Package de la BCE : Acte 1

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Les différentes mesures annoncées par la BCE début juin1 vont avoir des effets décalés dans le temps. Un peu plus d’un mois après l’annonce de son package, les premiers effets liés à la baisse des taux directeurs et à l’arrêt de la stérilisation du SMP ont commencé à apparaître.

  • Un impact important sur les taux courts : l’eonia traite à 0,03% en moyenne depuis la réduction des taux directeurs, soit environ 20pb en dessous du niveau enregistré en mai. La courbe eonia forward est nettement plus basse de 10pb qu’en mai et reste plate sur un horizon d’un an reflétant les anticipations d’un statu quo sur les taux. Les taux 3 mois sont également orientés à la baisse avec une diminution d’environ 10pb.
  • Des effets non négligeables sur les taux longs. Les taux ont baissé sur toute la courbe, les taux 10 ans ont perdu entre 10 et 20pb dans les grands pays européens depuis début juin et atteignent de nouveaux plus bas.
  • Un effet modeste sur le taux de change : le taux de change effectif de l’euro et l’EUR/USD se sont dépréciés d’environ 2% depuis début mai, ce qui peut sembler faible. Les propos relativement dovish de J. Yellen et la révision en baisse de la croissance américaine n’ont pas aidé. Toutefois, les positions sur l’euro se sont inversées devenant vendeuses à partir de mi-mai (début d’anticipation d’une action de la BCE) marquant un changement de comportement de la part des marchés.
  • Après avoir bien réagi aux annonces, les marchés actions européens se sont ensuite tassés et baissent depuis quelques jours sous l’effet d’un retour des craintes des investisseurs (Banco Espirito Santo2).
  • Les anticipations d’inflation mesurées par les swaps inflation, variable clé pour la BCE, ont arrêté de baisser et ont même légèrement progressé depuis l’annonce de juin. En revanche les inflations point mort n’ont pas montré de signe clair de retournement.
  • Alors que la taille du bilan de la BCE s’était à peu près stabilisée en avril/ mai, les remboursements de VLTRO ayant été compensés par une hausse des opérations d’open market à une semaine (MRO), elle s’est en revanche contractée de 100Md€ depuis début juin. L’arrêt de la stérilisation du SMP associé au taux de dépôt négatif a provoqué une accélération des remboursements de LTRO par les banques (réduction de 55Md€ des LTRO depuis début juin vs une baisse de 79Md€ entre janvier et début juin) et une diminution des MRO (de 52Md€).

Globalement, la BCE a réussi à rendre les conditions monétaires et financières plus accommodantes via la baisse des taux d’intérêt et la légère dépréciation du taux de change, ce qui est favorable aux banques, aux Etats et à un certain nombre d’agents privés (ceux endettés à taux variable, ceux qui peuvent s’endetter dans les pays core) mais pas à tous. Les autres devront attendre l’acte 2 qui s’ouvrira en septembre avec le premier TLTRO3 et devrait durer quelques mois.

La question cruciale, au-delà des montants empruntés par les banques, sera celle de l’impact sur les crédits octroyés à l’économie pour financer l’investissement. Or si la demande de crédit se renforce en zone euro (et en particulier dans certains périphériques), il n’est pas sûr que les banques veuillent utiliser la liquidité offerte par la BCE pour faire de nouveaux prêts dans un contexte où les ratios réglementaires (notamment le ratio de solvabilité) se durcissent avec Bâle 3.

L’acte 3 pourrait être constitué d’annonces d’achats d’ABS au S1-2015 si les statistiques de crédit ne montrent que peu de signe d’amélioration malgré les premiers TLTRO.

Enfin, la probabilité d’un QE massif portant sur des titres publics nous semble toujours faible. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’après avoir beaucoup communiqué sur la possibilité d’un QE, la BCE se montre plus en retrait sur cette question. Dans différentes communications, plusieurs membres de la BCE ont souligné que même si le QE restait une option, il ne serait utilisé qu’en cas de très mauvaise surprise la matérialisation du risque de déflation. Or le risque aujourd’hui nous semble davantage être celui d’une période assez longue de faiblesse de la croissance et de l’inflation.

NOTES

  1. Cf Edito du 06/06/14 « BCE : quels effets du package ? »
  2. Cf. Data snap « Portugal Banco Espirito Santo case »
  3. TLTRO : targeted long-term refinancing operations

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