Qu’est-ce que les marchés reprochent à la zone euro ?

par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis

Depuis la fin d’année dernière, la zone euro est sous le feu des projecteurs des marchés financiers. Une par une, les obligations publiques de la plupart des Etats européens ont été attaquées. Cela avait commencé « discrètement » avec l’Irlande qui, après avoir connu, depuis son entrée dans l’union monétaire, des « taux quasi-germaniques », avait enregistré, dès la fin 2008, un écartement significatif de ses spreads face au Bund. Très vite, pourtant, c’est l’épisode grec qui a mis le feu aux poudres1. Depuis lors, le Portugal, l’Espagne ou l’Italie ont été confrontées à des hausses de leurs taux.

Ces derniers jours, certains observateurs, s’appuyant sur l’écartement des spreads entre Bund et OAT (de 25 à 50 pbs en quelques jours), en viennent même à dire que c’est désormais la France qui serait dans le viseur des marchés2. En outre, en six mois, l’euro a perdu 20 % de sa valeur face au dollar (13 % en termes effectifs).

Bref, la question se pose donc : « qu’est-ce que les marchés financiers reprochent à la zone euro ? ».

La première réponse qui vient à l’esprit pourrait être la mauvaise santé de ses finances publiques. Avec la crise, en effet, les gouvernements européens ont laissé filer leurs comptes afin de soutenir l’activité. Résultat, le déficit public a plongé, atteignant l’an dernier 6,3 % du PIB. Mais cet argument n’est pas entièrement satisfaisant. En effet, les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou le Japon ont enregistré l’an dernier des déficits bien plus importants (entre 9 % et 12 % du PIB). Or, sur les dernières semaines, leurs taux ont eu tendance à baisser.

La seconde hypothèse pourrait être l’engagement de la BCE à acheter des obligations publiques (en contravention avec l’esprit des textes européens). En effet, les marchés pourraient considérer que cette monétisation des dettes publiques va déboucher sur une hausse de l’inflation et, donc, une hausse des taux. Toutefois, là encore, l’argument ne tient pas. La Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon ont acheté des montants de dette publique bien plus importants que la BCE. En outre, le risque inflationniste, dans un contexte de croissance nulle, est très faible. C’est même plutôt la déflation qui devrait aujourd’hui inquiéter les marchés (l’inflation sous-jacente est nulle tant en Allemagne qu’en Espagne).

Une troisième hypothèse pourrait alors être avancée : le fait que la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale3. Cette dernière ne peut être réfutée. Toutefois, il est nécessaire de rappeler qu’aucune zone monétaire n’est optimale. Même dans le cas d’une zone aussi ancienne et puissante que les Etats-Unis, on ne peut parler de zone monétaire optimale : la mobilité du travail n’est pas parfaite (le taux de chômage passe de 4 % dans le Dakota du Nord à plus de 14 % dans le Michigan), les écarts conjoncturels sont importants (le PIB reculait de 2 % en Alaska en 2008 alors qu’il progressait de 7,3 % dans le Dakota du Nord !), les écarts d’inflation restent sensiblement identiques à ceux observés en zone euro…

Toutefois, même si ce troisième argument ne peut être totalement satisfaisant, il pointe du doigt la principale critique (justifiée) adressée à la zone euro : son organisation institutionnelle. Le regroupement de seize pays européens aux intérêts bien souvent convergents est tout à fait viable, pour autant que les dirigeants européens aillent au bout de la logique qui sous-tend le projet européen. Il faudrait pour cela remplir au moins trois nouvelles conditions : un minimum d’harmonisation fiscale4, la mise en place de transferts budgétaires significatifs au sein de la zone5 et un minimum de solidarité entre Etats (création d’un Trésor européen ?). Tant que les marchés pourront « jouer » les Etats européens les uns contre les autres (ce qu’on observe aujourd’hui : la contrepartie de la hausse des taux espagnols est un niveau historiquement bas des taux français et allemands), la pression sur la zone ne diminuera pas.

NOTES

  1. Cf. Bourgeois A. (2010), « Edito : Et si, finalement, la crise grecque était une bonne chose pour la construction européenne ? », Eco Hebdo n°18, 7 mai.
  2. Cette affirmation peut apparaître excessivement pessimiste si l’on note que la France paie actuellement les taux les plus bas de son histoire moderne : à peine 3 % pour les taux dix ans ! 
  3. Cette théorie, énoncée en 1961 par R. Mundell, a connu un grand succès dans la communauté des économistes. Elle stipule que trois critères déterminants doivent être observés pour former une union monétaire : mobilité du travail (pour amortir les chocs asymétriques), ouverture aux autres marchés qui composent la zone monétaire et diversification sectorielle.
  4. Le taux maximal d’impôt sur les sociétés va, par exemple, de 12,5 % en Irlande à presque 35 % en France.
  5. Le budget de l’Union européenne représente environ 1 % du PIB, contre 25 % du PIB pour le budget fédéral américain.

Retrouvez les études économiques de Natixis