par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas
• Le rapport « Enderlein – Pisani-Ferry » offre un tableau clinique des défis rencontrés par la France et l’Allemagne. Le diagnostic est sans appel.
• La France doit poursuivre et accentuer les réformes structurelles en faveur de la croissance, de la compétitivité et de l’emploi.
• L’Allemagne ne peut se satisfaire de l’existant et doit se préparer au défi que représente son vieillissement démographique, qui s’accélère.
En septembre 2014, les gouvernements français et allemand décidaient d’une mission d’évaluation conjointe des axes prioritaires d’investissement et de réformes structurelles à engager de part et d’autre du Rhin. Celle-ci était confiée à deux européens convaincus, le français Jean Pisani Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, et l’allemand Henrik Enderlein, directeur de l’institut Jacques Delors. Ces derniers viennent de rendre leur rapport « Réformes, investissement et croissance : un agenda pour la France, l’Allemagne et l’Europe ».
La comparaison est, le plus souvent, favorable à l’Allemagne, en particulier dans le domaine des finances publiques, du marché du travail et des comptes extérieurs. Mais la France bénéficie, de son coté, d’une évolution démographique plus favorable, d’une meilleure qualité de ses infrastructures, d’un niveau moins élevé d’inégalités et du dynamisme de ses startups. Des réformes sont ainsi proposées qui ont pour but de remédier aux grands défis auxquels sont confrontées chacune des deux économies. Elles ne répondent pas à la même logique.
En Allemagne, il s’agit essentiellement de se préparer à un vieillissement démographique accéléré. En France, c’est le redressement de la compétitivité et l’amélioration de marché du travail qui sont visés. Une différence de vocabulaire employé dans l’un et l’autre cas indique le degré d’urgence. Côté français, il s’agit principalement de « tâches », à accomplir rapidement. Côté allemand, il est surtout question de « propositions ». Mais l’objectif final est le même : ne pas subir l’avenir. L’arrivée d’une nouvelle équipe à la Commission européenne, et la perspective d’élections en 2017, en France comme en Allemagne, offrent une opportunité d’agir. Dans ce domaine, le rapport propose, d’une part, une convergence des politiques économiques et, d’autre part, des initiatives communes pour approfondir la construction européenne. A cet égard, l’union bancaire est citée, à plusieurs reprises, comme exemple pour mettre en œuvre d’autres formes d’intégration sectorielle sur ce modèle.
Le rapport « Enderlein Pisani-Ferry »a le mérite de vouloir relancer la dynamique franco-allemande dont les initiatives ont été jusqu’à présent au cœur de la construction européenne. Toutefois, que ce soit à Paris ou Berlin, les ministres de l’économie ont relativisé la portée des réformes. Pour la France, Emmanuel Macron a fait savoir que, ni la révision du mode d’indexation du salaire minimum, ni la modification du rythme des négociations salariales, n’étaient à l’ordre du jour. De son côté, Sigmar Gabriel s’est « étonné » de l’effort d’investissement réclamé à son pays. Les deux auteurs du rapport n’entendent toutefois pas en rester là et sont déterminés à rester force de proposition dans le débat. Un cahier d’indicateurs, rendu disponible sur le site de « France Stratégie », rappelle à bon escient les trajectoires divergentes suivies par les deux pays, en matière de finances publiques, de marché du travail de comptes extérieurs, et de démographie.
Les points clés du rapport
En France, c’est essentiellement du côté des réformes structurelles visant à améliorer la croissance, la compétitivité, l'emploi que les progrès sont attendus, le nécessaire rééquilibrage des finances publiques ne laissant pas de marge de manœuvre du côté des investissements publics. Les actions à engager recouvrent trois grands « Packs de réformes »
F1 – Un nouveau modèle de croissance axé :
– Sur le renforcement de la flexisécurité (possibilités d’accords offensifs de maintien de l’emploi au niveau des entreprises, via une modulation du temps de travail et des salaires, compte individuel des droits acquis par l’ancienneté entièrement portable afin de réduire les obstacles à la mobilité des salariés, etc.)
– Sur l’évolution du cadre des lois du travail (élargissement du champ des dérogations possibles aux dispositions légales dans les conventions collectives de branches ; meilleure représentation des salariés dans les PME afin d’améliorer la qualité du dialogue social, etc.)
F2 – Un socle large pour une compétitivité durable
Il s’agit ici de « réduire les rentes » et promouvoir l’efficacité dans les secteurs de biens non échangeables ; d’évoluer d’une obligation légale annuelle pour la négociation des salaires à une négociation triennale ; de changer la formule d’indexation du salaire minimum pour tenir compte de la progression globale de la productivité dans l’économie.
F3 – Un Etat « moins pesant, plus efficace »
Le rapport préconise notamment de fixer une cible « raisonnable » de réduction du ratio dépense primaires (hors charges d’intérêts) sur PIB ; de passer en revue les dépenses à moyen terme, notamment celles de nature « palliatives » (logement, emploi) ; d’impliquer un organisme indépendant dans l’évaluation de l’impact sur les dépenses des mesures d’économie, etc
En Allemagne, le succès économique est cité en exemple, mais il a pour effet d’occulter les défis structurels à long terme qui résultent de la démographie et du sous-investissement. Au-delà des réformes visant à adapter le marché du travail (encourager l’immigration, la participation des femmes, l’intégration plus rapide des jeunes diplômés) et à rendre la croissance plus « inclusive » le rapport fait des propositions pour remédier au déficit d’investissement
– D1, redonner la priorité à l’investissement public sans remettre en cause la règle du «frein à la dette»: introduire un seuil minimum pour les investissements publics ; fixer en complément de ce seuil, des objectifs chiffrés sur une période de 5 ans dans les domaines prioritaires.
– D2, créer un fonds de financement multi-niveaux (Etat fédéral, Länder, municipalité) pour mieux orienter les investissements.