par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis AM
Depuis la rupture d’activité à l’automne 2008, les incertitudes ont porté sur la façon dont le système économique allait réagir. La crainte première était de constater une dégradation supplémentaire et continue de l’environnement qui aurait validé une dynamique proche de celle des années 30. Les autorités ont donc été très réactives, supportant une grande partie du risque pris par le secteur privé. Cette mutualisation a entraîné une augmentation spectaculaire des dettes publiques et un gonflement sans précédent des bilans des banques centrales.
Ces actions sur la politique économique ont permis d’uniformiser l’environnement et d’éviter que l’ajustement ne porte uniquement sur les consommateurs, comme cela avait pu être le cas dans les années 30 aux Etats-Unis. Ces actions menées simultanément par les autorités monétaires et budgétaires ont permis une stabilisation de l’activité, puis son redémarrage. La reprise est perceptible sur de nombreux indicateurs : ainsi, malgré un niveau d’activité modeste, la dynamique des commandes est plus robuste.
Les perspectives se transforment sous l’effet d’anticipations plus optimistes. Au regard de l’important repli observé sur l’activité depuis plus d’un an, le mouvement de rebond pourrait être fort. À une récession forte correspond généralement une reprise rapide et spectaculaire si l’on s’en tient aux régularités constatées par le passé, notamment aux Etats-Unis. Cette dynamique de court terme est donc rassurante, mais de nombreuses interrogations demeurent et alimentent les inquiétudes.
La question de l'emploi
L’aspect le plus impressionnant de la crise est l’ampleur de l’ajustement sur l’emploi, même si la baisse constatée était cohérente avec le repli de l’activité. Si l’amélioration des perspectives sur l’activité économique ne pourra pas se traduire spontanément par un changement de tendance sur l’emploi, une modification sensible du comportement a d’ores et déjà pu être constatée sur le marché du travail. Outre-Atlantique par exemple, le nombre d’inscriptions au chômage a touché un point haut à la fin du mois de mars.
Depuis, les inscriptions au chômage ralentissent et les suppressions d’emplois sont plus limitées. En d’autres termes, si les signaux sur l’activité semblent suffisants pour autoriser un fonctionnement moins brutal du marché du travail, ils ne sont cependant pas encore assez robustes pour engendrer une nette amélioration sur ce dernier.
La dynamique du marché du travail restera donc complexe : l’emploi va probablement commencer à s’améliorer dans les prochains mois (reflétant ainsi la reprise progressive de l’activité), mais le taux de chômage risque pourtant de continuer à progresser dans le même temps. L’emploi représente en effet un flux, alors que le taux de chômage indique une dynamique de stock et ces profils généralement proches peuvent diverger dans les périodes de changement de régime.
Quel profil pour l’activité ?
Un schéma indiquant un retour rapide à la récession ne nous paraît pas pertinent car le scénario dit "en W " supposerait un nouveau choc négatif sur l’activité. Or, nous privilégions une amélioration de celle-ci, même si des interrogations demeurent quant à la pente de cette reprise.
Dans l’environnement actuel, le changement de tendance s’opèrera notamment via la reconstitution des stocks. Ce mouvement sera conditionné par l’incertitude régnant sur l’évolution future de l’activité. Si sa perception est très positive, les chefs d’entreprise n’hésiteront pas à reconstituer leurs stocks mais en cas de doute, ils ne le feront pas. Cette vision de l’environnement sera étroitement liée à l’action gouvernementale de soutien à l’activité, le consommateur restant en effet très prudent sur ses dépenses.
Comment projeter la politique économique ?
Comme indiqué début septembre à la réunion du G7 à Londres, les autorités ne souhaitent pas modifier trop rapidement les orientations prises à l’automne dernier. Changer brutalement d’orientation aurait probablement des conséquences néfastes sur l’emploi. En 2010, la question des stratégies de sortie sera cependant posée face à la nécessité de retrouver, dans un temps fini, un comportement plus "normal" pour les différentes autorités concernées. Les banques centrales devront gérer la reprise de liquidités et pourraient être contraintes de modifier les taux d’intérêt. Les gouvernements devront également poser les jalons d’une stratégie qui permettra une stabilisation puis une réduction de la dette publique. Le jeu est complexe : il faut imaginer qu’une banque centrale, telle que la BCE, ne pourra pas agir de façon totalement indépendante par rapport à une autre banque centrale (comme la Fed).
Il en sera de même pour les politiques budgétaires, où un ordonnancement entre les politiques budgétaire et monétaire sera nécessaire.
Ces ajustements croisés seront essentiels tant dans la dynamique de l’activité que dans la formation des anticipations des acteurs économiques et des investisseurs.
Un retour de l’inflation ?
L’ajustement vers un nouvel équilibre global devra s’opérer sans retour à l’inflation. Privilégier un ajustement par l’inflation se traduirait en effet par une hausse spectaculaire des taux d’intérêt et par une plus grande incertitude sur l’activité. La stabilisation du ratio dette publique/PIB serait alors repoussée dans le temps.
Le fonctionnement de l’économie globale
Au-delà de celles portant sur le profil de l’activité, des interrogations demeurent sur le fonctionnement de l’économie globale.
La première porte sur le système bancaire. Si la question d’une réglementation plus restrictive semblait tranchée il y a quelques semaines, cela semble désormais moins clair, notamment aux Etats-Unis.
Un double questionnement émerge :
- « Le système bancaire doit-il s’ajuster automatiquement de façon endogène ou doit-il être contraint par une réglementation plus rigoureuse ? » Le rapport de force aux Etats-Unis entre le gouvernement et les grandes banques validerait plutôt la première approche dans un contexte de reprise qui bénéficie à ces dernières.
- « Est-il préférable, dans le cadre d’une réglementation renforcée, d’avoir une action sur le capital des banques ou sur les rémunérations ? » Sur cet aspect, les positions s’opposent : l’Europe se soucie de l’évolution des rémunérations alors que les Etats-Unis privilégient l’augmentation de capital.
La seconde question est celle de l’articulation entre les différentes zones géographiques. La grande solidarité née pendant la période de repli de l’activité est peut-être en train de se dissiper dans la phase actuelle d'éclaircie conjoncturelle.
Si la situation continue de s’améliorer, les rapports entre l’Asie, les Etats-Unis et l’Europe vont évoluer au risque de créer des tensions nouvelles. Cet élément donnera un signal clair sur la façon dont la géographie de l’activité globale se mettra en place et donc sur les sources de croissance des prochaines années. Le poids conséquent des pays émergents, dont les systèmes bancaires sont qui plus est nettement moins affectés par la crise financière, peut revêtir une importance d’un nouveau type et peut venir modeler la géographie globale.
Conclusion
Dans les prochains mois, la dynamique de l’économie globale va rester complexe avec parfois des facteurs et comportements contradictoires.
Les signaux d’amélioration de l’activité économique se traduisent par des révisions de chiffres de croissance pour 2010. Cependant, des délais existent dans l’ajustement entre certains indicateurs et sont susceptibles de provoquer des retards, des hésitations et parfois des fragilités. C’est ce qui rendra les prochains mois passionnants.