par Thomas Julien et Inna Mufteeva, économistes chez Natixis
La troisième estimation du PIB au T2 2010 n’a finalement pas apporté d’informations supplémentaires puisqu’au final le chiffre a été révisé légèrement à la hausse de 1,6% T/T en ra à 1,7% avec une contribution plus forte de la consommation (+2,2% T/T en ra contre 2,0% en seconde estimation) et du cycle de restockage (0,8 pt de contribution contre 0,6 pt auparavant).
Par ailleurs, toutes les autres composantes du PIB ont étés révisées légèrement à la baisse : investissement résidentiel, investissement en équipement et logiciels, consommation publique et contribution du commerce extérieur révisée à la hausse.
D’autre part, hormis quelques nouvelles positives (consommation et commandes de biens durables notamment) le contexte actuel est toujours marqué par le ralentissement de l’activité: nouvelle baisse de l’ISM manufacturier et dégradation de la confiance des consommateurs (Conference Board). Comme le suggère la dernière réunion du FOMC et les récents discours de Bernanke, Dudley et Sack, il est maintenant très probable d’envisager un nouveau stimulus monétaire (QE 2) lors du prochain comité de politique monétaire (FOMC du 2-3 novembre)1.
Consommation : des marges de manœuvres restreintes pour les ménages
Le stimulus fiscal qui a bien soutenu le revenu des ménages en 2009 et début 2010 (apportant 128 Md$ en 2009 et 136 Md$ pour le S1 2010) devrait progressivement s’estomper à partir du deuxième semestre et au cours de l’année 2011. Pour sa part, le revenu salarial progressera un peu plus rapidement qu’en 2010 mais toujours à un rythme faible (+0,6% et +0,8% en 2011 et 2012 respectivement), cohérent avec l’état du marché du travail qui restera caractérisé par un fort taux de chômage.
En effet, les problèmes structurels tels que le mismatch important entre les emplois créés (services) et détruits (construction, manufacturiers) et l’affaiblissement de la mobilité géographique des travailleurs en raison d’un fort endettement hypothécaire accentué par le nombre important de ménages en situation de « negative equity » devraient peser sur la reprise du marché de l’emploi. L’emploi ne progressera donc que de 0,6% en 2011 et de 0,9% en 2012, ce qui ne sera pas suffisant pour permettre au taux de chômage de baisser significativement.
Cependant, le déflateur de la consommation restera contenu au cours de la période et devrait ainsi permettre au revenu disponible réel de se maintenir. En parallèle, avec toujours cette volonté de désendettement, le taux d’épargne restera à 5,8% en 2011 et 5,7% en 2012. Au final, avec un recours à l’endettement quasiment absent, la consommation des ménages ne progressera que faiblement de 1,6% pour les deux années 2011-12.
Investissement productif : redressement graduel après un rebond marqué
Après s’être effondré pendant la crise, l’investissement en équipement et logiciels s’est redressé au cours de l’année 2009 et a rebondi d’une manière particulièrement marquée au cours du S1 2010. Cependant, nous n’attendons pas de poursuite de cette reprise dynamique au delà du T3 2010 en raison de son caractère temporaire. En effet, une grande partie du rebond observé est attribuable à l’investissement de rattrapage : remplacement du capital à faible durée de vie, en productivité (nouvelles technologies), ainsi qu’en transport, notamment en avions.
Le degré important d’incertitude et le niveau élevé de sous-utilisation des capacités (capital et travail) restent les principaux freins à l’investissement productif. Cependant, la plupart des grandes entreprises sont sorties du rouge et disposent d’une forte épargne pour financer leur activité (le taux d’autofinancement a augmenté de 70,4% au T2 2008 à 112 ,4% au T2 2010).
Par conséquent, les signes positifs du redressement de la demande intérieure (ou extérieure) devraient les inciter à investir. Cependant, les perspectives de demande future anticipée étant toujours relativement limitées nous prévoyons une augmentation très graduelle et relativement lente de l’investissement productif au cours des années 2011-2012.
Investissement résidentiel : toujours au ralenti
Malgré un fort rebond de l’investissement résidentiel au T2 2010 (+25,6% T/T ra contre -12,3% au T1 2010), la reprise sur le marché immobilier reste lente. Le crédit d’impôt pour les primo-accédants a expiré en juin 2010, ce qui a eu un impact significatif sur les ventes de maisons, en précipitant les achats des maisons prévues. L’effondrement des reventes des maisons de 27% M/M en juillet 2010 confirme cette hypothèse.
Cependant, le secteur des maisons neuves, dont les ventes alimentent la construction résidentielle n’est pas sorti du marasme, l’offre enregistrant des nouveaux plus bas historiques. Malgré une dépression importante des ventes et l’effondrement de la construction, le niveau de surcapacités (maisons à vendre sur les maisons vendues) reste élevé.
Le redressement a été donc tiré par les ventes temporaires des maisons existantes dont l’offre augmente toujours avec des nombreuses saisies.
Cependant, on pourrait avoir de nouveaux moratoires sur les saisies, les banques ayant parfois tenté d’accélérer les procédures de saisie des biens immobiliers. Cela devrait ralentir le processus du désendettement des ménages et simultanément diminuer l’offre excédentaire des maisons en vente, ce qui cependant peut être favorable aux prix immobiliers. Pour leur part, les taux hypothécaires restent extrêmement bas et devraient être encore affaiblis par la politique monétaire (notamment, par le nouveau programme d’achat de titres du Trésor à long terme) Nous n’attendons toutefois pas d’amélioration du côté des ventes de maisons, étant donné que les ménages ont une encaisse de précaution forte avec le niveau élevé du chômage.
En conséquence, à l’horizon 2011-2012 l’investissement résidentiel ne devrait progresser que modérément, soutenu par le haut niveau des stocks et une légère hausse de la demande motivée par des facteurs démographiques. Finances publiques dégradées Dans ce contexte de reprise anémique, les perspectives pour les finances publiques restent dégradées. Malgré le sentiment plutôt conservateur qui prévaut actuellement aux Etats-Unis, les problèmes économiques ne laissent pas beaucoup de marges de manœuvre pour le gouvernement. En effet, les mesures du stimulus ont été fortement critiquées par le public, et l’administration d’Obama devrait jouer sur les impôts surtout pour les ménages (fameuses baisses d’impôt de Bush) et les PMEs qui créent la plupart des emplois.
Cependant, nous anticipons une légère baisse du déficit public sur les effets favorables de la fin des nombreux programmes du stimulus fiscal, ainsi que du TARP. Elle ne sera pas toutefois suffisante pour réduire la dette publique américaine. Lors de la campagne électorale le parti Républicain a présenté un programme économique pour les années à venir comprenant des mesures de réduction du déficit budgétaire. Parmi les plus représentatives, on peut noter l’annulation du stimulus fiscal et du TARP qui restent à payer, l’introduction des baisses des dépenses discrétionnaires, gel des embauches dans le secteur public hors défense. Les républicains promettent de réduire les dépenses de 100Md$ dès la première année. Malgré le manque de données chiffrées exactes des propositions nous avons pu estimer dans les grandes lignes l’impact de l’introduction des mesures mentionnées ci- dessus en se basant sur l’estimation du budget dans le mid-session review. Le déficit pourrait être réduit plus que ce qui a été envisagé par l’administration Obama en 2011.
Cependant, les baisses d’impôts supplémentaires, l’abrogation de la réforme de la santé et l’annulation des mesures déjà prévues par l’administration risquent d’augmenter les dépenses publiques à plus moyen terme, ce qui aurait pour conséquence de faire augmenter le déficit en 2012 (par rapport aux projections d’OMB). Par conséquent, en l’absence d’un vaste programme de consolidation budgétaire on peut s’attendre à ce que les déficits restent élevés, avec toutefois une légère tendance baissière.
Commerce extérieur : contribution légèrement négative
Après une contribution positive en 2009, le commerce extérieur montre un revirement de tendance en début d’année, avec un creusement de la balance commerciale. Pour les deux années à venir cette tendance devrait s’atténuer pour laisser place à une contribution légèrement négative. En effet, en l’absence de changement de modèle économique de la part des Etats-Unis visant recentrer sa production autour des émergents (avec en corollaire une forte dépréciation du change), l’élasticité des exports à la demande extérieur ne devrait pas changer drastiquement. Ceci suggère que le pays enregistrera une croissance des exports dynamique (de l’ordre de +5,8% en 2011 et +5,7% en 2012), en ligne avec la demande des émergents (la croissance mondiale devrait se situer autour de 3,5% et 3,7% en 2011 et 2012 respectivement) et avec l’hypothèse de stabilisation du change effectif, mais cette croissance ne sera toutefois pas suffisante pour compenser l’important niveau en volume des imports. Au final, la contribution du commerce extérieur à la croissance se situera autour de -0,3 pt de PIB pour les deux années à venir. A noter que les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine se sont récemment intensifiées et que le risque de mesures protectionnistes est présent.
Une forte désinflation sans scénario déflationniste
Avec une croissance sous le potentiel, le taux de chômage devrait se maintenir autour de 9,8% au cours des prochaines années. Les pressions désinflationnistes en provenance du marché du travail devraient perdurer, ce qui suggère que l’inflation sous-jacente restera modeste. De même, les perspectives sur les prix de l’énergie (stable sur la période 2011-12), implique une tendance similaire pour l’indice total des prix à la consommation (+0,9% et +1,2% en moyenne pour 2011 et 2012 respectivement).
Politique monétaire: accommodante «for an extended period of time »
Pour l’heure, la politique monétaire est encore dans une optique d’assouplissement des conditions de financement. Par la suite, avec d’une part un environnement déflationniste et d’autre part un écart à la croissance potentielle toujours élevé qui se réduit très progressivement, la politique monétaire restera extrêmement accommodante tout au long de notre horizon de prévision. La taille du bilan, qui est déjà importante (+ de 2 Md$) devrait encore augmenter après la mise en place du QE 2. Avant toute hausse des taux fédéraux, la Fed devra implémenter une stratégie claire pour réduire la taille de son bilan. Cet épisode sera important et représentera un défi pour la banque centrale en termes de communication. Ainsi, au regard des fondamentaux et de ce problème technique du bilan, nous ne prévoyons aucune hausse des taux Fed Funds tout au long des années 2011- 2012.
NOTES
- Pour plus de précision se référer au flash No 498 « Pourrait-on faire un «Quantitative Easing 2 efficace aux Etats-Unis ? » et au Special Report No 186 « Hawk-o- meter : la Fed est-elle suffisamment « dove » pour un nouveau stimulus monétaire ? »
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