 2000, le poids des pays émergents s'est nettement accru sous l'impulsion de la Chine et les liens économiques et financiers se sont renforcés entre eux. Dès lors, ils ont gagné en autonomie, notamment sur le plan financier, évitant d'être entraînés par la récession des pays industrialisés. L'élargissement du G8 au G20 traduit un changement de statut reflétant ce poids économique et une légitimité politique nouvelle.

Ils ont désormais un rôle à tenir dans l'équilibre global.

Leur plus grande autonomie financière et technologique leur offre des choix qui peuvent se faire sans l'agrément des pays industrialisés. Cela modifie singulièrement le rapport de force. Face à la taille de ces pays, les pays industrialisés souhaiteraient en effet toujours disposer d'un rôle significatif.

L’endettement et le rôle des Etats

Cette crise spectaculaire a remis au premier plan le rôle du secteur public dans sa capacité à mutualiser les risques globaux. La mondialisation et la réduction des contraintes économiques avaient progressivement restreint le rôle des Etats et du politique. Les "élites" s’étaient davantage tournées vers l'économique, le financier et le monde bancaire, notamment attirées par le niveau des rémunérations.

Par ses interventions au cœur du système financier, par l'ampleur des montants engagés, la crise a rappelé le rôle et l'importance du secteur public. Les Etats et les banques centrales se sont substitués aux banques et aux marchés, devenant ainsi les garants du système financier mondial.

Ce transfert de la dette privée à la dette publique aura un coût encore difficilement mesurable, mais son impact sera durable et persistant.

Sur un autre plan, ces engagements peuvent engendrer des fragilités et davantage de volatilité. Les épisodes récents de Dubaï et de la Grèce montrent la sensibilité des marchés et des investisseurs au risque associé à cette accumulation. Des événements particuliers sont susceptibles d'avoir des effets d'entraînement importants.

Cependant, les marchés résisteront-ils encore longtemps si de nouvelles inquiétudes du même ordre surgissaient, ou si des pays importants étaient menacés de dégradation ? Sur ce point, par exemple, la notation triple A d'un pays comme l'Angleterre fait de plus en plus débat.

Durant cette crise, les déficits publics spectaculaires ont engendré un endettement supplémentaire massif des Etats. Il faut désormais gérer cette situation et réduire le risque de défaillance afin de limiter l'effet dévastateur qu'une telle situation ferait courir à l'ensemble du système financier. Nous croyons que les principaux gouvernements ont conscience de cette situation et du rôle majeur qu'est le leur pour éviter une rupture supplémentaire. Ils le sont d'autant plus qu'ils ne disposent plus de "moyens" en cas de nouveau choc sur l'économie. 

Pour rééquilibrer les finances publiques et stabiliser la dette, les mesures les plus efficaces dans la durée passent par une réduction des dépenses. Cependant, on ne peut exclure que des hausses de prélèvements soient mises en œuvre, notamment sur les profits des entreprises sur lesquels Natixis Asset Management anticipe une hausse de 25 % en 2010. Dans ce contexte, il pourrait être tentant d'augmenter les impôts sur les sociétés comme cela avait été pratiqué dans les années 30 aux Etats-Unis lors du New Deal.

Mais les mesures peuvent aussi porter sur une plus grande régulation afin de limiter les risques et de revenir à la situation antérieure.