Politiques non conventionnelles : le tour de la Fed

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Après la Banque Centrale Européenne la semaine dernière1, c’est au tour de la Réserve Fédérale américaine de passer à l’acte. Les Minutes du FOMC du 1er août avaient déjà révélé que plusieurs membres de la Fed étaient en faveur d’un assouplissement monétaire plus marqué et que différentes options avaient été discutées.

L’amélioration des nouvelles macroéconomiques au mois d’août (ISM, créations d’emplois de juillet, marché immobilier,…) avait réduit la probabilité de la mise en place d’une troisième vague de politique quantitative (« quantitative easing QE3 ») dès septembre. C’était sans compter sur la publication la semaine dernière d’une batterie de statistiques décevantes (ISM, créations d’emplois du mois d’août). Si le report de la date de la première hausse des taux à mi-2015 (vs fin 2014) était largement attendu, la Fed va plus loin en mettant en avant que la politique monétaire restera fortement accommodante pendant une longue période après le début de la reprise économique.

Par ailleurs, la Fed a également annoncé qu’elle allait continuer à soutenir l’économie via une nouvelle hausse de son bilan. Contrairement aux précédents QE, la Fed n’a pas annoncé de montant global ni de période déterminée, elle a juste précisé qu’elle achèterait 40Md$ par mois de MBS d’agences et qu’elle évaluerait la situation dans les mois qui viennent. Elle s’est engagée à poursuivre, voire à étendre les achats à d’autres actifs si nécessaire. Elle maintient également l’opération twist et les réinvestissements des tombées de MBS en de nouveaux MBS.

Autre nouveauté, la Fed conditionne son action à l’évolution du marché du travail, suggérant un changement implicite dans l'équilibre de ses objectifs, c'est à dire qu'elle est prête à accepter un peu plus d'inflation, ce qui sous entend que ses achats peuvent être illimités, à l’image de la BCE. Parmi les membres du FOMC, sans surprise seul J Lacker s’est prononcé contre les nouvelles mesures. L’objectif de la Fed est de maintenir les taux courts (avec le report de la date) et les taux longs à un faible niveau et d’encourager les investisseurs à se reporter sur des actifs plus risqués.

Aux Etats-Unis, comme en Europe, le canal du crédit, principal canal de transmission de la politique monétaire dans le passé, reste inopérant. Comme nous l’avons maintes fois mis en avant, lorsque le secteur privé se trouve dans une phase de désendettement, tenter de stimuler l’économie avec le crédit est inefficace. Est-ce à dire que les décisions de politique monétaire sont complètement inutiles ?

En premier lieu, les politiques menées depuis la faillite de Lehman ont atténué les crises de liquidité et ont évité une déstabilisation du système financier. Elles ont également sensiblement atténué le risque bancaire.

Par ailleurs, dans le cas de la zone euro, la mise en place de l’OMT (Outright Monetary Transactions), si elle ne règle pas tous les problèmes, a le mérite de soulager les pays en difficulté. En permettant la détente des taux d’intérêt payés par ces pays, elle améliore leur solvabilité mais aussi les conditions de financement de nombreux agents. Aux Etats- Unis, les nouveaux achats prévus par la Fed ainsi que la poursuite de l’opération twist vont permettre de maintenir les taux longs à un faible niveau et de soutenir le marché immobilier.

Outre son impact sur les conditions de financement, l’assouplissement de la politique monétaire des deux côtés de l’Atlantique a entraîné un retour des investisseurs vers des actifs plus risqués et favorise ainsi les effets richesse. En revanche, le canal du taux de change est plus aléatoire puisque les deux banques centrales annoncent des mesures d’accommodation monétaire.

Les politiques non conventionnelles ne sont pas sans risque. Celui le plus souvent mis en avant est celui du retour de l’inflation avec en toile de fond l’idée du lien entre masse monétaire et inflation. Ce lien peut devenir très tenu lorsque l’économie tourne en sous-capacités, ce qui est actuellement le cas en zone euro et aux Etats-Unis. En revanche, la progression de la base monétaire a un effet haussier sur le prix de certains actifs qui peut conduire à la création de bulles. Se pose également le risque de pertes pour les banques centrales si les actifs achetés et portés au bilan perdent de la valeur. Une banque centrale n’a pas de passif exigible mais en théorie cependant les pertes en capital doivent conduire à une augmentation de capital de la banque centrale. Par ailleurs, les actions des banques centrales peuvent créer des distorsions sur les marchés et la diminution de la taille du bilan pourrait poser des problèmes. Enfin, le principal risque que nous voyons à la hausse du bilan d’une banque centrale est celui de la perte de confiance dans la monnaie mais il est atténué par le fait que toutes les grandes banques centrales mènent actuellement des politiques monétaires non conventionnelles de grande ampleur.

NOTES

  1. Cf. Edito du 7/09/12 « Après les paroles, la BCE passe à l’acte ».

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