Pétrole à 70 dollars, quelles conséquences ?

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

• Les prix du pétrole enregistrent leur plus forte chute depuis celle liée à la crise financière de 2008.

• A 70 dollars ou 55 euros par baril, le cours du Brent est en recul de plus de 30% par rapport à son niveau de l’été 2014.

• Les causes du contre-choc ne sont pas anecdotiques, et celui-ci pourrait durer.

• En cas de maintien des cours du brut aux niveaux actuels, les pays avancés d’Europe bénéficieraient d’un transfert de revenu massif.

• La zone euro verrait son niveau d’activité rehaussé de l’ordre de 0,3 point de PIB à l’horizon de 2015.

• Mais son inflation, déjà très faible, ralentirait encore jusqu’à se situer très proche de zéro, voire transitoirement au-dessous.

• La nature du choc n’est cependant pas déflationniste.

Les prix du pétrole enregistrent leur plus forte chute depuis celle qui, en 2008, avait accompagné la crise financière. A 70 dollars ou 55 euros, le cours du baril de Brent est en recul de plus de 30% par rapport son niveau de l’été 2014. Les causes du contre-choc ne sont pas anecdotiques et celui-ci pourrait durer. En cas de maintien des prix du brut aux niveaux actuels, les pays avancés d’Europe bénéficieraient d’un transfert de revenu massif. La zone euro verrait son niveau d’activité rehaussé de 0,3 point de PIB et son inflation se rapprocher de zéro. Pour autant, la nature du choc n’est pas déflationniste.

Chute non accidentelle

Depuis 2008, la Chine explique à elle seule 40% de l’accroissement de la demande mondiale de pétrole1 ; en 2014, elle dépasse les Etats-Unis en tant que premier importateur net (7 millions de barils- jour, b/j). C’est donc bien elle qui exerce la principale influence sur les cours. Or il se trouve que l’ogre modère son appétit. A l’horizon de 2015, sa croissance économique ne dépasserait pas 7%, un rythme enviable pour la plupart des pays mais qui, concernant la Chine, serait le plus lent depuis vingt-cinq ans. Il est, en outre, possible que sa demande pour les produits pétroliers freine plus qu’indiqué par les chiffres officiels de PIB. La production d’électricité marque le pas, et les secteurs d’activité les plus touchés, comme l’industrie minière, l’acier ou le ciment, sont les plus voraces en combustibles. Enfin, à mesure qu’elle se diversifie et monte en gamme, l’économie chinoise améliore peu à peu son efficacité énergétique.

Il n’y a pas véritablement de choc de demande, plutôt une inflexion, susceptible de modifier pour un temps l’équilibre des prix. D’autant que, du côté de l’offre, les conditions changent radicalement. Grâce à l’exploitation de leurs schistes argileux, les Etats-Unis ont accru de 55% leur production de gaz et pétrole brut depuis 2008; ils dépassent désormais sur ce terrain la Russie ou l’Arabie saoudite2. A tel point que celle-ci fait pression à la baisse sur les cours, dans le but de défendre ses parts de marché. Sa décision de ne pas réduire les quotas de production lors de la réunion de l’Opep du 27 novembre aura marqué un tournant. Les prix du baril de Brent ont alors plongé vers les 70 dollars, niveau à partir duquel l’exploitation nord-américaine d’hydrocarbures non conventionnels est jugée moins rentable. Les seuils sont néanmoins très variables d’une région à l’autre : autour de 60 dollars par baril, parfois moins, sur la formation de Bakken, dans le Dakota du Nord, plutôt 85 dollars par baril sur le bassin de Woodford, à cheval entre le Texas et l’Oklahoma. Le déplacement de l’équilibre des prix engendrerait donc surtout des effets de substitution internes, sans affecter le volume global de production. Pour modifier radicalement la donne, il faudrait que le contre-choc dure, voire s’amplifie ; il y a finalement peu de raison de croire à une remontée des cours du brut, du moins jusqu’à la prochaine réunion de l’Opep, prévue en juin 2015.

Le PIB de l’Europe rehaussé de 0,3 point

Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, indiquait récemment que la baisse des prix du pétrole était « sans ambiguïté » profitable à la zone euro, en premier lieu parce qu’elle a pour conséquence directe de faire baisser la facture énergétique3. En 2013, les Dix-Huit ont consacré 337 milliards d’euros à régler leur note de pétrole importé ; au quatrième trimestre de 2014, ils auraient déjà économisé sur celle-ci l’équivalent de 0,2 point de PIB.

A l’horizon d’un an, les différents modèles macro-économétriques convergent pour évaluer à +0,3 point de PIB environ le surcroît d’activité qui, en Europe, résulterait d’une baisse de 30% des prix du pétrole4. La mécanique est simple : à court terme, le choc fait reculer les prix de l’énergie (essence à la pompe, fuel domestique, gaz…) comme de certains services (transports…). Les salaires nominaux étant rigides à la baisse, le pouvoir d’achat des ménages s’en trouve renforcé, ce qui stimule la consommation, donc l’activité. Pour les entreprises, la modération des prix du pétrole entraine celle du coût des intrants et une augmentation des marges.

L’investissement, l’emploi, réagissent positivement. Dans les modélisations dites « réalistes », tenant notamment compte des interactions au niveau mondial, l’effet a tendance à être amplifié. Certes, le recyclage des pétrodollars est freiné. Mais la propension à consommer les revenus, donc le multiplicateur, sont en moyenne plus élevés dans les pays qui achètent du pétrole que dans ceux qui en vendent. Le transfert de richesses n’est pas à somme nulle. Pour la France, il aboutit à un renforcement de la demande mondiale qui lui est adressée, et profite aux exportations.

D’après le modèle MESANGE5 de l’Insee, la réponse de l’économie française à une baisse du prix du brut serait malgré tout, assez limitée (+0,1 point de PIB au bout d’un an). On peut sans doute l’expliquer par le poids élevé des services (presque 80% de la valeur ajoutée des branches) et l’étendue du parc nucléaire (76% de la production d’électricité), qui font que celle-ci consomme relativement peu de pétrole en Europe. C’est aussi le cas de l’Allemagne, quoique pour d’autres raisons (recours intensif au charbon, développement des énergies renouvelables…). Un baril à 70 dollars profiterait surtout, au sud, à des pays tels que le Portugal ou l’Espagne, au Nord, à l’Irlande ou aux Pays-Bas.

Effet ambigu sur les prix

Dans l’indice harmonisé des prix à la consommation calculé par Eurostat, le poste « énergie » compte pour 9% ; il est par ailleurs largement constitué de taxes (60% du prix des carburants sans plomb en France, 70% en Italie…). Sa sensibilité aux variations des cours du brut est donc assez faible, de l’ordre de un pour dix. L’effet direct d’une baisse de 30% du prix du pétrole est donc -0,3 point d’inflation (-30% x 10% x 9%). L’effet indirect résulte de la diffusion du choc en aval, dans des secteurs tels l’agroalimentaire, les biens intermédiaires (acier, chimie, ciment…) ou encore les services de transport. Pour la zone euro, où les prix augmentent déjà très peu, la probabilité de voir l’inflation se rapprocher de zéro est élevée.

Y-a-t-il pour autant risque de déflation ? Le président de la BCE, Mario Draghi, a récemment exprimé sa vigilance quant au risque d’effets de « second tour », par lesquels une baisse au départ limitée des prix finit par s’autoalimenter en pesant sur la formation des salaires. L’évolution de leurs modes de détermination (désindexation totale ou partielle, décentralisation des négociations) fait toutefois que ces derniers apparaissent moins sensibles à l’évolution passée des prix. Il en ressort que les conséquences inflationnistes d’un choc pétrolier, ou désinflationnistes d’un contre-choc, sont atténuées.

Enfin, contrairement à celle du Japon, l’économie de la zone euro évolue sous son potentiel (l’écart négatif est évalué à 2,8 point de PIB par la Commission européenne) ; elle souffre par ailleurs d’un déficit de demande. Elle paraît donc mieux à même de répondre positivement à une baisse des cours du pétrole, ce qui, à nouveau, en limite les conséquences en termes de dynamique des prix. Pour en revenir à la boucle « prix-salaires », celle-ci intègre, dans la plupart des modèles macro-économétriques une courbe de Phillips. En cas de choc positif sur l’activité, l’emploi est stimulé, les salaires et les prix trouvent un soutien. L’effet désinflationniste initial s’atténue, jusqu’à disparaître totalement.

NOTES

  1. De 2008 à 2014, la demande mondiale de pétrole brut et gaz naturel est passée de 85,8 à 92,4 millions de b/j, soit une augmentation de 6,7 millions de b/j. La consommation chinoise, passée de 7,9 à 10,4 millions de b/j sur la même période, explique 37% de la hausse. Source : Agence internationale de l’énergie (AIE).
  2. 11,8 millions de b/j au troisième trimestre 2014 (pétrole brut et gaz naturel liquéfié) contre 9,6 millions de b/j pour l’Arabie saoudite et 10,8 millions de b/j pour la Russie. Source : AIE.
  3. “Oil prices have an obvious direct impact on the price of energy, and on that ground, the effect is unambiguously positive”. M Draghi, conférence de presse tenue à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs du 4 décembre 2014.
  4. D’après QUEST, le modèle macro-économétrique global développé par la Commission européenne, une baisse de 30% du prix du pétrole entraînerait, au bout d’un an, une hausse d’un peu plus de 0,3 point de pourcentage du PIB de l’Union européenne comme de la zone euro. Interlink, le modèle de l’OCDE, indique une réponse similaire, bien qu’un peu moins forte (+0,25 point de PIB dans la zone euro). Le modèle NiGEM, du National Institute for Economic and Social Research britannique, retient un impact un peu plus fort (+0,46 point de PIB en zone euro). Pour plus de détails : Sanchez M., 2008, “Oil shocks and endogenous markups, results from an estimated euro area DSGE model”, European central bank working paper series n°860, January. European Commission, 2011, Quarterly Report on the Euro Area, II/2011.
  5. Modèle Econométrique de Simulation et d’Analyse Générale de l’Economie.

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