Réserve fédérale : objectif emploi

par Lucas Méric, Investment Strategist chez Indosuez Wealth Management

L’économie américaine suit depuis quelques semaines une trajectoire de ralentissement désinflationniste. Une dynamique amenant la Fed et les marchés à porter une attention désormais prioritaire sur un marché de l’emploi qui, après s’être rééquilibré, semble aujourd’hui arriver à un point d’inflexion et apparaît plus que jamais comme l’élément clé dans la quête de l’atterrissage en douceur.

L’ATTERRISSAGE EN DOUCEUR SE PRÉCISE
Nous discutons depuis plusieurs trimestres de notre scénario d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine. Depuis, le mouvement de désinflation se poursuit et la croissance ralentit tout en demeurant résiliente et le marché semble désormais acquis à cette cause. Un optimisme qui reflète le fort ajustement des anticipations de croissance depuis 2023, le consensus sur la croissance américaine pour 2024 ayant était révisé de 0,7 % à 2,3 % en 12 mois. Un réalignement des anticipations qui a porté les marchés financiers, avec un S&P 500 grimpant encore de presque 15 % lors du premier semestre 2024, aussi soutenu par la thématique structurelle de l’intelligence artificielle (IA). 

Dans cette quête de l’atterrissage en douceur, la décélération du marché de l’emploi, que nous décrivions dans notre édition de mars 2024 (Jusqu’ici tout va bien), constituait un élément essentiel, à l’heure où l’inflation des services représente le contributeur majeur de l’inflation. En effet, un marché de l’emploi tendu est un frein pour la désinflation, car il supporte le pouvoir de négociation des travailleurs et implique des pressions haussières sur les salaires, part importante de la base de coût des entreprises de services.

LA CLÉ DE VOÛTE :  LE MARCHÉ DE L’EMPLOI
Le rapport entre le nombre de postes ouverts et le nombre de personnes sans emploi permet de mesurer la tension sur le marché du travail. Plus ce ratio est élevé, plus les entreprises peinent à trouver de la main d’œuvre, ce qui donne la part belle aux travailleurs, et réciproquement. Courant 2022, il existait deux postes ouverts par personne sans emploi, un déséquilibre offre/demande record qui avait propulsé la croissance des salaires jusqu’à un pic de 7 %.

Dans cette configuration, le rééquilibrage peut s’opérer de deux manières : par une hausse du chômage (offre) ou par une baisse des postes ouverts (demande). 

Un scénario d’atterrissage reposait sur un rééquilibrage s’opérant par la deuxième option, avec une activité économique ralentissant, sans entrainer de dégradation majeure du taux de chômage. Entre avril 2022 et juin 2024, le nombre de postes ouverts a diminué de près 4,5 millions quand le nombre de personnes sans emploi a augmenté de 600 000. Une dynamique saine qui a permis au marché de l’emploi de se rééquilibrer sans accroc.

L’EMPLOI : FOCUS DE LA FED 
Bien que ce rééquilibrage opéré soit une bonne nouvelle sur le plan de l’inflation, il peut désormais davantage interroger sur les perspectives de croissance. En effet, le marché de l’emploi a ralenti : les créations d’emplois sur trois mois sont à leur plus bas niveau depuis début 2021, les demandes d’allocation chômage ont augmenté en juin et le taux de chômage est passé de 3,4 % à 4,1 % depuis début 2023. Un marché de l’emploi revenu à des niveaux d’équilibre pré-pandémie laissant désormais moins de marge à davantage de ralentissement qui impliquerait une hausse plus importante du taux de chômage, qui est resté plutôt contenu jusqu’à présent (graphique 1, page 5). 

Un équilibre crucial pour comprendre les dilemmes qui pourraient se présenter à la Fed prochainement. Plus de deux ans après le début du resserrement monétaire, l’inflation sous-jacente est revenue autour des 2,5 % et l’économie américaine commence à montrer des signes de ralentissement. Une configuration qui contraste avec celle observée quelques mois plus tôt où l’économie américaine croissait de plus de 3 % (annualisé) par trimestre et que le risque d’une ré-accélération de l’inflation interrogeait les marchés.

Le principal motif d’inquiétude de la Fed est depuis peu clairement passé du côté de l’emploi, où une hausse plus importante qu’attendu du chômage pourrait venir mettre en péril l’atterrissage en douceur. La Fed n’est probablement pas prête à prendre ce risque et pourrait activer le fameux « Fed Put »2 et précipiter des baisses de taux si ce risque venait à se matérialiser davantage, quitte à tolérer une inflation restant supérieure à la cible.

PERSPECTIVES
Cependant, cette décélération de l’emploi et de l’activité économique nous apparaît davantage comme une normalisation de l’économie après les forts niveaux de croissance enregistrés en fin d’année dernière plutôt qu’une réelle dégradation. En effet, le marché de l’emploi demeure sain, les créations d’emplois bien qu’ayant ralenti restent importantes, la hausse des demandes d’allocations de chômage reflète surtout des effets saisonniers tandis que le taux de chômage reste bas et inférieur au niveau d’équilibre considéré par la Fed.

D’autant que les hausses récentes du chômage trouvent en partie leur source dans l’augmentation de la force de travail, tous les nouveaux entrants sur le marché ne trouvant pas directement un emploi, et ne témoignent pas en soi d’une dégradation du marché de l’emploi. 

La consommation devrait continuer à soutenir la vigueur de l’économie américaine avec une croissance trimestrielle avoisinant les 1,5 % à 2 % (annualisé), permettant au taux de chômage de se maintenir autour de 4 %. Un ralentissement contrôlé qui, accompagné des évolutions positives sur l’inflation observées ces derniers mois, devrait permettre à la Fed de procéder à deux baisses de taux d’ici fin 2024. Un début du cycle de baisses qui devrait mener les taux Fed à 4 % à horizon fin 2025 et permettre de soutenir la croissance économique ; une combinaison à priori constructive pour les marchés financiers américains.