Peut-on toujours vraiment parler de « déni français » ?

par Jean-Christophe Caffet, économiste chez Natixis

La Commission Européenne a rendu publiques ses recommandations à la France mercredi 29 mai. Celles-ci se déclinent autour de six domaines d’action prioritaires que sont la réduction du déficit public, la réforme du marché du travail, la baisse du coût du travail, la libéralisation des services, l’amélioration de la compétitivité et la simplification de la fiscalité. Copie quasi-conforme des recommandations adressées au cours des deux dernières années, c’est sans réelle surprise que le cru 2013 aura suscité les mêmes réactions, quasi-pavloviennes, de nombre d’observateurs pourtant supposés avisés.

Peut-on pourtant toujours vraiment parler de « déni français » ?

S’il ne s’agit évidemment pas de nier ici l’ampleur des problèmes, pour la plupart structurels, de l’économie française1, il nous semble toutefois que parler d’inertie gouvernementale en matière de réformes relève d’une forme de méconnaissance ou d’incompréhension du sujet, voire témoigne d’un profond manque de discernement. Rappelons d’ailleurs que la très injonctive Commission Européenne, par la voix d’Oli Rehn, a rendu hommage aux multiples chantiers ouverts par la majorité sortie des urnes en juin dernier : Pacte national pour la Compétitivité, la Croissance et l’Emploi (incluant les 20 Mds EUR de crédit d’impôt au titre du CICE2), Accord National Interprofessionnel (ANI), soutien aux activités de R&D, Loi de Finances pour 2013 semblent, entre autres, avoir trouvé grâce aux yeux des Autorités bruxelloises et de nos principaux partenaires européens.

Bien sûr, il n’est pas question non plus d’affirmer que tout a été fait et qu’il n’est plus besoin que d’attendre que ces réformes soient mises en œuvre et portent leurs fruits. L’ampleur de l’ajustement (budgétaire, externe…) est tel qu’il ne peut s’agir là que de premiers pas. Des premiers pas de sept lieux néanmoins si l’on songe aux politiques économiques menées en France depuis plus de quarante ans, par une majorité qui n’a en outre pas encore fêté son premier anniversaire et dont les mesures adoptées dès sa prise de fonction pouvaient, à juste titre, susciter quelque interrogation sur son degré de lucidité.

Ces quelques progrès étant parfois reconnus, le reproche le plus couramment entendu est alors celui du rythme retenu : comparativement aux gouvernements des autres pays dits du « Sud » (Espagne, Portugal, plus récemment Italie…), l’exécutif français ferait preuve d’une relative mollesse et ne tarderait que trop à décider. S’il est absolument incontestable que le rythme de réforme adopté dans les pays « périphériques » est bien plus élevé qu’en France – et qu’à ce titre la France pourrait bientôt perdre du terrain au profit de ses partenaires et concurrents européens – l’argument fait l’impasse sur deux principaux faits : tout d’abord, et à la différence de ses partenaires du « Sud », la France continue de bénéficier de conditions de financement (très) favorables, preuve, si ce n’est d’une confiance aveugle des marchés, du temps dont dispose le pays pour se réformer. Dans ces conditions, un ajustement du type de ceux que s’infligent (ou ont été infligés) le Portugal, l‘Espagne et l’Italie ne semblent pas le plus à propos. D’autant, c’est là le deuxième point, que l’approche retenue par le gouvernement français – dans la concertation avec les partenaires sociaux – nous semble davantage gage d’acceptabilité par l’opinion, avantage qu’il s’agirait de ne pas négliger à l’heure où l’euroscepticisme et la montée des populismes, de droite comme de gauche, en France comme ailleurs en Europe, continuent irrésistiblement de progresser.

Notre perception de l’action gouvernementale désormais clarifiée, le regard que nous portons sur l’économie française n’a pour sa part pas changé. Nos prévisions restent empreintes d’un certain pessimisme à court et moyen termes, reflet de l’ampleur de l’ajustement à réaliser (désendettement des agents, partage des revenus dans le secteur privé…)3. Un ajustement que devrait permettre la bonne conduite des réformes, certes jusqu’ici insuffisantes, menées par le gouvernement français. Précisons pour finir que le rééquilibrage du modèle de croissance français reste à nos yeux l’inévitable prix à payer pour motiver des perspectives de croissance de long terme plus engageantes, en un mot pour nourrir une forme d’optimisme à laquelle se refusent les observateurs de l’économie française les moins avisés.

NOTES

  1. Problèmes structurels sur lesquels nous sommes déjà abondamment revenus. Voir, par exemple : Flash n°2011-619 : Les problèmes structurels qui font douter de la capacité de la France à retrouver de la croissance ; Flash n°2012-734 : Les « atouts » de la France ; Flash 2012-767 : France : ça allait finir par se voir ;
  2. Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi
  3. Voir Flash n°2013-412 : Combien de temps une croissance très faible en France ?

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