par Philippe Waechter, Directeur recherche économique de Natixis AM
Les interrogations sur la Grèce se font plus pressantes. Les investisseurs s'interrogent, provoquant une dynamique des marchés financiers incertaine. L'environnement macroéconomique grec est dégradé, l'activité baisse sans discontinuer depuis 2009 et le chômage augmente rapidement. Dans ce contexte, les élections générales du 6 mai 2012, ne dégageant pas de majorité et donnant un poids forts aux partis extrêmes, ont reflété le malaise de la société grecque dans cet environnement dégradé.
Cela a été le catalyseur d'une nouvelle perception de la place de la Grèce au sein de la zone euro. En effet, ces élections ont mis en avant l'absence de consensus quant à la politique d'austérité menée par les différents gouvernements sous l'égide de la Troïka (Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et Fonds Monétaire International). Ce changement de perspectives a renouvelé les interrogations sur la Grèce qui est, depuis l'automne 2009, le "caillou dans la chaussure" européenne.
Aucun gouvernement n'a pu être mis en place. Dès lors, de nouvelles élections auront lieu le 17 juin. Les tensions vont être extrêmes au moins jusqu'à cette date. Les sondages ne sont pas encore décisifs mais ils ne montrent pas d'inversion par rapport aux tendances constatées lors des élections générales. Le leadership se partage entre le parti de centre droit "Nouvelle Démocratie" et le parti de gauche "Syriza", au-delà du "Pasok", le parti socialiste. Le "Pasok", parti de Monsieur Papandréou, est en net retrait par rapport aux deux autres. Ces deux leaders s'opposent sur les mesures d'austérité supportées par l'économie grecque. Cependant, aucun des deux ne remet en cause l'appartenance à la zone euro.
L'aide de la Troïka à la Grèce est conditionnée au respect d'engagements sur l'équilibre à terme des finances publiques. La dureté des plans mis en œuvre ont engendré le repli de l'activité grecque provoquant le risque d'instabilité politique observé depuis les élections. L'enjeu est aujourd'hui de savoir si cette option de rééquilibrage rapide des finances publiques est viable ou pas et si le non respect de ces engagements se traduirait par un arrêt des aides à la Grèce provoquant, de fait, le défaut de l'État grec puis sa sortie probable de la zone euro.
Trois types d'arbitrages envisagés
– Un arbitrage économique
La sortie de la Grèce de la zone euro se traduirait par une dépréciation forte de sa nouvelle monnaie (au moins 50 %), un choc négatif sur l'activité (le FMI évoque un recul de 10 %) et une hausse significative et durable de l'inflation. L'espoir est de retrouver une meilleure compétitivité, de capter davantage la dynamique du commerce mondial et finalement de se replacer sur une trajectoire plus robuste. Cependant, les exportations représentent un poids réduit dans l'activité face aux importations qui sont bien plus importantes. Le choc pour le consommateur grec est fort. La base industrielle réduite limite la capacité d'un redressement industriel rapide susceptible de dégager de la productivité et des revenus. Le rebond d'une dévaluation ne serait peut-être pas aussi robuste qu'attendu.
Pour les européens, le choc pourrait être important même si la Grèce ne représente qu'un poids limité dans les exportations (en moyenne 1 % des exportations des pays de la zone euro). Néanmoins, une sortie de la Grèce se traduirait par des pertes pour les pays ou les institutions détenant des actifs grecs, provoquant ainsi des ajustements supplémentaires pénalisant l'activité.
Par ailleurs, cela engendrerait un choc d'incertitude fort sur le mode de fonctionnement de la zone euro. Cette inquiétude pourrait peser sur les comportements d'investissement productif pénalisant ainsi la croissance à long terme. De plus, des effets de contagion pourraient être perçus, accentuant ainsi le sentiment d'une maîtrise limitée de la situation par les autorités européennes. L'impact serait alors durable sur l'activité.
– Un arbitrage financier
La Grèce a des engagements vis-à-vis du reste du monde. Elle a reçu des aides de la part du Fonds de Stabilisation Européen, du FMI ou de divers gouvernements. Les opérations des banques grecques se sont traduites, naturellement, par des actifs mis en pension dans le Système Européen de Banques Centrales. Si la Grèce venait à faire défaut, ces montants seraient singulièrement dépréciés et la perte élevée pour les européens non grecs. Les perturbations engendrées auraient alors un impact durable.
Les européens ont mis en place des instruments pour faire face à des fragilités de ce type. Le Fonds Européen de Stabilité et le Mécanisme Européen de Stabilité (sous réserve de ratification) pourraient disposer d'une puissance de feu de 750 Milliards d'euros à terme. À cette somme considérable s'ajoute la contribution du FMI pour un montant global avoisinant les 1 000 Milliards d’euros. Ainsi, les effets directs d'un défaut et/ou d'une sortie de la Grèce seraient susceptibles d'être absorbés. Toutefois, l'Histoire ne peut s'arrêter à cet arbitrage puisque l'on doit envisager des effets de contagion vers d'autres pays tels l'Espagne ou l'Italie. Dès lors, il n'est pas certain que les montants en jeu soient suffisants et la BCE aurait à intervenir pour stabiliser la situation.
– Un arbitrage politique
La Commission Européenne ne souhaite pas créer un précédent avec la sortie d'un pays de la zone euro. Cette situation est d'autant plus problématique que les textes indiquent qu'une sortie de la zone euro serait accompagnée d'une sortie de l'Union Européenne. Ce phénomène serait d’autant plus déstabilisant que les institutions européennes sont d'abord des constructions politiques. La possibilité d'une sortie pourrait remettre en cause le fondement de ces institutions et inciter d'autres pays à sortir. C'est la combinaison de ces trois arbitrages (économique, financier et politique) qui donnera le ton sur la façon dont la Grèce et la zone euro vont fonctionner. La Grèce serait fragilisée par une sortie mais la zone euro aussi, il pourrait donc y avoir un terrain de négociations. Ce qui est certain, c’est que les européens non grecs doivent négocier pour modifier les institutions grecques afin que celles-ci deviennent plus robustes et plus efficaces. C'est une condition nécessaire à la croissance et elle n'est pas remplie aujourd'hui. S'il n'y a pas cette exigence des européens, il est quasi certain que le même scénario se reproduira dans deux ans.
La Grèce sortira-t-elle ou pas de la zone euro ?
On rentre sur ce point dans le domaine des conjectures. Les économies européennes ne sont pas très robustes et l'emploi y progresse peu. Est-on prêt à absorber un choc potentiellement de grande ampleur avec la sortie de la Grèce ? Cependant, peut-on se satisfaire d'une situation de croissance limitée dont l'origine est probablement dans les dysfonctionnements de la zone euro et sur lesquels la Grèce a eu un impact majeur et durable ?
La sortie de la Grèce pourrait laisser imaginer un retour à la croissance. La zone euro a besoin de réformer ses institutions, c'est une des leçons de cette crise. Doit-elle y associer la Grèce ? C’est la question majeure à court terme qui sera conditionnée par le résultat des élections du 17 juin.
Quels scenarii sont envisageables ?
En préalable, la situation grecque s'améliore sur ses finances publiques avec un solde budgétaire primaire (solde hors paiement des intérêts) tendant vers l'équilibre (- 1 % du PIB en 2012 dans les prévisions du printemps de la Commission Européenne contre – 10,4 % en 2009). Cet effort est important mais le solde extérieur est encore déficitaire de l'ordre de 8 % du PIB, selon la Commission, en 2012. Ce déséquilibre reflète un besoin de financement de la Grèce par l'extérieur. Cela signifie bien que la Grèce a encore besoin d'aide.
Le premier scénario est le plus favorable avec une victoire large des partis de gouvernement ("Nouvelle Démocratie" et "Pasok") lors des élections du 17 juin. Le sentiment de la "rue" a changé et un gouvernement peut être constitué. La Grèce ne sort pas de la zone euro et le gouvernement peut négocier un ajustement des conditions de rééquilibrage budgétaire afin de permettre, à terme, de stabiliser l'activité. Si une telle négociation échouait, de nouvelles tensions réapparaîtraient rapidement. Ce schéma doit aussi s'accompagner d'une modernisation des institutions afin de ne pas se retrouver de nouveau confronté aux mêmes questions dans deux ans.
Le deuxième scénario est celui d'une majorité réduite des partis de gouvernement. Les partis extrêmes ont encore un poids significatif. Pour se stabiliser, le gouvernement doit négocier avec la Troïka et probablement restructurer ses engagements. L'objectif est d'éviter que la "rue" ne vienne en retour déstabiliser le gouvernement en place. Le gouvernement est contraint par l’étroitesse de la majorité. Là aussi, la mise en place de nouvelles institutions est nécessaire.
Le troisième scénario est celui d'une absence de majorité des partis de gouvernement, d’où l’incertitude de former un gouvernement stable dans le temps. Le risque alors pour le gouvernement est d'être rapidement contraint sur sa liquidité et être ainsi tenté de sortir de la zone euro. La première étape serait donc le défaut et la seconde la sortie de la zone euro. Cette dernière pourrait s’envisager de 2 manières :
- soit la sortie prend du temps et laisse à chacun le soin de l'organiser ;
- soit la sortie est immédiate et ne permet pas de mettre en place les firewalls prévus. La contagion serait alors brutale, profonde et violente. Le choc sur la zone euro serait considérable.
Le premier et le troisième scenarii sont ceux qui nous paraissent les moins probables (le premier scénario n'est d'ailleurs pas repris dans la suite du document). Quant à la probabilité du maintien de la Grèce au sein de la zone euro, elle nous apparaît comme étant la plus forte. Un préalable néanmoins : il faudra que la zone euro et la Grèce renouvellent leurs institutions et leur mode de gouvernance pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise.