par Didier Saint-Georges, Membre du comité d’investissement stratégique de Carmignac
Comparé à cette année, 2021 s’annonce, grâce au déploiement des vaccins, comme une année de retour progressif à la normale, une sorte de « reconvergence vers la moyenne » pour l’activité économique. Et comme au même moment, on observe des taux d’épargne très élevés, qui devrait soutenir la demande au moins dans un premier temps, des soutiens budgétaires considérables, et des banques centrales qui nous confirment qu’elles vont rester très accommodantes, il est naturel d’en conclure qu’en dépit de la nouvelle vague de Covid, les marchés devraient bien se comporter, en particulier les actifs sensibles au cycle économique comme le crédit, les marchés émergents et les actions des secteurs cycliques.
- Le problème bien-sûr avec les conclusions naturelles, est que les marchés s’y ajustent très vite. Et c’est en effet ce qui s’est passé. Non seulement le rebond des marchés depuis le mois de mars a atteint des proportions historiques, mais l’accélération de la rotation cyclique en novembre a aussi été très rapide.
- Aujourd’hui, les marchés jouent clairement le retournement du cycle, et l’augmentation des estimations de résultats d’entreprises par les analystes ces derniers mois a été considérable. C’est vrai globalement, c’est vrai pour les US, et c’est vrai aussi pour l’Europe.
- La conséquence est que la probabilité de déception est maintenant sensiblement plus élevée qu’il y a encore un mois ou deux. Or nous sommes encore, à notre avis, dans un monde de croissance structurellement faible, avec encore davantage d’endettement, moins d’investissement, et une tendance démographique défavorable. Et c’est sans mentionner les faillites d’entreprises en Europe comme aux Etats-Unis qui ne manqueront pas d’augmenter l’année prochaine. Il faut garder à l’esprit que, grâce à la mise sous perfusion des entreprises par tous les gouvernements, le nombre de faillites en 2020 est en baisse par rapport à 2019. En France, il s’agit d’une baisse de l’ordre de 30% ! L’effet retard sur 2021 pourrait donc être très sensible. Aux Etats-Unis, la relation entre le futur Président Biden et le Sénat américain pourrait facilement s’avérer difficile et empêcher la mise en œuvre de politiques de relance fortes. Et même si on fait par exemple l’hypothèse que le Sénat réussisse à voter rapidement une nouvelle enveloppe budgétaire d’environ 900 milliards, sans rallonge supplémentaire ensuite, cet effort correspondrait selon nos estimations à un resserrement budgétaire de 3% du PIB par rapport à 2020. Avec un tel resserrement, notre économiste estime que la croissance américaine dépasserait alors difficilement 2%, autrement dit une croissance médiocre, en-deçà du potentiel de long terme. Et pour finir, il semblerait que personne n’inclut dans ses prévisions aujourd’hui le moindre accroc, logistique ou autre, dans le fameux déploiement planétaire des vaccins.
- Par conséquent, comme les marchés se sont très vite ajusté au scénario rose, notre gestion des risques a consisté simplement, de façon disciplinée, à prendre des profits titre par titre quand nos objectifs de cours étaient atteints. Cela concernait il y a un mois principalement certaines de nos positions parmi nos valeurs de croissance. Et sur le dernier mois, ça a également rapidement concerné nos positions plus cycliques, actions comme obligations privées.
- Néanmoins, se dresse à très court terme une incertitude de nouveau assez inhabituelle : deux évènements très importants, totalement binaires, vont se produire: un point final aux négociations sur le Brexit, et deux scrutins en Géorgie le 5 janvier prochain qui vont décider de ce que sera la majorité sénatoriale aux Etats-Unis. On ne peut simplement pas ignorer ces deux inconnues, qui pourraient, en cas de victoire démocrate en Géorgie ou d’accord de la onzième heure sur un Brexit négocié, redonner un coup de fouet à la thématique « reflationniste ». Pour cette raison, nous gardons précieusement pour l’instant nos actifs « pro-inflation » comme les mines d’or, des monnaies émergentes, ou des obligations indexées sur l’inflation.
- Pour résumer, notre scénario central pour 2021 est que la croissance économique mondiale, après un court rebond sur un effet de base très favorable, risque de reconverger vers la tendance médiocre qui prévalait avant la crise, quoiqu’avec un centre de gravité déplacé sensiblement vers le monde émergent. Cette croissance devrait rester accompagnée d’un toujours très ample soutien des banques centrales. Par conséquent, nous conservons une vision à moyen terme plutôt constructive sur les marchés actions
- Mais dans le même temps, il nous semble nécessaire de garder un esprit ouvert sur les inconnues de court terme, principalement politiques, c’est pourquoi nous avons pris des profits sur nos positions obligataires et actions, et conservons des portefeuilles équilibrés avec, pour équilibrer nos actions de croissance, des valeurs cycliques dans le monde émergent et en Europe, et côté obligataire, des obligations privées dont le rendement offre suffisamment de protection contre une éventuelle tension sur les taux d’intérêt.
- De cette façon nous gardons notre flexibilité pour orienter davantage le portefeuille dans une direction ou l’autre, quand une meilleure visibilité sera revenue en début d’année prochaine.