Pays du Sud de la zone euro : une croissance bridée par l’austérité budgétaire

par Olivier Bizimana et Bénédicte Kukla, économistes au Crédit Agricole

  • La pression des marchés financiers a contraint les pays du Sud de la zone euro (SZE) à mettre en œuvre des mesures d’austérité budgétaire pour résorber des déficits publics exorbitants. On s’interroge, donc, aujourd’hui sur l’impact que ces mesures auront sur la croissance économique.
  • Compte tenu de la fragilité de la demande intérieure à l’issue de la crise, du manque de compétitivité de ces pays, et donc de leur incapacité à tirer parti du moteur traditionnel du redressement des exportations, on peut se demander si l’austérité budgétaire ne serait pas à ce stade un remède pire que le mal.
  • Nos prévisions économiques pour les pays du SZE sont moroses. Nous prévoyons une récession prolongée en Grèce et une reprise lente et hésitante dans les autres pays du SZE.

par Olivier Bizimana et Bénédicte Kukla, économistes au Crédit Agricole

  • La pression des marchés financiers a contraint les pays du Sud de la zone euro (SZE) à mettre en œuvre des mesures d’austérité budgétaire pour résorber des déficits publics exorbitants. On s’interroge, donc, aujourd’hui sur l’impact que ces mesures auront sur la croissance économique.
  • Compte tenu de la fragilité de la demande intérieure à l’issue de la crise, du manque de compétitivité de ces pays, et donc de leur incapacité à tirer parti du moteur traditionnel du redressement des exportations, on peut se demander si l’austérité budgétaire ne serait pas à ce stade un remède pire que le mal.
  • Nos prévisions économiques pour les pays du SZE sont moroses. Nous prévoyons une récession prolongée en Grèce et une reprise lente et hésitante dans les autres pays du SZE.

 

L’austérité… déjà ?

Il y a seulement un an, alors que la crise financière faisait rage, les finances publiques étaient fort éloignées des préoccupations des marchés. La priorité allait au contraire au soutien de la croissance économique à travers différents dispositifs de relance.

Résultat, les finances publiques se sont détériorées à un rythme spectaculaire dans l’ensemble de la zone euro. Cependant, à l’automne 2009, les marchés financiers ont replacé les finances publiques au centre de leurs préoccupations en exerçant des pressions sur certains pays de la zone euro dont les finances publiques étaient désormais considérées comme fragiles. Ces pays, situés dans la périphérie sud de l’Europe,1 ne sont pas tous touchés de la même façon.2 La situation très dégradée de la Grèce n’est pas comparable aux difficultés que rencontrent les autres pays de la périphérie, en particulier l’Italie.

Toutefois, malgré certaines différences, tous les pays du Sud de la zone euro ont été contraints par les marchés financiers à mettre en œuvre, plus vite que prévu, des programmes d’austérité budgétaire.

Le défi qui se pose à ces pays est la mise en œuvre de politiques budgétaires restrictives dans le contexte d’une croissance économique fragile et d’ajustements structurels profonds. Le risque est que ces mesures brident la croissance et créent un cercle vicieux associant austérité budgétaire, chute de l’activité et baisse des recettes fiscales.

Les pays du SZE vont par conséquent être confrontés à divers obstacles qui vont retarder leur redressement. Notre scénario central prévoit pour ces pays une croissance économique inférieure à celle du reste de la zone euro en 2010 et 2011, ce que confirment déjà les enquêtes de conjoncture du premier trimestre 2010. Les pays du Sud de la zone euro connaîtront des niveaux de croissance différents, en fonction de l’urgence de la situation de leurs finances publiques et des autres enjeux structurels qui altèrent leur capacité économique.

Grèce : fermement ancrée dans la récession

La Grèce est peut-être entrée en récession après les autres pays de la zone euro, mais la dégradation actuelle de sa situation financière permet de penser que la croissance restera fermement ancrée en territoire négatif au cours des deux prochaines années. Nous tablons sur une contraction du PIB de 3,4 % en 2010 et de 1,2 % en 2011. La situation des finances publiques restera critique. 

Après le dispositif du Pacte de stabilité et de croissance, en janvier 2010, la Grèce a adopté d’autres mesures d’austérité au début du mois de mars, pour un total de 4,8 MdEUR. Ces mesures supplémentaires ont été adoptées pour rassurer les marchés quant à la capacité des pouvoirs publics à réduire le déficit public de 4 points de PIB en 2010, à 8,7 % du PIB. La situation des finances publiques va peut-être s’améliorer légèrement, mais les perspectives de croissance de la Grèce s’en trouvent fortement détériorées. Les revenus des ménages vont être gravement amputés par un cocktail explosif d’alourdissement de la fiscalité, de limitation des transferts sociaux et de dégradation des perspectives d’emploi. Les perspectives mixtes en matière de demande pèseront sur l’investissement privé, tandis que la réduction des dépenses budgétaires bloquera les programmes d’investissement public. Le commerce extérieur commence à se redresser et devrait contribuer positivement à la croissance du PIB, mais ne devrait que compenser légèrement la forte contraction de la demande intérieure. En outre, la Grèce restera affectée par des coûts de financement élevés, dont le poids se répercutera sur le secteur financier, risquant de limiter l’accès au crédit. Les perspectives de croissance de la Grèce sont donc moroses : nous anticipons une contraction du PIB de 3,4 % en 2010 et de 1,2 % en 2011.

Espagne : croissance atone

L’Espagne paie aujourd’hui ses excès passés : un recours excessif au crédit et une bulle immobilière à grande échelle. Elle doit en plus s’employer désormais à mettre de l’ordre dans ses finances publiques. Même si l’Espagne n’est pas dans une situation comparable à celle de la Grèce, elle doit relever de nombreux défis. La croissance économique restera atone en 2010 (contraction du PIB de 0,4 %) avant de se redresser très progressivement en 2011 (progression du PIB de 0,6 %).

L’Espagne est restée en récession au dernier trimestre 2009. Toutefois, la composition du PIB du quatrième trimestre révèle certaines évolutions encourageantes, tant du point de vue de la demande intérieure qu’extérieure. Cependant, ces signes de reprise restent très fragiles, compte tenu des problèmes structurels liés à la poursuite de l’ajustement du secteur résidentiel et la nécessité impérieuse de rééquilibrer les finances publiques. L’investissement dans le secteur clef du bâtiment continue de s’effondrer et la récente nécessité de rééquilibrer les finances publiques a privé la demande intérieure de l’essentiel des mesures de relance, les remplaçant par un relèvement de la fiscalité.

L’augmentation du taux de la TVA à partir de juillet devrait stimuler légèrement la consommation au début de l’année 2010, mais aura l’effet inverse sur la seconde partie de l’année. La réduction des pensions de retraite et des salaires du secteur public et la disparition des avantages fiscaux sur les revenus, associées à un taux de chômage vertigineux (18,8 % en janvier), vont peser sur la confiance et le revenu disponible des ménages, les incitant à accroître davantage leur épargne de précaution. Ainsi, la faiblesse de la demande intérieure devrait peser lourdement sur l'investissement. Les exportations, à présent le seul moteur réel de la croissance en Espagne, devraient augmenter sous l’impact du redressement de la demande mondiale. À court terme, toutefois, les perspectives de l’économie espagnole restent atones : le PIB devrait se contracter de 0,4 % en 2010, avant de croître de 0,6 % en 2011. De façon plus fondamentale, l’Espagne va devoir repenser son modèle de croissance et mettre en œuvre des réformes structurelles. Elle doit améliorer sa compétitivité et trouver de nouveaux moteurs de croissance intérieure ailleurs que dans le secteur du bâtiment. Enfin, l’Espagne va également être confrontée à un processus de désendettement dans le secteur privé.

Portugal : petits pas vers la consolidation budgétaire

Malgré un déficit structurel important, le Portugal n’est pas confronté aux mêmes besoins de financement que l’Espagne ou la Grèce. Le pays dispose par conséquent d’un peu plus de temps pour faire face à ses enjeux budgétaires.

L’endettement élevé du secteur privé et un écart de compétitivité massif pèseront cependant sur la croissance au cours des prochaines années.

La récession a été moins marquée au Portugal en 2009, mais à partir d’une base déjà faible. La croissance du PIB portugais accusait déjà un retard par rapport au reste de la zone euro avant la crise. Le potentiel de croissance du Portugal a en outre considérablement diminué depuis le début de la décennie.

Des réformes ont été mises en œuvre pour restaurer la compétitivité et lutter contre le déficit public structurel du Portugal, mais les progrès ont été lents. La persistance du déficit structurel et la détérioration cyclique apportée par la crise se sont traduites par une dégradation significative des finances publiques, annulant en partie les progrès accomplis dans la voie de la consolidation budgétaire. Les pouvoirs publics ont choisi de limiter les mesures d’austérité afin de ne pas étouffer dans l’œuf une reprise économique déjà fragile.

L’élimination progressive de certains dispositifs de relance mis en œuvre durant la crise et le gel des salaires nominaux en 2010 auront néanmoins un impact négatif sur la demande intérieure. La consommation privée, autrefois alimentée par la croissance dynamique du crédit, devrait rester médiocre avec la contrainte de réduction de l’endettement. Le chômage s’est envolé et devrait poursuivre son ascension, les perspectives atones de la demande n’incitant pas les entreprises à investir. Dans l’ensemble, le resserrement budgétaire ne devrait pas avoir un impact aussi brutal sur la croissance du Portugal. Nous anticipons une croissance économique très molle en 2010 et 2011, avec une progression du PIB de 0,6 % cette année et 0,7 % l’année prochaine.

 Italie : à cheval entre le centre et la périphérie

L’Italie n’est pas vraiment un pays de la périphérie. La situation des finances publiques de l’Italie n’a rien à voir avec celle des autres pays de la périphérie de la zone euro. Toutefois, les autres enjeux structurels auxquels est confrontée l’économie italienne nous incitent à anticiper une reprise tardive par rapport aux pays centraux de la zone euro, avec une progression du PIB limitée à 0,4 % en 2010 et 0,7 % en 2011.

La rechute de l’économie au quatrième trimestre a douché la confiance des entreprises et des ménages, repoussant les espoirs d’un redressement de la demande intérieure. Les dispositifs de relance ne produiront plus longtemps leurs effets et les perspectives de l’emploi sont peu encourageantes. On ne peut donc espérer qu’une contribution limitée de la consommation privée à la croissance.

Avec une demande intérieure en berne, le redressement de l’économie italienne dépendra largement du degré de dynamisme des exportations.

La reprise économique chez les principaux partenaires commerciaux de l’Italie devrait permettre un redressement des exportations, mais le pays reste handicapé par sa faible compétitivité.3 Les coûts salariaux unitaires ont commencé à diminuer fin 2009, mais restent nettement plus élevés que la moyenne de la zone euro. La productivité du travail est entravée par le retard d’ajustement du marché du travail.

Les salaires restent rigides et l’emploi ne s’est pas autant ajusté que ne le suggère le fort recul de l’activité (-1,4 % en moyenne durant les trois premiers trimestres de 2009, contre -5,1 % pour le PIB en 2009). De nouveaux ajustements sur les marchés du travail et des biens seront essentiels pour restaurer la compétitivité des entreprises italiennes et stimuler les exportations. Le recul du PIB au dernier trimestre ne remet pas en cause notre scénario central de reprise, même si son rythme s’annonce plus ralenti que dans les autres grands pays de la zone euro : nous tablons sur une croissance du PIB de 0,4 % en 2010 et 0,7 % en 2011.

Les difficultés des pays de la périphérie sud auront un impact sur l’ensemble de la zone euro

La consolidation des finances publiques des pays de la périphérie sud en 2010 et 2011 aura des incidences négatives sur l’ensemble de la zone euro.

Arithmétiquement, le freinage de la croissance dans ces pays affectera l’ensemble de la zone euro, l’Espagne, la Grèce et le Portugal représentant 16 % du PIB de la zone euro. Si l’on ajoute l’Irlande, qui se trouve dans une situation similaire, ce pourcentage atteint presque 18 %.

La contagion se fera forcément aux autres économies de la zone euro, via les échanges commerciaux intra-régionaux. En outre, même si les programmes de stabilité pour 2010-2013 des autres économies de la zone euro (Allemagne, France et Italie notamment) indiquent un assainissement des finances publiques plus progressif à partir de l’année prochaine, les coupes dans les dépenses publiques sont inévitables. Ainsi, avec le freinage marqué de la demande intérieure de leurs principaux partenaires commerciaux, les pays du SZE subiront un ralentissement de leurs exportations, fragilisant une situation économique déjà précaire.

Le décalage croissant entre les pays de la zone euro devrait en outre compliquer considérablement la politique monétaire de la BCE. Si l’on applique la règle de Taylor (calculée à partir de l’output gap et de l’écart d’inflation des pays périphériques et de nos prévisions actuelles de PIB et d’inflation), on observe pour la première fois depuis la création de l’UEM la nécessité d’une politique monétaire fortement accommodante pour les pays de la périphérie. La comparaison de cette « règle de Taylor périphérique » avec nos prévisions actuelles pour le taux directeur de la BCE, à savoir, un taux refi à 1,25 % à fin 2010 et 2,75 % à fin 2011, montre que la politique monétaire de la zone euro va devenir restrictive pour ces pays pour la première fois depuis 1999. En termes réels, les taux courts seront même encore plus restrictifs dans ces pays. En fait, compte tenu de l’ampleur des ressources inemployées dans l’économie, des tensions baissières pourraient s’exercer sur les prix, entraînant une désinflation prononcée, voire une déflation. Ces pressions désinflationnistes potentielles dans les pays de la périphérie sud menacent la dynamique d’inflation de l’ensemble de la zone euro. Les primes de risques souverains devraient en outre demeurer élevées tant que les problèmes budgétaires de la zone euro n’auront pas été résolus. En conséquence, le coût réel du capital restera onéreux et constituera un frein supplémentaire à la croissance économique.

 Conclusion : tous perdants…

  •  Les pays du SZE émergeront de la crise après les autres pays de la zone euro et pourraient ne pas retrouver avant longtemps leur taux de croissance antérieur à la crise.
  •  L’impact de la consolidation budgétaire sur la croissance sera ressenti différemment en fonction de l’urgence et de l’ampleur des difficultés, ainsi que des réformes structurelles restant à accomplir par ces pays.
  •  Le risque est clairement que les mesures d’austérité budgétaire non seulement freinent la croissance, mais aggravent encore l’état des finances publiques, en particulier en Espagne et en Grèce. En obligeant ces pays à adopter prématurément des mesures budgétaires correctrices, les marchés financiers auront enclenché un cercle vicieux, entraînant le résultat même qu’ils redoutaient : prime de risque élevée->mesures d’austérité prématurées -> ralentissement économique marqué -> impact négatif sur l’équilibre budgétaire -> incertitudes croissantes sur la viabilité du programme d’austérité…
  • De façon paradoxale, les marchés financiers auront amplifié le risque d’un nouveau creusement des déficits publics, attisant l’incendie qu’ils essayaient d’éteindre.

Nos prévisions économiques pour les pays du Sud de la zone euro sont par conséquent assez pessimistes.

Nous prévoyons une récession prolongée en Grèce et une reprise lente et hésitante dans les autres pays du SZE.

NOTES

  1. Dans cet article, l’expression « pays du Sud de la zone euro » désigne la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne. L’Irlande est aussi considérée comme un pays de la périphérie, mais cet article porte principalement sur les pays situés dans la périphérie sud de la zone euro.
  2. Cf. Eco News 141, janvier 2010. n’est pas comparable aux difficultés que rencontrent les autres pays de la périphérie, en particulier l’Italie.
  3. Cf. Eco Italie n°7, avril 2010.

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