Pologne : pas de vide institutionnel après la tragédie

par Alexandre Vincent, économiste chez BNP Paribas

  • Plusieurs personnalités de premier plan, dont le président Kaczynski et le gouverneur de la banque centrale, Slawomir Skrzypek, ont péri dans un accident d’avion dans l’ouest de la Russie le samedi 10 avril. Il s’agit là d’une tragédie nationale, mais les marchés n’ont pas marqué de réaction à cette nouvelle
  • Des dispositions constitutionnelles assurent la continuité de l’Etat dans ces circonstances. Toutefois, on devrait assister à moyen terme à des évolutions significatives dans le paysage politique du pays.
  • Une élection présidentielle anticipée va donc avoir lieu au mois de juin, mais elle ne devrait pas avoir d’influence sur la politique économique du pays, de par la nature essentiellement parlementaire du régime et l’absence de liens entre la vie politique et les fondamentaux économiques en Pologne.

par Alexandre Vincent, économiste chez BNP Paribas

  • Plusieurs personnalités de premier plan, dont le président Kaczynski et le gouverneur de la banque centrale, Slawomir Skrzypek, ont péri dans un accident d’avion dans l’ouest de la Russie le samedi 10 avril. Il s’agit là d’une tragédie nationale, mais les marchés n’ont pas marqué de réaction à cette nouvelle
  • Des dispositions constitutionnelles assurent la continuité de l’Etat dans ces circonstances. Toutefois, on devrait assister à moyen terme à des évolutions significatives dans le paysage politique du pays.
  • Une élection présidentielle anticipée va donc avoir lieu au mois de juin, mais elle ne devrait pas avoir d’influence sur la politique économique du pays, de par la nature essentiellement parlementaire du régime et l’absence de liens entre la vie politique et les fondamentaux économiques en Pologne.
  • Il se pourrait que l’indépendance de la banque centrale soit mise à l’épreuve dans les mois qui suivront la nomination de son prochain gouverneur.

 

 

Quatre-vingt seize personnes, dont le président Lech Kaczynski, tout le haut commandement des forces armées, 4 ministres délégués, 18 députés et le gouverneur de la banque centrale, Slawomir Skrzypek, ont trouvé la mort samedi 10 avril lorsque le Tupolev-154 qui les transportait s’est écrasé dans le brouillard en tentant d’atterrir sur une base aérienne proche de Smolensk, dans l’ouest de la Russie1. Les cérémonies de la semaine dernière à Katyn avaient donné lieu à une rencontre entre le Premier ministre polonais, Donald Tusk, et son homologue russe, Vladimir Poutine.

Des changements politiques et institutionnels

Les dispositions constitutionnelles garantissent qu’il n’y aura pas de vacance du pouvoir. Le président de la chambre basse du Parlement, Bronislaw Komorowski, devient président de la République par intérim et jouit des mêmes compétences que son prédécesseur, sauf qu’il ne peut convoquer d’élections anticipées. Il annoncera le 21 avril la date de l’élection présidentielle anticipée, qui se tiendra au plus tard dans les 60 jours suivants. Plus précisément, le premier tour devrait avoir lieu le 20 juin, alors que l’élection était normalement prévue pour la fin de l’année, fin septembre ou début octobre.

Comme le nouveau gouverneur de la banque centrale doit être nommé par le président d’ici à 90 jours, il est probable qu’il sera choisi par Bronislaw Komorowski avant le scrutin, vu le peu de temps qu’il restera après cette date. En attendant, le gouverneur adjoint de la Banque nationale de Pologne, Piotr Wiesiolek, assumera la fonction de gouverneur par intérim. Le conseil de politique monétaire vient d’adopter un avis selon lequel Piotr Wiesiolek présidera ses prochaines réunions et aura le droit de vote.

Cette catastrophe aérienne transforme le paysage politique polonais. Premièrement, elle met fin à une cohabitation tendue entre Lech Kaczynski (parti Droit et Justice, PIS, c’est-à-dire la droite conservatrice) et Donald Tusk (Plate-forme civique, autrement dit la droite libérale). De fait, Bronislaw Komorowski est membre de la Plate-forme civique et a d’ailleurs été désigné pour porter les couleurs de son parti à l’élection présidentielle. Par ailleurs, Droit et Justice a été profondément affecté par ce crash puisque nombre de ses dirigeants y ont trouvé la mort. Lech Kaczynski était candidat à sa propre succession et d’aucuns spéculent sur une éventuelle candidature de son frère jumeau, l’ancien Premier ministre Jaroslaw Kaczynski, malgré son chagrin. Un autre candidat, Jerzy Szmajdzinski (SLD, social-démocrate), a péri dans l’accident. Etant donné le deuil national, la campagne électorale devrait être placée sous le signe de la sobriété, l’accent étant mis sur les débats de fond et les considérations personnelles étant reléguées au second plan.

Quoique le parti Droit et Justice bénéficie d’un regain de sympathie étant donné les circonstances, Bronislaw Komorowski demeure l’un des grands favoris pour cette élection, mais il aura fort à faire jusqu’au scrutin, ayant à gérer deux présidences tout en menant campagne. Les élections parlementaires auront ensuite lieu en 2011.

En matière de politique étrangère, paradoxalement, la tragédie de Smolensk pourrait être l’occasion d’un nouveau départ pour les relations entre Pologne et Russie. L’antagonisme multiséculaire entre les deux nations était particulièrement flagrant dans de nombreux domaines depuis quelques années, la Pologne s’opposant tout particulièrement au gazoduc North Stream. Elle devait, en outre, s’intégrer au projet américain de bouclier antimissile. L’abandon de ce projet par le Président Obama dans le contexte d’un réchauffement des relations russo-américaines a abouti à une légère réorientation des équilibres géostratégiques dans la région. Dans ce contexte, les autorités comme la population russes ont fait montre d’une sympathie réelle envers la nation polonaise, dont elles partagent la tristesse. Cette configuration pourrait ouvrir la voie à une amélioration des relations entre les deux pays.

Une politique économique qui devrait rester inchangée

Cette tragédie n'aura aucune conséquence sur la politique budgétaire, qui devrait rester accommodante au long des prochaines années. De fait, bien que la Pologne ait été le seul Etat membre de l’UE à échapper à la récession l’an dernier, sa reprise s’annonce modeste au regard des 5% de croissance qu’elle a enregistrés en 2008 (l’an dernier le PIB s’est accru de 1,7%, et l’on peut espérer 2,5% en 2010). La production industrielle et les exportations ont rebondi entre le T2 09 et le T4 09, mais elles ont marqué le pas au début de 2010, et le taux de chômage s’est propulsé à 12,9% en mars 2010. De plus, la politique budgétaire expansionniste traduit la volonté de profiter à plein des financements de l’UE, ce qui demande de la part de l’État national ou des collectivités locales un pré- ou un cofinancement des projets. Dans ces conditions, le déficit budgétaire a atteint 6,6% du PIB l’an dernier et le gouvernement a aujourd’hui du mal à le stabiliser pour freiner la dérive de la dette publique, qui pourrait approcher, voire dépasser, dès l’an prochain, le plafond de 55% du PIB fixé par la Constitution.

La nomination à la banque centrale d’une personnalité éventuellement plus proche du gouvernement pourrait mettre son indépendance à l’épreuve. Mais il n’est pas prévu que la politique monétaire, en tant que telle, soit modifiée bien que M. Skrzypek, doté d’un double vote en cas de partage des voix, ait eu la réputation d’être partisan d’une politique monétaire accommodante. Par ailleurs, dans les dernières semaines, le gouverneur Slawomir Skrzypek, qui avait été nommé par feu le président Lech Kaczynski, était entré en conflit ouvert avec six nouveaux membres du comité de politique monétaire proches de la coalition gouvernementale, après qu’une majorité du comité avait voté une modification du mode de calcul du bénéfice net de la banque. La loi polonaise l’oblige à reverser automatiquement 95% de son bénéfice à l’Etat, mais le calcul de son montant a fait l’objet d’une vive controverse, le gouverneur Skrzypek l’estimant à PLN 4,2 milliards seulement, tandis que la majorité du comité l’évaluait à près du double. En outre, le gouverneur Skrzypek s’opposait à la prolongation de la ligne de crédit flexible de USD 20,5 milliards que le FMI avait accordée à la Pologne l’an dernier et qui expire en mai. Cependant, les récents événements ne sont pas appelés à affecter les marchés. A la nouvelle de la chute de l’avion, le rendement des obligations polonaises, les écarts de taux d’intérêt sur la dette souveraine et le taux de change n’ont pas bougé, ni dans un sens ni dans l’autre.

S’agissant de la politique de change, le gouverneur Skrzypek a géré une intervention directe le vendredi 9 avril, la première depuis que la Pologne a laissé flotter le zloty, en avril 2000. Le but de cette intervention était de modérer l’appréciation du zloty contre l’euro qui, aux yeux du gouvernement, devient un motif d’inquiétude pour la croissance économique.

Cependant, dans l’immédiat, une nouvelle intervention directe semble assez peu probable parce qu’une appréciation modérée pourrait être interprétée comme un signe de confiance dans la monnaie, ce qui est positif dans les circonstances actuelles. On doit ajouter, plus généralement, que la crise des derniers mois n’a pas ébranlé la confiance internationale et que les banques étrangères ont continué à financer leurs filiales locales. A long terme, le problème crucial est celui de l’adoption de l’euro par la Pologne. A ce propos, contrairement à la coalition au pouvoir, la banque centrale, sous la houlette de Slawomir Skrzypek, recommandait régulièrement de se garder de toute précipitation. Le nouveau gouverneur pourrait être plus proche de Donald Tusk, favorable à une entrée à bref délai dans la zone euro, mais de toute manière le gouvernement a été contraint de modifier ses plans au vu de la détérioration des finances publiques, si bien qu’il considère à présent que l’adoption de l’euro ne pourra avoir lieu avant 2015.

Au total, le risque pays ne sera pas affecté par la tragédie de Smolensk, même si elle entraîne des changements sur la scène politique. C’est un fait qu’en Pologne les paramètres fondamentaux de l’économie sont déconnectés de l’évolution politique et la redistribution des cartes dans ce domaine ne devrait pas affecter les grandes orientations de la politique économique.

NOTES

  1. La délégation allait commémorer l'exécution par le NKVD, en 1940, de 22 000 officiers et combattants civils de la Résistance polonaise. Moscou n’a reconnu avoir commis le massacre de la forêt de Katyn qu’en 1990, alors que l’Union soviétique l’avait longtemps imputé aux nazis.

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