Prévisions chocs pour 2014

par Steen Jakobsen, Chief Economist, John J Hardy, Responsable de la stratégie devises, et Mads Koefoed, Responsable de la stratégie macro chez Saxo Bank

Les prévisions chocs de Saxo Bank ne représentent pas la vision officielle de Saxo Bank pour 2014. L’objectif de cet exercice, basé sur la théorie du cygne noir de Nassim Taleb, est de permettre aux investisseurs d’envisager les pires scénarios afin de pouvoir investir dans les meilleures conditions.

1. L'impôt européen sur la fortune annonce le retour d'une économie à la soviétique

En 2014, la déflation et le déficit de croissance vont semer la panique parmi les décisionnaires politiques, conduisant la Commission européenne à réunir un groupe de travail sur différents dispositifs taxant sur la fortune toute personne au patrimoine supérieur à 100 000 euros ou dollars. Cette initiative sera conduite au nom de la réduction des inégalités et verra le 1% le plus riche de la population payer une part plus "juste" pour soulager le fardeau de la dette publique. Plusieurs articles académiques ou issus de la recherche des banques ont établi qu'un impôt sur la fortune de 5 à 10% est nécessaire pour créer un “matelas anti-crise” afin d'accorder des cautions ou de renflouer les banques, les gouvernements et autres passifs issus de cette crise financière et de la dette. Cela constituera le dernier pas vers un Etat européen totalitaire et un point bas en matière de respect de l'individu et du droit de propriété. Nous serons ainsi revenus au modèle de l'Union soviétique.

Le pari le plus évident est d'acheter des actifs réels et de vendre des actifs intangibles inflationnistes. Nous conseillerions d'acheter l'ETF SPDR Gold Shares ETF, avec un objectif de 180 et de vendre un panier d'actions de Hermès International, LVMH et Sotheby’s sur une base équipondérée, pour viser une baisse de ce panier d'une valeur d'indice de 100 à 50.

2. L'alliance anti-UE devient le groupe parlementaire le plus important

L'élection du Parlement européen se tiendra du 22 au 25 mai l'an prochain. Depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 2009, le Parlement européen n'est pas seulement devenu un co-législateur puissant mais doit être consulté lors du choix d'un candidat au poste de président de la Commission européenne, bras exécutif de l'Union européenne. Ces élections sont contestées par certains partis politiques nationaux mais une fois les membres du Parlement européen élus, la plupart choisissent de devenir membres de groupes politiques transnationaux. Après les élections de mai, une alliance paneuropéenne anti-UE, dont seront membres l'Independance party britannique, l'Alternative eurosceptique allemande, le Front national français et le Parti de la liberté néerlandais, deviendra le groupe le plus important au Parlement avec plus de 275 sièges. Balayant les groupes politiques traditionnels, le nouveau Parlement européen choisira un président anti-parlementaire et empêchera les chefs d'Etat et de gouvernements de choisir un président de la Commission, faisant ressurgir une crise économique et politique en Europe. Dans ce cas, un pari possible serait une position longue sur le "bund" allemand et une position short sur l'obligation d'Etat espagnole, pour viser un spread de taux de 300 points de base.

3. Le CAC 40 chute de 40% : « Pendant ce temps, le malaise ne fait que grandir en France sous la mauvaise gestion du gouvernement Hollande »

La bulle sur les actions formée par le quantitative easing éclate en 2014, puis les marchés vont droit dans le mur et s'effondrent alors que tout le monde se rend compte que seule la théorie du plus idiot mène le marché. Pendant ce temps, le malaise ne fait que grandir en France sous la mauvaise gestion du gouvernement Hollande, alors que le président et son équipe s'avèrent incapables d'apporter des réponses au manque de compétitivité du pays ou à susciter la moindre étincelle de croissance. Les prix de l'immobilier résidentiel, qui n'ont jamais vraiment corrigé après la crise, suivent finalement le même chemin que ceux des Pays-Bas en 2012 et plongent en piqué, balayant la consommation et la confiance. Fin 2014, l'indice CAC 40 affiche une chute de plus de 40% par rapport à ses plus hauts de 2013, alors que les investisseurs cherchent la sortie de secours.

4. Les « Cinq Fragiles » perdent 25% face au dollar US

La normalisation des taux à l'échelle globale, attendue avec la réduction du quantitative easing aux USA, va conduire à un coût marginal du capital plus élevé, du fait de taux d'intérêt plus hauts.

Cela exposera les pays ayant un déficit courant en forte augmentation à un risque de détérioration de l'appétit des investisseurs globaux, ce qui pourrait conduire en définitive à un mouvement de baisse de leurs devises, particulièrement face au dollar américain. Nous voyons cinq pays dans cette catégorie : le Brésil, l'Inde, l'Afrique du sud, l'Indonésie et la Turquie.

Tous ont connu une croissance très forte au cours de la décennie écoulée, ce qui a attiré des milliards de dollars d'investissements directs étrangers (IDE). Mais alors que le flux d'argent facile et bon marché commence à se tarir, ces pays vont se retrouver exposés au moment où leur déficit courant augmente. Les flux d'IDE se sont concentrés sur la création de croissance de qualité à travers des investissements de long terme avec des rendements positifs.

Mais avec des dépenses en hausse à cause de l'augmentation des coûts du travail et la hausse générale des droits liés au travail, les “Cinq Fragiles” seront confrontés à une pression baissière sur leurs devises. Les élections de mai en Inde et de mi-juillet en Indonésie risquent de retarder la mise en place de réformes pour stopper cette détérioration, aggravant leur exposition au risque. Leur temps est écoulé et ils n'ont plus qu'un outil économique à leur disposition – une devise plus faible. Vendre un panier équipondéré des "Cinq Fragiles" avec un objectif de plus-value de 10%.

5. La déflation aux Etats-Unis : c'est arrivé près de chez vous

Les indicateurs suggèrent peut-être que l'économie américaine se raffermit, mais le Federal Open Market Committee (FOMC) reste méfiant – et à juste raison. La fragilité du marché immobilier résidentiel a été soulignée par la modeste progression des taux mi-2013. Cela a fait tomber les ventes de maisons neuves au plus bas annuel en juillet et les ventes restent en berne par rapport au premier semestre. La hausse des salaires se fait toujours attendre malgré un taux d'emploi en progression du fait de capacités abondantes dans toutes les industries. Alors que l'acte II de "Comment perturber l'économie américaine" va se jouer au Congrès en janvier, l'investissement, l'emploi et la confiance du consommateur sont une nouvelle fois en souffrance. Ce contexte fait reculer, et non augmenter, l'inflation l'an prochain et la thématique de la déflation revient à la une de l'agenda du FOMC. Le pari à prendre pour cette situation serait d'être long sur les obligations d'Etat américaines à 10 ans, que nous voyons à 1,5% de rendement en 2014.

6. Le quantitative easing mise tout sur les prêts hypothécaires

A première vue, on croirait que l'économie américaine est sur le point d'accélérer, mais il s'agit juste d'une illusion entretenue par le troisième round de quantitative easing du FOMC, qui représente 85 milliards de dollars par mois. Ces achats ont fait reculer les charges d'intérêt et poussé les actifs risqués jusqu'à des valorisations astronomiques, créant ainsi une sensation artificielle d'amélioration de l'économie. De sérieux défis demeurent pourtant, avec la poursuite du deleveraging du secteur privé, l'immobilier résidentiel qui souffre dès que les taux remontent, un déclin accru des dépenses du secteur public et une faiblesse de l'emploi privé, toutes choses dont le FOMC est parfaitement conscient. L'immobilier résidentiel, en particulier, est sous respiration artificielle et le FOMC va pour cela tout miser sur les prêts hypothécaires en 2014, en transformant le QE3 en un programme de rachat 100% dédié aux MBS et en augmentant – oublions le "tapering" ! – sa puissance de feu à plus de 100 milliards de dollars par mois. Un nouvel accès de faiblesse du marché immobilier va faire chuter de manière importante l'ETF Vanguard REIT, jusqu'à lui faire toucher le niveau de 30 dollars, le plus bas depuis 2009.

7. Le brent tombe à 80 dollars le baril faute de réaction des producteurs

Le marché mondial du pétrole traverse une période de transition, où la progression des huiles non conventionnelles (surtout aux USA et au Canada), de même qu'une production accrue de la part de l'Arabie Saoudite, a permis d'assurer des prix stables malgré de nombreuses interruptions d'approvisionnement. Le pétrole brent a ainsi coté en moyenne 110 dollars le baril au cours des trois dernières années, le consensus prévoyant pour 2014 un prix moyen de 105 dollars le baril.

Avec une offre en provenance des pays non-OPEP attendue en hausse de plus de 1,5 million de barils par jour, et 2 millions de potentiel supplémentaires avec la diminution des problèmes d'approvisionnement en Libye et des sanctions contre l'Iran, le marché mondial va être noyé sous le pétrole. Les producteurs devront faire un effort concerté pour fermer les robinets. Des hedge funds vont réagir à cette dynamique altérée en prenant des positions short massives sur le marché pour la première fois depuis des années.

Cela poussera le baril de brent à la baisse, jusqu'à toucher les 80 dollars, surtout que les pays producteurs, ayant un besoin impérieux de prix élevés, ne réagiront que lentement. La Russie et la plupart des pays de l'OPEP reporteront leurs ajustements budgétaires alors que les USA traineront des pieds du fait de leur besoin de cours élevés pour assurer la viabilité économique du pétrole de schiste.

Une fois que les producteurs s'entendront finalement pour réduire la production, le pétrole rebondira fortement et l'industrie parviendra à la conclusion que le prix élevé du pétrole ne va pas de soi.

8. L'Allemagne en récession

L'économie allemande a fait mieux que le reste de la zone euro durant les cinq années suivant la récession globale, mais cette surperformance va prendre fin en 2014 et le consensus, qui attend 1,7% de croissance, va être cruellement déçu. Après des années de thésaurisation excessive de l'Allemagne, même les Etats-Unis s'en prennent à la première économie de la zone euro et un plan coordonné de la part d'autres pays clés pour réduire cet énorme excédent commercial ne peut être exclu. Ajoutez à cela la chute des prix de l'énergie aux USA, ce qui induit une migration vers l'ouest de la production allemande, une compétitivité plus faible due à la hausse des salaires réels, les exigences potentielles du SPD, le nouveau partenaire de la coalition, d'une amélioration des conditions de vie de la classe moyenne et inférieure, et une Chine émergente qui se focalise plus sur la consommation domestique suite au troisième plenum tenu récemment, et vous avez tous les éléments constitutifs d'une baisse surprise de l'activité économique. Contre toute attente, c'est une baisse, et non une hausse, de la production qu'on observera en Allemagne l'an prochain, alors que le taux du "bund" allemand à 10 ans tombera à 1%.

9. Les « Fat Five » de la technologie se réveillent avec la gueule de bois en 2014

Aux Etats-Unis, le secteur des technologies de l'information se traite environ 15% au-dessous de la valorisation actuelle du S&P 500 – un contraste saisissant avec la prime historique d'environ 160% observée durant la bulle internet. Nous aimons les actions technologiques en général car elles sont le principal moteur des gains de productivité nécessaires pour que l'économie puisse générer une croissance à long terme de la richesse par tête. Pourtant, une poignée d'actions technologiques sont valorisées avec une prime énorme d'environ 700% par rapport à la valorisation du marché, défiant presque les lois de la gravité des marchés financiers. Ce sont ces actions que nous appelons les “Fat Five” de la technologie – Amazon, Netflix, Twitter, Pandora Media et Yelp. Ces actions ont des valorisations démesurées du fait d'une prime de valorisation faussée, basée sur l'historique de croissance post-crise financière. Les investisseurs peinent à trouver des scénarios de croissance intéressants, et quand l'un d'entre eux passe à portée de main, il se voit gratifié de niveaux de valorisation présentant un ratio risque/rendement très peu attrayant. C'est comme une nouvelle bulle à l'intérieur d'une ancienne bulle.

L'offre en cash de 3 milliards de dollars faite par Facebook sur Snapchat et déclinée par son fondateur de 23 ans est la dernière manifestation d'orgueil venant démontrer à quel point l'exubérance atteint des niveaux jamais vus dans cette partie du secteur technologique. Snapchat n'a ni business model ni revenus, de sorte que le prix d'acquisition proposé ne se fonde pas sur un cash flow additionnel dont pourrait bénéficier Facebook, mais sur la destruction potentielle de valeur pour Facebook en fonction de suppositions sur une adoption plus large de Snapchat.

Cette destruction créatrice est précisément la ‘matière noire’ qui devrait inciter les investisseurs à la prudence concernant l'énorme prime de valorisation dont bénéficie actuellement cette poignée d'acteurs au sein du secteur des technologies de l'information. Pour jouer cette situation, nous allons créer un indice synthétique équipondéré des Fat Five, avec une valeur initiale de 100 le dernier jour de bourse de 2013. Notre Prévision Choc est que cet indice tombera à 50 au cours de l'année 2014.

10. La Banque du Japon prête à annuler la dette gouvernementale en désespoir de cause, après la chute du dollar face au yen sous le seuil de 80

En 2014, la reprise mondiale manque de carburant, faisant chuter les actifs à risque et contraignant les investisseurs à revenir sur le yen japonais. L'USDJPY retombe sous les 80 – une redite de 2011 – conduisant une Banque du Japon désespérée à détruire les titres de dette gouvernementale qu'elle détient dans une ultime tentative d'échapper au piège déflationniste dans lequel le pays est enfermé depuis deux décennies. Comme personne ne sait prédire les effets d'une telle manœuvre comptable interne au secteur public, la décision sera suivie d'une phase de complète incertitude éprouvante pour les nerfs et potentiellement d'un désastre aux effets secondaires inconnus. Cela semble fou, n'est-ce pas ? Oui, mais de nos jours, tout est possible au nom de la crise.

Le quantitative easing est en substance une manière dérobée, non conventionnelle, pour la banque centrale de permettre au gouvernement de continuer à dépenser plus qu'il ne gagne sans générer de pression haussière sur les taux d'intérêt ou de pression baissière sur la dépense publique. Les banques centrales achètent indirectement de la dette publique via leurs "négociants principaux", augmentant la part de la dette gouvernementale détenue par le secteur public. L'inflation est supposée être restée basse car les achats massifs de dettes ont été convertis, les "négociants principaux" les injectant dans ce qu'on appelle des réserves excessives. Ces réserves, du fait d'une faible demande de crédit de la part du secteur privé, n'ont pas été réinjectées dans l'économie.

Les banques centrales auraient-elles trouvé le Graal ? Pas vraiment. En réalité, dans de nombreuses économies développées, la dette publique suit une trajectoire intenable avec une croissance vacillante malgré un stimulus public massif. La situation la plus notable est celle du Japon, avec une dette publique représentant 215% du PIB et qui devrait encore s'accroître. Avec les fortes pressions déflationnistes toujours présentes au Japon en raison des effets démographiques, le fardeau de la dette pourrait bientôt devenir insupportable. Toutefois, dans le petit cercle des banques centrales, l'idée géniale, mais encore jamais testée, d'un tour de passe-passe par lequel une banque centrale détruirait tout simplement les titres de dette gouvernementale qu'elle détient commence à faire son chemin. Pour le Japon, cela signifierait la disparition pure et simple d'environ 15% de la dette d'Etat. Un truc comptable simple qui peut se résumer ainsi : "Tu la vois, tu ne la vois plus".