Pas taper, pas taper !!

par Philippe Weber, Responsable Etudes et Stratégie chez CPR AM

Décider quand amorcer le ralentissement des achats de titres est une question d’opportunité politique pour la réserve fédérale.

Le titre fait-il référence au caractère houleux des débats budgétaires aux Etats-Unis ? Pas du tout ! Il est vrai pourtant que certains parlementaires, selon les conceptions pédagogiques d’il y a quelques décennies, auraient sans doute mérité, comme Billy the Kid dans « Lucky Luke » lorsqu’il vole des caramels, une bonne correction… non ; plus sérieusement, et comme l’usage de l’italique le laisse soupçonner, je fais référence au verbe anglais qui fait fureur depuis quelques mois sur les marchés financiers, anglophones ou pas : « to taper », diminuer graduellement. Il est devenu de rigueur pour évoquer le ralentissement progressif des achats de titres que la réserve fédérale a annoncé pour un avenir proche.

Mais pour l’instant, rien n’est amorcé ?! En effet ! Les premières déclarations évoquant ce ralentissement, au printemps dernier, ont provoqué de vifs mouvements sur les marchés, avec hausse des taux sur toutes les échéances, baisse des bourses, sortie de capitaux des pays émergents. On s’attendait à un premier mouvement en septembre : le statu quo ayant prévalu, les marchés ont connu une nouvelle bouffée d’optimisme. Aujourd’hui, une bonne partie des intervenants pense qu’aucune diminution des achats ne sera entreprise avant le mois de mars 2014 – en tout cas, c’est ce qu’ils souhaitent et espèrent (pas taper, pas taper !!).

Est-ce le plus probable ? Je ne pense pas. il est impossible de l’exclure, les banques centrales ayant su surprendre tout le monde depuis cinq ans, plus encore que d’habitude. Je continue toutefois à trouver vraisemblable un début du ralentissement dès la réunion de décembre (en tout cas une annonce en ce sens : le FOMC se réunissant le 18 décembre, que cela commence le 19 décembre ou le 2 janvier n’a guère d’importance). Tout d’abord, à plusieurs reprises, la réserve fédérale a annoncé ce mouvement d’ici la fin de l’année. Certes, tout changement est soumis à l’état de l’économie et dépend notamment d’une amélioration « substantielle » du marché du travail, que l’on n’observe guère aujourd’hui. La banque centrale a souvent évoqué la mi-2014 pour l’arrêt de l’expansion quantitative : pour s’arrêter en juin, il faut commencer sans tarder. De plus, le changement de présidence à la réserve fédérale va jouer. La réunion de janvier aura lieu quelques jours avant la passation de pouvoir et ne sera pas accompagnée de conférence de presse ; celle de mars, avec conférence de presse, sera la première de la nouvelle présidence – sans doute en la personne de Mme Yellen. il faut aussi évoquer les discussions budgétaires qui, sans qu’elles aient été explicitement citées, ont sans doute joué un rôle dans le statu quo de septembre. Elles vont continuer à être difficiles mais on peut espérer qu’elles se concluront mieux et plus vite tandis que, de son côté, la banque centrale n’a sans doute guère envie de se montrer explicitement contrainte par des discussions partisanes. C’est pourquoi, à mon sens, pour des raisons de communication comme d’opportunité politique, décembre serait préférable.

L’économie le supportera-t-elle ? Je pense que oui. Les marchés ont déjà intégré l’arrêt prochain du Quantitative Easing 3, les taux ont déjà remonté ; les changements sur la date ne seraient qu’anecdotiques. Le logement a subi un ralentissement marqué mais il n’est pas certain que la banque centrale soit mécontente de voir les prix dans ce secteur s’assagir un peu. La confiance des ménages a été affectée par la fermeture partielle de l’administration. En revanche, le reste de l’économie semble avoir retrouvé son dynamisme (modéré certes mais dynamisme tout de même) si l’on en croit les enquêtes ISM nationales ou régionales. L’économie réelle n’a sans doute plus besoin de soutien aussi intensif – et, au fond, les marchés non plus. il faudra, dans un avenir certes encore lointain, normaliser les bilans des banques centrales, dont celui de la réserve fédérale. Rien ne presse, plusieurs méthodes sont envisageables mais on peut songer à arrêter, avec toute la prudence et la circonspection requises, de le gonfler !