par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
Depuis plus de quinze ans, le risque inflationniste a disparu en Europe et dans la plupart des « pays développés ». Ainsi, l’inflation moyenne en zone euro sur la période 1994-2009 atteint à peine 2,1 % (4 % au plus haut en juillet 2008), contre 8,1 % en moyenne entre 1971 et 1983 (avec des pics à plus de 10 % en 1974 et 1981). En outre, sur la période récente, les épisodes de hausse significative des prix à la consommation sont le fait exclusif des variations spectaculaires du prix des matières premières (comme au premier semestre 2008, par exemple).
D’ailleurs, si on considère l’inflation sous-jacente (hors énergie, alcool, tabac et alimentaire), la hausse annuelle moyenne des prix à la consommation depuis dix ans atteint à peine 1,6 % (point haut : 2,5 % en mars 2002). Certes, par moment, les marchés financiers ont pu se focaliser sur de supposés risques inflationnistes. Toutefois, ces derniers ne se sont jamais matérialisés.
Cette fois, pourtant, la question semble se poser de manière plus pertinente. En effet, depuis plusieurs mois, des voix, fameuses, s’élèvent pour mettre en garde contre la résurgence de l’inflation. L’explosion des dettes publiques et les politiques monétaires extrêmement accommodantes menées par les Banques Centrales leur rappellent en effet grandement la situation observée au cours des années 70. Or on sait que cette dernière s’est caractérisée par un net ralentissement économique conjugué à une accélération des prix, la tristement fameuse « stagflation ». Il peut alors sembler utile de revenir sur les causes de la hausse de l’inflation au cours de la décennie 70, de rappeler les problèmes que cela a pu causer et les remèdes qui ont été apportés. Alors, seulement, il sera pertinent de s’interroger sur la probabilité d’un retour de l’inflation dans les trimestres à venir. Enfin, nous étudierons les moyens pour les Etats de s’acquitter de leurs dettes sans avoir recours à l’inflation.
Avant toute chose, il est nécessaire de définir ce qu’on entend traditionnellement par « inflation », à savoir le glissement annuel de l’indice des prix à la consommation. Cette hausse des prix est le résultat d’un déséquilibre entre l’offre (insuffisante) et la demande (excessive) sur le marché des biens et services. C’est exactement ce qu’on observé durant la décennie 70. Les deux chocs pétroliers (1973 et 1979-1982), c’est-à-dire, en fait, un transfert d’une partie de la richesse (production) nationale vers les pays producteurs de pétrole, n’ont pas été complément intégrés dans la répartition de la valeur ajoutée. Même si la profitabilité des entreprises (donc la compétitivité de l’économie française) s’est réduite, les salaires ont, dans un contexte de chômage très faible et d’indexation automatique sur les prix, continué de progresser à un rythme élevé (+ 13,7 % par an en moyenne entre 1968 et 1982, + 4,4 % en termes réels !).
En un mot, la demande nominale a continué d’augmenter fortement alors que l’offre s’est réduite, conduisant naturellement à une hausse des prix à la consommation. Ce mécanisme s’est interrompu en France à partir de 1983. En effet, à un moment donné, la spirale salaires / prix1 est devenue déstabilisante pour l’économie. En outre, la hausse de l’inflation a pénalisé la compétitivité de l’appareil productif, en particulier dans un contexte d’ouverture progressive des économies.
Enfin, la hausse importante de l’inflation a constitué, de fait, une taxe sur les préteurs, si bien qu’à l’arrivée il est devenu difficile pour certains emprunteurs (et même certains Etats) d’accéder au crédit. Il a fallu alors mettre en place une politique budgétaire plus équilibrée, une politique monétaire moins accommodante2 et décider un blocage des salaires (à une époque où l’économie était plus administrée qu’aujourd’hui).
Les résultats n’ont pas tardé à se manifester puisque, dans la plupart des pays, l’inflation a commencé à ralentir très sensiblement à partir de 1983. Cette grande victoire sur l’inflation constitue certainement la principale réussite des gouvernements occidentaux au cours des années 80. La question se pose désormais de savoir si cet héritage va être perdu au cours des prochaines années. Réponse la semaine prochaine…
NOTES
(1) Les salaires augmentent pour compenser l’inflation, ce qui stimule la demande dans un contexte d’offre contrainte, génère donc de l’inflation et, en conséquence, une nouvelle hausse des salaires…
(2) Voir même très restrictive dans certains cas, comme aux Etats-Unis avec Paul Volker qui a monté les taux des Fed funds à des niveaux proches de 20 % (19 % durant l’été 1981) !