Quels événements pourraient pousser la BCE à durcir sa politique plus vite que prévu ?

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Lors de la conférence de presse qui a fait suite à la réunion du Conseil des Gouverneurs du 4 février, Jean-Claude Trichet a confirmé les orientations définies en décembre dernier1. Dans ce cadre, en précisant que des indications nouvelles seront données en mars dans le sillage de la publication des nouvelles prévisions de la BCE (qui devraient peu évoluer), il a laissé entendre que le durcissement de la politique monétaire européenne mettrait du temps avant de se mettre en place2. Il a ainsi rappelé que le niveau actuel des taux d’intérêt était « approprié ».

Toutefois, comme le Président de la BCE ne cesse de le rappeler, le niveau d’incertitude sur les prévisions économiques reste « élevé ». En conséquence, il peut sembler utile de présenter ici des scénarii alternatifs à notre scénario central d’un maintien de la politique monétaire à des niveaux très accommodants. Selon nous, quatre situations pourraient conduire la BCE à relever sa garde : 

• La croissance se redresse bien plus rapidement que prévu, permettant ainsi à la BCE d’ôter progressivement la « perfusion qu’elle applique à son patient » depuis le début de la crise. La remontée de l’inflation (1 % en janvier, contre – 0,7 % en juillet dernier), dans un contexte de probable essoufflement du stimulus budgétaire dans la deuxième partie de l’année, nous conduit toutefois à ne pas retenir l’hypothèse d’un franc rebond de la consommation en 2010. En outre, la faiblesse des perspectives d’investissement et l’arrêt programmé du restockage des entreprises semblent plaider pour une modération des dépenses privées. A l’arrivée, notre scénario central privilégie l’hypothèse d’une croissance faible de l’économie européenne en 2010 (0,5 % en moyenne). 

• La destruction des capacités de production lors de la crise conduit à une remontée rapide du taux d’utilisation des capacités de production (TUC), remontée que la BCE analyse comme une source de tensions inflationnistes, ce qui la conduit donc à remonter ses taux. Nous ne retenons toutefois pas ce scénario comme scénario central pour deux raisons : la première est que le TUC se situe toujours à des planchers historiques (72,4 % en T1 2010, contre 81,5 % en moyenne) ; la seconde, que, même dans le cadre d’une franche remontée du TUC, le niveau très élevé du chômage (10 % actuellement) devrait freiner la BCE dans sa volonté de remonter ses taux.

• La liquidité extrêmement abondante sur les marchés financiers conduit à une nette remontée du prix des matières premières, qui se traduit par une hausse des prix à la consommation. Comme en juillet 2008, malgré une situation économique toujours délicate, la BCE, s’appuyant sur une vision très stricte de son mandat, décide de remonter ses taux. Cette hypothèse n’est pas retenue comme dans le scénario central pour deux raisons. D’une part, étant donnée la faiblesse de la demande intérieure, l’inflation sous-jacente va rester très limitée en 2010.

D’autre part, pour avoir un impact significatif sur l’inflation, il faudrait observer une hausse très importante du prix des matières premières. A titre d’exemple, n’oublions pas que les 4 % d’inflation enregistrés en Europe en juillet 2008 ont pour origine un triplement du prix du baril de pétrole en dix-huit mois. Or il semble aventureux aujourd’hui d’imaginer un scénario identique, c’est-à-dire un baril de Brent à 250 dollars à la mi-2011.

• La BCE procède à une modification de sa grille d’analyse et de ses statuts : au lieu de cibler l’inflation des biens et services (remarquablement stable depuis une vingtaine d’années), elle décide d’intégrer les questions de liquidité globale et de prix des actifs dans ses choix de politique monétaire. Cette réforme, qui semblerait pertinente, apparait certainement précoce au regard de notre horizon de prévision (un à deux ans). Même si, du bout des lèvres, certains dirigeants de la BCE commencent à plaider en ce sens, une telle modification des procédures de la BCE devrait mettre beaucoup de temps avant d’être décidée.

En conclusion, même si notre scénario central n’intègre aucune de ces quatre hypothèses à horizon d’un an ou deux, il est nécessaire de rappeler que l’environnement actuel reste très fragile et qu’il serait imprudent de ne pas considérer des scénarii alternatifs au scénario principal. Rappelons néanmoins que l’hypothèse la probable aujourd’hui nous apparaît être celle d’un retrait progressif de la liquidité excédentaire dans le courant de 2010 et d’une remontée des taux directeurs à partir du début d’année 2011.

NOTES

  1. Rééquilibrage des opérations de refinancement au profit d’opérations à plus courte échéance (OPR), maintien d’une liquidité abondante, volonté de stabiliser les taux aux bas niveaux actuels pendant plusieurs mois encore… Cf. Bourgeois A. (2009), « Edito : pas d’inquiétude, la BCE va prendre son temps… », Eco Hebdo n°48, Natixis.
  2. Cf. Thellier C. (2010), « 2010 / 2011 : quel scénario de politique monétaire pour la BCE ? », Special Report n°32, Natixis.

Retrouvez les études économiques de Natixis