Portugal : Doit faire ses preuves

par Catherine Stephan, économiste chez BNP Paribas

•  Le Parti socialiste n’a obtenu le soutien des partis de la gauche radicale au Parlement qu’en échange d’un assouplissement important de la politique budgétaire.

  Le gouvernement a proposé des mesures rectificatives qui ont conduit la Commission européenne à valider le plan budgétaire du Portugal le 5 février.

  Le Portugal restera cependant sous étroite surveillance. Les nouvelles orientations budgétaires du gouvernement ne lui permettront pas d’atteindre, en 2016, l’objectif de réduction du solde structurel fixé par la Commission.

Le projet de budget proposé par le Portugal le 22 janvier n’avait pas convaincu la Commission européenne. Celle-ci jugeait les hypothèses de croissance du gouvernement trop optimistes. Elle contestait par ailleurs l’estimation du solde structurel réalisée par le gouvernement portugais. Le 5 février, la Commission européenne a accepté, avec des réserves, le projet de plan budgétaire du Portugal pour 2016 après que le pays a accepté d’apporter des modifications au projet présenté le 22 janvier. Le Portugal restera cependant sous étroite surveillance. Les nouvelles orientations budgétaires du gouvernement socialiste ne lui permettront en effet pas d’atteindre, en 2016, l’objectif de réduction du solde structurel fixé par la Commission.

Pas de gouvernement, pas de budget

L’avis de la Commission européenne intervient tardivement. Chaque pays membre de l’Union européenne devait en effet remettre son projet budgétaire de l’année 2016 avant le 15 octobre 2015 afin que la Commission évalue leur conformité aux règles budgétaires européennes. La Commission avait cependant accordé un délai au Portugal en raison de la tenue d’élections générales dans le pays le 4 octobre dernier.

Les atermoiements avant qu’un nouveau gouvernement puisse être formé ont ensuite retardé le dépôt du projet de budget auprès de la Commission européenne. En effet, le nouveau gouvernement est entré en fonction le 26 novembre seulement. Le Parti socialiste, arrivé en deuxième position derrière l’alliance composée du Parti populaire et des sociaux-démocrates, a dû négocier longuement avant d’obtenir le soutien d’autres partis. Au final, la Coalition Démocratique Unitaire composée du Parti communiste portugais et du parti écologiste « Les Verts », ainsi que le parti radical Bloc de Gauche1, qui ne participeront pas au gouvernement, ne lui ont apporté leur appui au Parlement qu’en échange d’un assouplissement important de la politique budgétaire.

C’est ce soutien, pourtant nécessaire, qui complique la tâche du nouveau gouvernement socialiste. Le projet budgétaire remis à la Commission européenne le 22 janvier tente à la fois de répondre aux exigences des partis de la gauche radicale et à celles de la Commission européenne en matière budgétaire.

Le changement de cap du nouveau gouvernement

Le gouvernement prévoit, dans son projet, de revenir progressivement sur les baisses passées de salaires de la fonction publique et d’y organiser le retour aux 35 heures. Il souhaite également supprimer une partie de la surtaxe sur l’impôt sur le revenu, revaloriser certaines prestations sociales (Revenu d’insertion sociale, Supplément de solidarité aux personnes âgées, Allocations familiales) ainsi que les retraites inférieures à 628,82 euros, et baisser de 1,5 point le taux de cotisation sociale pour les bas salaires. Il entend par ailleurs accroître l’investissement public de 4% par rapport à 2015 et ramener la TVA dans la restauration à 13% (au lieu de 23% actuellement). Pour pallier l’effet de ces mesures sur les finances publiques, estimé à 0,7% du PIB, le gouvernement prévoit notamment de contrôler la consommation publique intermédiaire, s’engage à ne pas augmenter le nombre de fonctionnaires et à accroître les droits de timbre ainsi que la fiscalité sur les produits pétroliers et le tabac. L’effet positif de ces dernières mesures sur le solde public équivaut à 0,5% du PIB.

Au final, le projet remis le 22 janvier prévoit de ramener le déficit budgétaire à 2,6% du PIB en 2016, après 4,2% en 20152, et la dette publique à 126% du PIB, après 128,7% en 2015.

Une première mouture en deçà des attentes

Ce projet initial n’a cependant pas convaincu la Commission européenne. Celle-ci a jugé, d’une part, les hypothèses de croissance du gouvernement trop optimistes. Le gouvernement et la Commission prévoient tous deux, comme en 2015, une contribution importante de la demande intérieure à la croissance. Le maintien d’une inflation extrêmement faible, les créations d’emplois, l’assouplissement de la politique budgétaire ainsi que la hausse du SMIC prévue par le gouvernement devraient soutenir la consommation. Toutefois, l’essoufflement de la croissance chez certains pays émergents pèsera davantage, pour la Commission, sur les exportations et l’investissement des entreprises. Celle-ci anticipe, par ailleurs, un ralentissement plus important du rythme des créations d’emplois. Le plan budgétaire du gouvernement repose, ainsi, sur une hypothèse de croissance du PIB de 2,1% en 2016 (après +1,5% en 2015), tandis que la Commission anticipe une croissance de 1,6%. Ces prévisions permettent, dès lors, au gouvernement d’anticiper une hausse des recettes fiscales supérieure à celle prévue par la Commission et une diminution plus importante des prestations sociales, en raison principalement d’une réduction plus importante du taux de chômage (à 11,2% en 2016 pour le gouvernement, contre 11,7% pour la Commission). Certaines estimations sont par ailleurs, selon la Commission, trop approximatives. Le gouvernement apporte en effet insuffisamment d’éléments sur la façon dont il a l’intention de contrôler la consommation publique intermédiaire.

La Commission a également remis en cause l’estimation du solde structurel3 réalisée par le gouvernement portugais, considérant que l’amélioration du solde structurel entre 2015 et 2016 était le fruit d’une classification erronée de certaines mesures de politiques budgétaires en mesures exceptionnelles. Ces mesures, exceptionnelles pour le gouvernement mais pas pour la Commission, représentaient respectivement 0,5% du PIB et 1,1% en 2015 et 2016. En reclassant ces mesures selon ses propres critères, la Commission a estimé que le projet budgétaire portugais ferait passer le solde structurel de -1,7% du PIB en 2015 à -2,2% en 2016. Une détérioration de 0,5 point, alors que la Commission préconisait une amélioration de 0,6 point en 2016 ! C’est ce manquement grave qui a amené la Commission à demander des mesures rectificatives au gouvernement.

Le Portugal sous étroite surveillance

Le gouvernement portugais s’est dès lors trouvé en mauvaise posture. Le Portugal reste en effet sous étroite surveillance. Le pays est parvenu à sortir en 2014 du programme d’aide européen en 2011, mais il continuera de faire l’objet d’une procédure pour déficit excessif tant que le déficit restera supérieur à 3% du PIB, et d’une surveillance post-programme (SPA) jusqu’à ce qu’au moins 75 % de l’assistance financière reçue soit remboursée. Un rejet définitif de son budget aurait par ailleurs porté atteinte à sa crédibilité, et risqué de se traduire par une hausse du taux de rendement des obligations d’Etat.

Le gouvernement portugais a donc accepté de modifier son plan budgétaire, et proposé plusieurs mesures rectificatives d’un montant équivalant à 1,125 milliards d’euros en 2016. Cet ajustement repose essentiellement sur les recettes. Ces mesures comprennent notamment une augmentation de la taxation sur l’achat d’un véhicule, le tabac et les produits pétroliers, la suppression de l’exonération fiscale locale des fonds de placement et de pension, une contribution supplémentaire des banques au Fonds de résolution. Le gouvernement a, par ailleurs, renoncé à réduire le taux de cotisation sociale sur les bas salaires.

La Commission estime que l’impact de ces mesures correctives sur le déficit pourrait atteindre 0,5 point de PIB, dont 0,45 point (845 millions d’euros) serait de nature structurelle. Dès lors, le déficit nominal portugais, attendu à 3,4% du PIB dans les prévisions d’hiver de la Commission, pourrait finalement s’afficher juste en dessous de 3% du PIB cette année, si ces mesures sont pleinement mises en œuvre. En outre, le solde structurel afficherait une amélioration comprise entre 0,1 et 0,2 point entre 2015 et 2016. Cela reste en deçà de l’objectif assigné par la Commission européenne, mais l’écart avec cet objectif est inférieur à 0,5 point. La Commission a donc validé le plan budgétaire. Elle entend cependant surveiller de près sa mise en œuvre. Elle examinera ainsi la conformité du budget avec le pacte de stabilité et de croissance au printemps prochain.

NOTES

  1. L’alliance composée du Parti populaire (CDS-PP) et des sociaux- démocrates (PSD) a obtenu 38,6% des voix et 107 sièges (sur un total de 230). Le Parti socialiste a été crédité de 32,3% des voix et de 86 sièges. Le Bloc de Gauche (BE) et la Coalition Démocratique Unitaire (CDU) détiennent respectivement 19 sièges et 17 sièges.
  2. Prévision du gouvernement portugais et de la Commission européenne. Le déficit devrait être supérieur de 1,5 point à celui prévu dans le programme de stabilité de 2015 en raison du soutien de l’Etat, estimé à 1,2% du PIB, à la banque portugaise Banif. L’Etat portugais a, en effet, prévu une aide publique pour couvrir de futurs imprévus à l’occasion de la vente de la banque.
  3. Le solde structurel équivaut au solde qui serait atteint si le PIB était égal à son potentiel et corrigé des mesures exceptionnelles.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas