Que penser de la « fin » des Capex ?

par John Plassard, Spécialiste en investissement chez Mirabaud

Au-delà du drame sanitaire, la crise du coronavirus a et aura un impact très important sur le comportement des entreprises. Au niveau de la baisse ou l’annulation des dividendes, de la réduction des salaires des dirigeants ou encore dans l’impossibilité de donner de quelconques prévisions pour le reste de l’année. Il y a cependant un point dont on ne parle pas encore : l’effondrement (voire l’annulation) des Capex (total des dépenses d'investissement (corporel et incorporel) consacrés à l'achat d'équipement professionnel ainsi que les dépenses d'investissement de capital) qui aura un impact certain sur la croissance des entreprises. Synthèse et analyse.

a. Les faits

Selon une dernière étude publiée par Price Waterhouse Coopers (PwC), les directeurs financiers à travers le monde prévoient de réduire les dépenses d'investissement, d'anticiper davantage de licenciements et de réduire les dépenses informatiques afin de faire face aux conséquences économiques de la crise du coronavirus.

PwC (n’hésitez pas à me demander l’étude) a constaté que 82 % des directeurs financiers se concentraient sur la réduction des coûts, 67 % d'entre eux prévoyant de reporter ou d'annuler les investissements prévus. Surtout dans les dépenses d'investissement. 53 % des directeurs financiers affirment que les dépenses informatiques seront réduites, selon PwC.

Tim Ryan, président et associé principal de PwC, explique que « Nous sommes clairement en récession à ce stade. Il est difficile de trouver une entreprise qui ne se concentre pas sur la réduction des coûts et la préservation du capital. Il y a beaucoup de discussions sur quoi faire et comment recommencer à travailler. Certains secteurs d'activité feront des changements permanents. Beaucoup d'industries ne reviendront pas à la situation d'avant ».

b. Combien faut-il attendre de baisses ?

Il est aujourd’hui bien évidemment extrêmement difficile de quantifier la réduction des capex des entreprises, cependant on a la certitude qu’ils vont baisser, voire être annulé. Si on se fie aux prévisions de la banque américaine Goldman Sachs, les capex du S&P 500 vont diminuer de 27 % pour atteindre 534 milliards de dollars en 2020.

Les estimations des analystes de la banque, révisées au cours des 45 derniers jours, indiquent que les capex du S&P 500 ont probablement diminué de 5 % (au niveau annuel) au cours du premier trimestre. Goldman prévoit qu'une baisse de 33 % au cours des trois derniers trimestres se traduira par une baisse de 27 % sur l'ensemble de l'année.

Les dépenses d'investissement ont chuté de 23% du plus haut niveau au plus bas durant la crise financière mondiale et de 33% après l'effondrement de la bulle internet. En particulier, le secteur de l'énergie a représenté un tiers de la baisse des capex au niveau de l'indice après la crise financière.

En revanche, le secteur n'a représenté que 15 % des capex du S&P 500 en 2019. En outre, les dépenses énergétiques ont diminué de 50 % par rapport à leur sommet de 2014, ce qui réduit encore l'impact probable de l'énergie sur les capex totaux du S&P 500.

c. Les capex mauvais pour les rendements ?

Avec cet effondrement attendu des capex se pose maintenant la question de savoir quel est le lien avec l’évolution des indices. Intuitivement les Capex (dépenses d'investissement) sont importants pour les investisseurs en actions car ils indiquent que les dirigeants des entreprises dépensent de l'argent pour financer la croissance, et car elles sont de bon augure pour les vendeurs de biens d'équipement ou de matériel informatique par exemple.

Cependant, si on se réfère à l’histoire, la conclusion est tout autre et les dépenses d’investissement seraient inversement corrélées aux rendements boursiers.

d. L’œuf ou la poule ?

Souvent, les entreprises décident de croître parce que leurs actions se portent bien, et non l'inverse. À l'inverse, sur les marchés baissiers, il est plus difficile pour les entreprises d'obtenir un financement qui leur permet d'augmenter leurs dépenses. Plusieurs études ont été écrites sur le sujet :

• Journal of Human Capital

Une étude sur les entreprises internationales publiée dans le Journal of Human Capital conclut que la croissance des investissements en capital était le résultat direct de la croissance des bénéfices, mais que la relation entre la croissance des capex et la croissance des bénéfices était inexistante.

Sur un plan théorique maintenant, la pertinence d'un investissement est basée sur son taux de rendement interne (TRI) et sur le fait que ce TRI dépasse ou non le rendement requis – souvent le coût moyen pondéré du capital. Cependant, l'estimation et l'actualisation des flux de trésorerie futurs d'un projet ou d'une acquisition sont des tâches ardues, voire impossibles.

En outre, le fait de choisir le moment où il faut prendre de telles décisions à long terme à la lumière des attentes du marché à court terme ne fait qu'aggraver les problèmes.

Dans le domaine de l'investissement des sociétés publiques, il n'est pas rare que les investisseurs soient amenés à tirer des conclusions trop optimistes sur les perspectives de nouvelles dépenses ce qui fait que l'analyse en situation réelle des décisions relatives à un budget d'investissement est pratiquement impossible.

• McConnell/Muscarella (1985)

Les études de McConnell/Muscarella (1985) notent que les annonces d'augmentation des investissements prévues sont généralement associées à des rendements positifs importants des capitaux propres. C'est certainement pour cette raison que l'utilisation des investissements comme indicateur avancé indique une sous-performance, et non un excès de rendement.

• Blose/Sheih (1997) et Vogt (1997)

Des études ensuite menées par Blose/Sheih (1997) et Vogt (1997) constatent une relation positive significative entre l'ampleur de la réaction et le niveau réel des nouveaux investissements réalisés. En d'autres termes, les marchés réagissent à l'annonce de plans d'investissement, et les gestionnaires finissent par dépenser davantage lorsque la réaction est bonne.

• Titman, Wei et Xie (2004)

Une étude de 2004 du Bureau national des statistiques économiques, réalisées par Titman, Wei et Xie, révèle que les entreprises qui augmentent considérablement leurs investissements en capital obtiennent par la suite des rendements négatifs ajustés en fonction de l'indice de référence.

Leurs résultats suggèrent que les entreprises qui augmentent le plus leurs dépenses d'investissement ont tendance à sous-performer au cours des cinq années suivantes. Les auteurs notent qu'une grande partie de la sous-performance se produit autour des annonces de bénéfices, ce qui suggère que les perspectives trop optimistes en sont la cause principale.

• Christopher Anderson (2006)

Enfin, Christopher Anderson, de l'université du Kansas, est arrivé à une conclusion similaire dans le Journal of Finance. Son étude de 2006 a observé que les entreprises dont les dépenses d'investissement sont accélérées ont en moyenne des rendements boursiers séquentiels inférieurs à ceux des entreprises dont les dépenses d'investissement sont ralenties.

L'étude a montré que pour l'année suivant la constitution du portefeuille, le rendement mensuel moyen était de 1,18 % pour les entreprises ayant le taux de croissance des investissements sur deux ans le plus élevé, contre 1,75 % pour les taux de croissance les plus faibles.

e. Synthèse

Ce n’est pas très intuitif, mais lorsqu’on se réfère à l’histoire et aux études qui ont été publiées sur le sujet, on constate que les entreprises qui investissent le plus dans les dépenses d’investissement (CAPEX) sont celles qui performent le moins. Les actuelles annonces de réduction sous le poids de la crise liée au coronavirus devraient ainsi ne pas voir les entreprises sanctionnées à moyen terme. À long terme on peut cependant regretter que ces manques de dépenses, nécessaires à la croissance, aillent impacter l’innovation et les nouveaux projets…