Quels effets de la fin du QE3 ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Depuis la crise de 2008, la Réserve Fédérale américaine a mis en place des politiques non conventionnelles consistant à acheter des titres du Trésor et des MBS (Mortgage-Back Securities). A l’issue du QE3 en octobre 2014, la Fed détiendra 2450Md$ de titres du Trésor et 1700Md$ de MBS soit environ respectivement 18% et 21% des stocks de titres. L’objectif de ces politiques était d’une part de faire baisser les taux d’intérêt à long terme et les taux hypothécaires pour soutenir le marché immobilier et d’autre part de provoquer le rebond des marchés risqués pour favoriser les effets richesse. La principale critique adressée à ces politiques a été le risque que ce soutien ne conduise à des déséquilibres financiers, à l’émergence de nouvelles bulles mais il faut souligner que la hausse du prix des actifs était bel et bien un objectif de la banque centrale.

Ces politiques ont bien engendré une baisse des taux d’intérêt à long terme souverains et hypothécaires. Les autres marchés de taux ont bénéficié du report des investisseurs sur des segments plus risqués permettant un écrasement des primes de risque, notamment sur le marché du high yield. Elles ont également provoqué un rebond du prix des autres actifs. Les prix immobiliers ont augmenté de 22% depuis leur point bas de fin 2011, progressant sur un rythme d’un peu plus de 10% ces deux dernières années mais ils restent inférieurs au pic d’avant crise (d’environ 18%). Les marchés boursiers ont également sensiblement rebondi depuis la mise en place des différents QE. Depuis l’annonce du QE3, le S&P500 a progressé de 40% et est supérieur de presque 30% au point haut enregistré avant crise.

Via ses effets sur les différents marchés, les politiques de la Fed ont sensiblement impacté les bilans des agents économiques. Du côté des ménages, elles n’ont pas permis une reprise du crédit, ces derniers ayant continué à se désendetter (l’endettement total en pourcentage du revenu disponible brut passant de 130% fin 2007 à 103% début 2014) malgré la faiblesse des taux d’intérêt. Toutefois, elles ont contribué à l’assainissement de leur situation financière avec l’amélioration de leur solvabilité et la forte progression de leur richesse nette qui revient quasiment à son niveau d’avant crise en pourcentage du revenu (supérieure de 18% au pic d’avant crise en niveau). Les entreprises non financières ont, quant à elles, profité de la baisse du coût de financement pour augmenter leur endettement (environ 56% du PIB début 2014, supérieur au pic à 52% d’avant la crise de 2008). Elles ont principalement augmenté leurs émissions d’obligations. Parallèlement, elles ont continué de racheter leurs actions (avec un rythme annuel moyen de 420Md$ depuis 2011). Enfin, les politiques de la Fed ont eu un effet positif sur les finances publiques avec la faiblesse des taux d’intérêt et la monétisation d’une partie du déficit.

Le changement de cap de la politique monétaire devrait avoir des impacts non négligeables sur les différents marchés et en corollaire sur l’économie. Non seulement le QE3 prendra fin en octobre 2014 mais la Fed devrait également commencer à augmenter ses taux mi-2015. Toutefois, elle devrait tenter de limiter les chocs trop brutaux en continuant de réinvestir les liquidités des titres arrivant à échéance laissant ainsi la taille de son bilan inchangée à environ 4500Md$ (vs 900Md$ mi- 2008). Elle devrait piloter la hausse des taux longs pour que cette dernière se fasse de façon progressive. La Fed et les investisseurs étrangers sont les principaux détenteurs de la dette publique américaine avec respectivement 18% et 48% du stock. Et ce sont également eux qui ont été les principaux acheteurs de titres entre 2011 et 2013 lorsque les taux étaient très bas… En revanche, sur le marché des MBS, la détention est moins concentrée (environ 20% chacun pour la Fed et les banques et 10% pour les mutual funds et les investisseurs étrangers) et plus domestique…

La remontée des taux d’intérêt aura également un impact sur les autres marchés. Les prix immobiliers et les prix des actions ne semblent pas à ce stade surévalués suggérant qu’une forte correction baissière devrait être évitée. Toutefois, leur progression risque de fortement ralentir. On commence déjà à voir un retournement de tendance sur les prix immobiliers. Leur hausse des dernières années ne constitue pas une source d’inquiétude. Si l’on regarde le ratio des prix immobiliers sur les loyers qui donne une idée du niveau de valorisation de l’actif par rapport aux revenus qu’il génère, on observe bien une hausse plus rapide des prix immobiliers que des loyers mais qui reste modérée. Concernant les marchés actions, l’analyse en termes de PER qui rapporte la valorisation des actions à l’évolution attendue des bénéfices suggère que leur valorisation est proche des moyennes historiques et ne montre pas de survalorisation anormale. Il semble toutefois très probable que leur progression soit beaucoup plus modeste dans les deux années à venir. Ainsi, après son rebond, la richesse des ménages ne progressera que modérément limitant les effets richesse. Par ailleurs, les entreprises non financières devraient également moins recourir à l’endettement qu’au cours des dernières années mais il n’est pas sûr que cela soit un frein à l’investissement, celles-ci ayant des liquidités importantes à leur actif qu’elles pourraient éventuellement investir. Enfin, le changement de cap de la Fed aura un impact sur les marchés étrangers même si les différences de situation macroéconomique plaident en faveur d’une déconnexion notamment de la zone euro. Il devrait finalement favoriser le dollar.

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