par Maarten-Jan Bakkum, Stratégiste Senior Marchés Emergents chez ING IM
Le ralentissement de la croissance économique aux États-Unis et en Europe a commencé à avoir un impact manifeste sur la croissance du commerce mondial. Au cours des deux derniers mois, la croissance des exportations du monde émergent a été négative (-1% en août et -4% en septembre).
Dans notre dernier EEMM, nous avions mentionné que les économies asiatiques les plus ouvertes avaient déjà enregistré une croissance du PIB négative au deuxième trimestre. Quelques mois avant le début du repli des exportations, les investissements en biens d’équipement avaient été ajustés à la baisse. C’est ainsi que les économies asiatiques ouvertes sont particulièrement sensibles à un net ralentissement économique mondial. Les attentes en matière d’exportations sont un élément déterminant pour les investissements ainsi que la consommation car la confiance des entrepreneurs et des consommateurs a tendance à réagir rapidement.
Depuis les médiocres chiffres du deuxième trimestre, la croissance économique a continué à se détériorer. Les indices PMI de septembre pour la Corée et Taiwan (respectivement 47,5 et 44,5) suggèrent un déclin substantiel de la croissance à partir des niveaux actuels. Ce sont les maigres perspectives économiques aux États-Unis et surtout en Europe qui pèsent sur la croissance asiatique.
En Chine aussi, les perspectives de croissance se sont détériorées au cours de ces derniers mois. Le PMI d’août a été faible sur le plan externe, les nouvelles commandes à l’exportation redescendant à 48, soit sous le seuil neutre de 50 points pour la première fois depuis avril 2009. Le PMI de septembre a été un peu meilleur, mais cela n’a pas convaincu compte tenu de la détérioration des autres chiffres.
En 2008, lorsque le gouvernement chinois a entamé son assouplissement monétaire agressif, les nouvelles commandes à l’exportation du PMI étaient retombées en septembre à 46,7. Eu égard aux PMI taiwanais et coréen et à la détérioration de la situation en Europe, on peut estimer que les nouvelles commandes à l’exportation chinoises atteindront des niveaux similaires dans les prochains mois.
En raison de l’inflation élevée actuelle et des inquiétudes relatives aux déséquilibres économiques croissants depuis le début du programme de stimulation de 2008, nous pensons que les autorités seront cette fois plus prudentes. La nette détérioration du contexte mondial oblige le gouvernement chinois à soutenir la demande domestique, mais la question est de savoir quand les perspectives du commerce mondial seront suffisamment négatives et quand les autorités seront suffisamment rassurées par l’inflation.
Eu égard à l’évolution des chiffres du commerce asiatique ces derniers temps, nous pensons que les preuves du côté de la demande mondiale sont suffisantes pour que les autorités commencent à bouger. En ce qui concerne l’inflation, il faudra probablement attendre encore quelques mois avant d’observer une modération convaincante. En raison d’effets de base, de la baisse des prix des matières premières et du ralentissement de la croissance cette année, l’inflation des prix à la consommation chinois devrait diminuer substantiellement au cours des prochains trimestres. Le chiffre d’octobre devrait être le premier à descendre sous les 6%. Cette statistique sera publiée durant la deuxième semaine de novembre. D’ici-là, les autorités seront probablement prêtes à annoncer un important plan de stimulation budgétaire, un abaissement du ratio de réserve des banques, voire une augmentation du quota de crédit des banques.
Entre-temps, nous devrions distinguer de nouveaux signes indiquant que la politique économique évolue d’un biais au resserrement vers un biais à l’assouplissement. Il y a quelques semaines, les conditions de crédit pour les petites et moyennes entreprises ont déjà commencé à s’améliorer quelque peu. Et plus tôt dans la semaine, l’annonce de la première émission obligataire locale depuis le début des années 1990 a été la première preuve sérieuse du fait que les autorités commencent à bouger pour soutenir la croissance des investissements en biens d’équipement.
Depuis les réformes de 1994, le gouvernement central chinois n’avait plus permis aux autorités locales d’émettre leurs propres obligations. Ceci explique l’émergence du problème des véhicules de financement des gouvernements locaux (VFGL) au cours de ces dernières années. Lors du grand effort de stimulation de 2008/2009, les gouvernements locaux avaient joué un rôle important dans les ambitieux programmes d’investissements en infrastructure. Le financement avait été assuré par des emprunts auprès des banques et des VFGL. La dette totale des VFGL s’élève actuellement à près de 25% du PIB. Pour éviter un dérapage de ce problème d’endettement, le gouvernement a incité les banques à octroyer moins de prêts aux gouvernements locaux. Ceci a entraîné un net repli de la croissance des investissements en infrastructure au cours de ces derniers trimestres.
La décision actuelle de commencer à autoriser les autorités locales à émettre leurs propres obligations doit être considérée comme un premier pas dans le cadre d’un effort plus large visant à convertir la dette des VFGL en dette des gouvernements provinciaux. Ceci améliorerait la transparence et la responsabilité financière des gouvernements locaux. En dehors du fait qu’elle constitue le premier pas vers une solution au problème des VFGL, la première émission obligataire locale peut également être vue comme le premier signe d’un biais à l’assouplissement de la politique économique chinoise.
La province de Zhejiang émettra pour 8 milliards de yuan d’obligations à 3 et à 5 ans. Les capitaux récoltés seront utilisés pour financer des projets d’infrastructure et de logements sociaux. Pour le gouvernement central, il est important de relancer les investissements en infrastructure. Ces derniers trimestres, la politique avait eu pour objectif de réduire les investissements immobiliers. Au cours des prochains trimestres, les investissements immobiliers du secteur privé devraient diminuer, ce qui signfie dans le contexte actuel de ralentissement de la demande mondiale de produits chinois que d’autres sources de croissance doivent gagner en importance afin d’éviter un net recul du taux de croissance global. La croissance de la consommation privée est la source de croissance la plus solide eu égard à la croissance des salaires nominaux de 20%.
Toutefois, l’emploi dans l’industrie manufacturière devrait être affecté par la correction du commerce mondial, ce qui signifie que la croissance de la consommation devrait également ralentir. Tout ceci accroît la probabilité que les autorités s’efforcent de promouvoir les investissements en infrastructure au cours des prochains trimestres. Dans le passé, ceci a bien fonctionné pour stimuler la croissance de la demande domestique et cette fois encore, cette mesure devrait contribuer à éviter une nette décélération de la croissance du PIB.
Nos attentes pour la croissance du PIB chinois ont été inférieures au consensus pendant la majeure partie de l’année. Plus tôt dans la semaine, nous avons encore abaissé nos prévisions un peu plus en raison de la détérioration des perspectives de la croissance mondiale. Nous tablons désormais sur une croissance du PIB de 7,9% en 2012. Le niveau plancher trimestriel devrait être atteint au Si nous nous trompons à propos du timing de la stimulation chinoise et si les autorités attendent plusieurs mois avant de commencer à relever leur quota de crédit ou leurs dépenses, le risque baissier accompagnant nos prévisions sera considérable. Pour le marché des actions, il est également crucial que le gouvernement commence à stimuler l’économie. Récemment, le marché a sous-performé parce que les craintes relatives aux perspectives de croissance ont augmenté et que les investisseurs estiment que les autorités hésitent à agir rapidement et avec fermeté pour éviter un déclin marqué.
Comme nous l’avions mentionné dans de précédents EEMM, nous pensons que le risque baissier pesant sur la croissance chinoise a augmenté et que l’effort de stimulation total sera moins substantiel qu’en 2008 et 2009. Nous sommes néanmoins convaincus que le commerce mondial s’est suffisamment détérioré pour que les autorités chinoises entrent en action. Les premiers signes d’un biais à l’assouplissement sont déjà visibles. Globalement, les perspectives pour la croissance de la demande domestique semblent solides en Chine par rapport à la plupart des autres économies émergentes.
Nous pensons que les inquiétudes du marché à l’égard de la croissance chinoise sont quelque peu excessives, comme en témoignent les valorisations du marché des actions. Le rapport cours/bénéfices des 12 prochains mois est redescendu à 7,5, ce qui est exactement identique au niveau plancher atteint lors de la crise de 2008. Pour la première fois depuis plus de dix ans, la Chine affiche par ailleurs une décote par rapport au monde émergent pris dans son ensemble.
Compte tenu de la croissance de la demande domestique chinoise relativement solide dans un contexte mondial de croissance de plus en plus rare, nous ne pensons pas qu’une vaste décote chinoise se justifie. En outre, les importantes réserves financières (réserves de change de plus de USD 3.000 milliards, excédent de la balance courante de 4% du PIB, dette publique totale d’environ 45% du PIB) procurent aux autorités des moyens plus confortables que ceux de la plupart des autres économies émergentes afin de faire face à l’adversité.
Conclusion
Nous considérons l’assouplissement de la politique économique chinoise comme l’une des sources les plus probables de bonnes nouvelles pour les marchés financiers mondiaux au cours des prochains mois. Alors que les attentes relatives à la croissance chinoise et à l’intervention des autorités chinoises se sont largement dégradées au cours de ces derniers mois, nous distinguons un potentiel de hausse non négligeable pour les actions chinoises. Le risque baissier limité du renminbi reste une autre bonne raison d’apprécier le marché chinois.
En dehors de la Chine, nous continuons à privilégier l’Inde, l’autre marché se distinguant par une croissance relativement solide de sa demande domestique. Nous restons sous-pondérés dans les marchés les plus sensibles à la croissance des pays développés, comme la Corée et le Mexique, et dans les marchés dont la devise est la plus vulnérable, comme le Brésil et l’Afrique du Sud.