par Stéphane Monier, Directeur des investissements chez Lombard Odier
- La croissance mondiale a dopé la demande de matières premières, provoquant une hausse des cours de l’énergie et des métaux industriels plus rapide que celle des autres actifs
- Le pétrole est l’actif qui a connu le rebond le plus important face à la pandémie. Les capacités de production seront mises à l’épreuve en 2022, tandis que les développements géopolitiques continueront à influencer le prix du gaz naturel
- Les investissements publics prévus dans les infrastructures et les technologies de transition soutiendront la demande de métaux industriels
- Au vu du repli de l’inflation que nous anticipons, les cours actuels de l’or paraissent élevés. Nous privilégions les métaux industriels et les entreprises liées à l’économie réelle, comme l’industrie, les matières premières et l’énergie.
L’achat d’un véhicule électrique est un bon investissement… dans les matières premières. Le prix du cuivre a plus que doublé depuis le début de la pandémie et une voiture électrique en contiendrait en moyenne plus de 80 kilos. Alimenté par la reprise, l’indice agrégé des prix des métaux industriels, étain inclus, surpasse celui des actions depuis mars 2020, tandis que les pénuries et les tensions géopolitiques ont contribué au plus fort bond du coût de l’énergie depuis des décennies.
La croissance record des économies développées et émergentes a stimulé la demande de matières premières, nécessaires pour relancer les projets en matière de construction, de maintenance, de voyage et de consommation, en stagnation durant la pandémie. La hausse des cours a poussé l’inflation des prix à la consommation à son plus haut niveau depuis 40 ans, ce qui a incité la Réserve fédérale américaine à accélérer la réduction de ses achats d’actifs d’urgence et à avancer ses plans de relèvement des taux d’intérêt.
Les humains utilisent le cuivre depuis près de 11 000 ans. À USD 4,42 la livre, le coût du cuivre brut dans une voiture électrique dépasse aujourd’hui USD 800. Au-delà des moteurs électriques, ce métal entre dans la composition des téléphones portables, des scanners d’imagerie par résonance magnétique (IRM) et des lubrifiants pour moteurs. Les récentes hausses de cours découlent de l’augmentation de la production manufacturière en Chine, qui a réduit les stocks de cuivre du pays à des niveaux bas records. Avec l’assouplissement de la politique monétaire visant à stimuler l’économie chinoise, la demande devrait perdurer. Nous pensons que le prix du cuivre restera élevé en termes historiques, avec une demande industrielle allant augmentant et une offre minière qui pourrait peiner à la suivre.
Les utilisations liées à la transition énergétique intensifient également la demande de cuivre. La décarbonisation et les nouveaux programmes d’infrastructure dépendent tous du cuivre pour le câblage, les tuyaux de plomberie, les éléments de refroidissement et de chauffage. Eu égard aux améliorations apportées au réseau électrique et à l’utilisation des énergies éolienne et solaire, on estime que la demande annuelle de ce métal pourrait se voir multipliée par quatre au cours de cette décennie.
Le cuivre n’est pas la seule matière première à avoir surpassé les autres classes d’actifs ces deux dernières années. Le zinc, essentiel pour la galvanisation d’autres métaux afin de les empêcher de rouiller, a bondi de 95% depuis mars 2020, tandis que l’aluminium, utilisé dans la fabrication des roues des camions et des commandes de vol des avions, ainsi que dans la construction, a gagné plus de 100% depuis son plus bas de mai 2020.
L’étain aussi s’envole. Exploité pour la première fois il y a 5 000 ans en combinaison avec le cuivre pour donner naissance au bronze, l’étain est à la base des systèmes électroniques dont nous dépendons pour nous déplacer et communiquer. Environ la moitié de l’étain extrait dans le monde est utilisé pour les soudures destinées à la fabrication de plaques à circuits imprimés ou comme revêtement anticorrosion pour d’autres métaux. L’étain se négocie aujourd’hui à plus de USD 3 000 par tonne métrique, soit une hausse de 200% au cours des deux dernières années, ce qui motive les projets de relancer l’exploitation de l’étain en Cornouailles, au Royaume-Uni, pour la première fois depuis les années 1990.
Pétrole loin devant
Tandis que l’augmentation de la demande a porté les métaux industriels, les incertitudes géopolitiques et le faible niveau des stocks ont dopé les prix de l’énergie en général et du gaz naturel en particulier. Vu la faiblesse de l’approvisionnement en gaz naturel, les prix resteront probablement élevés et sensibles aux conditions météorologiques. Avec encore deux mois d’hiver dans l’hémisphère nord, la vague de froid aux États-Unis a poussé le prix du gaz naturel à USD 4,96 par unité thermique britannique (MMBtu), soit une hausse d’un tiers depuis le début de l’année, ce qui en fait la matière première la plus performante de janvier. En Europe de l’Ouest, le temps clément a contribué à une stabilisation des prix, mais à des niveaux près de cinq fois plus élevés qu’aux États-Unis, avec une prime supplémentaire liée au risque géopolitique que constitue l’impasse en Ukraine. À moyen terme, le gaz naturel est considéré comme une alternative temporaire aux sources d’énergie polluantes comme le charbon. C’est pourquoi, au-delà des tensions géopolitiques, nous ne voyons pas les prix du gaz retomber aux niveaux d’avant la pandémie, car la demande continuera à répondre aux plans des gouvernements en matière de changement climatique.
La croissance économique continuant à stimuler la demande, le pétrole brut a désormais atteint son niveau le plus élevé depuis plus de sept ans. La semaine dernière, le Brent s’est négocié à un prix supérieur à USD 92 le baril, faisant du pétrole l’actif qui se relève le mieux de la pandémie.
Les producteurs de pétrole ont balayé du revers de la main les inquiétudes concernant l’impact économique du variant Omicron dès décembre de l’année dernière : l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, plus les principaux pays non membres (OPEP+) tels que la Russie, ont maintenu leur projet d’augmenter chaque mois leur production de 400 000 barils par jour (bpj).
Néanmoins, 2022 mettra à l’épreuve la capacité du marché pétrolier. La production supplémentaire est limitée à une poignée de membres de l’OPEP : l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Irak et les Émirats arabes unis. Le pétrole iranien n’a toujours pas fait son retour sur le marché international en raison de l’impasse avec les États-Unis concernant son programme d’enrichissement nucléaire. Nous prévoyons que la capacité de l’OPEP tombera en dessous de sa moyenne de long terme au deuxième trimestre de cette année et que, dans le contexte économique et géopolitique actuel, les prix resteront élevés et volatils. Nous maintenons notre objectif à court terme d’environ USD 80 le baril.
La production pétrolière russe n’a progressé que de 2,4% en 2021, pour atteindre une moyenne de 10,52 millions de bpj, et en janvier la production a augmenté de 0,7% comparativement au mois précédent. Ce chiffre est inférieur à l’accord OPEP+, qui permet au pays, troisième producteur mondial, de revenir à ses niveaux de production prépandémiques de 11,5 bpj en avril ou mai de cette année.
Contrôle de qualité et valeur minière
Les inquiétudes à l’origine de nombreuses hausses de prix des matières premières concernent aussi bien la qualité que la quantité. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a signalé que la qualité d’un certain nombre de matières premières avait baissé. La qualité du cuivre chilien, par exemple, a diminué de près d’un tiers au cours des quinze dernières années, ce qui nécessite des méthodes de production plus intensives pour extraire le minéral du minerai. Selon l’AIE, il s’ensuit un coût environnemental en termes d’énergie, d’émissions de gaz à effet de serre et d’augmentation du volumes des déchets.
À plus long terme, les autorités américaines, chinoises et de l’Union européenne ont toutes planifié des investissements massifs dans les infrastructures afin de stimuler leurs économies tout en accélérant la transition vers des technologies neutres en carbone. Ces efforts soutiendront la demande de métaux industriels, tandis que le recul de l’inflation pèsera sur la demande de couvertures traditionnelles telles que l’or.
Cette année, la remontée des taux réels et l’appréciation du dollar américain deviendront les principaux déterminants du cours de l’or. À court terme, l’inflation élevée et la perspective d’une hausse des taux américains soutiendront ce dernier. Toutefois, nous prévoyons que les pressions qui ont récemment emmené l’inflation à des sommets, s’atténueront tout au long de 2022, ce qui ramènera la hausse de l’indice de base des prix à la consommation entre 2,5% et 3% aux États-Unis cette année.
Partant, nous nous attendons à ce que l’or soit volatil et commence à décliner, pour retomber à près de USD 1 600 /l’once à l’approche du début du relèvement des taux directeurs par la Fed. Les cours actuels semblent donc élevés et offrent l’opportunité de réduire les positions détenues en portefeuille, quand bien même celles-ci sont déjà sous-pondérées. Au lieu de quoi, afin de gérer les risques d’inflation, nous continuons à privilégier les indices globaux de matières premières, qui permettent de s’exposer à un large panier de métaux industriels, dont le cuivre, le zinc, l’aluminium et le nickel.
Dans un contexte de prix des matières premières élevés, nous sommes attentifs à l’impact environnemental des nouvelles exploitations minières et aux signes de « nationalisme des ressources naturelles » en Amérique latine, en particulier s’agissant du cuivre. Plus spécifiquement, les gouvernements de la région commencent à évoquer une hausse des taxes sur les entreprises minières. Pendant ce temps, en Europe, deux projets très médiatisés d’extraction de lithium ont été rejetés par le Portugal et la Serbie pour des motifs environnementaux. Les facteurs géographiques ont clairement leur importance et, par conséquent, une gouvernance de grande qualité est essentielle pour tout investisseur en actions.
Ces derniers mois, les titres des sociétés actives dans le secteur des matériaux ont eu notre préférence. Nous avons privilégié les valeurs minières diversifiées qui offrent une exposition à plusieurs matières premières au détriment d’expositions à des métaux industriels individuels. Nous apprécions également les métaux exposés aux technologies propres, comme le nickel et le cuivre.
Dans le secteur de l’énergie, les prix du pétrole et du gaz reflètent un resserrement de l’équilibre entre l’offre et la demande. Au-delà des incertitudes géopolitiques actuelles, les fondamentaux semblent favorables à moyen terme. C’est pourquoi nous sommes exposés aux producteurs de pétrole et surtout de gaz qui cherchent à passer à des sources d’énergie plus propres et offrent une couverture contre l’inflation liée aux matières premières. En outre, nous voyons de la valeur dans la chaîne d’approvisionnement énergétique.
Dans l’ensemble, avec la hausse des taux d’intérêt et l’augmentation des coûts de financement, la qualité et la rentabilité des entreprises vont se raréfier. Dans cet environnement, nous pensons que les investissements étroitement liés à l’économie réelle sont les plus judicieux.
Naturellement, quiconque souhaitant viser plus haut que les matières premières d’une voiture électrique, peut acquérir l’un des derniers Boeing 747 issus des chaînes de production en 2022. Ce « jumbo jet » original contient quelque 9 000 livres de cuivre, dont près de 193 kilomètres de câbles.