Un environnement économique mondial mitigé

par Christopher Molumphy, Michael Materasso, Roger Bayston, Michael Hasenstab et John Beck, gérants obligataires chez Franklin Templeton Investments

Amélioration de la situation budgétaire des Etats-Unis

Mi-mai, le Bureau du budget du Congrès (CBO) a nettement abaissé ses prévisions concernant le déficit du budget fédéral pour l’exercice fiscal prenant fin le 30 septembre 2013, qui passe ainsi à 642 milliards de dollars, soit seulement 4 % du produit intérieur brut (PIB) américain, contre 5,3 % en février. Cette nouvelle estimation correspond donc à un déficit inférieur à la moitié de son pic récent de 10,1 % atteint en 2009.

La réduction plus rapide que prévu du déficit public est due à l’amélioration de la situation économique, aux coupes budgétaires fédérales découlant du fameux « sequester » et à plusieurs facteurs exceptionnels, ce qui a apaisé, du moins temporairement, les inquiétudes du début de l’année concernant l’impact des énormes déficits budgétaires structurels sur la solvabilité des États-Unis. Les craintes d’une nouvelle stratégie de la corde raide, semblable à celle d’août 2011, lorsque le Congrès débattait du relèvement du plafond de la dette du pays, ont également été dissipées pour le moment.

Cependant, alors que l’amélioration de la situation budgétaire devrait être bien accueillie, les États-Unis affichent toujours une dette publique importante. De plus, d’après les chiffres du CBO, la dette fédérale détenue par le public représente aujourd’hui plus de 70 % de la production annuelle du pays, ce qui pourrait poser problème aux autorités si les taux d’intérêt, actuellement exceptionnellement bas, augmentent de manière significative.

L’amélioration de la situation budgétaire du pays pourrait atténuer la pression sur les autorités, sommées de trouver une solution durable aux problèmes de dette à long terme. Démocrates et Républicains ont cherché un grand compromis concernant le budget fédéral.

Les premiers ont souligné que la réduction du déficit est une raison suffisante pour refuser une nouvelle diminution des dépenses sociales, tandis que les seconds ont déclaré que, grâce à la hausse des recettes ayant contribué à résorber le déficit, une nouvelle augmentation des impôts n’est pas nécessaire. D’autres observateurs, indépendants, pensent que la réduction du déficit s’est faite trop rapidement et qu’un léger assouplissement budgétaire à court terme devrait soutenir l’économie, qui affiche toujours une croissance inférieure à son potentiel. Toutefois, contrairement à la plupart des pays européens, les États-Unis ont au moins affiché une croissance. Les chiffres solides de l’emploi (hors agriculture) en avril et la forte révision à la hausse des statistiques des deux mois précédents attestent également de la reprise économique américaine. Toujours en avril, le taux de chômage est ressorti à 7,5 %, soit son niveau le plus bas depuis décembre 2008. Dans son Livre beige d’avril sur les conditions économiques actuelles, la Réserve fédérale américaine (Fed) a fait état d’une hausse modérée des dépenses des ménages à travers tout le pays depuis sa dernière enquête en janvier.

De même, les ventes de détail se sont étonnamment inscrites en hausse en avril, ce qui a permis d’apaiser les craintes liées à l’impact de la hausse des impôts et des réductions des dépenses sur l’économie cette année. Ces dernières semblent plutôt avoir été contrebalancées avec succès grâce à des créations d’emplois et à l’« effet richesse » généré par la hausse des cours boursiers et par l’augmentation de la valeur des biens immobiliers.

Dernièrement, plusieurs signes de repli ont été constatés, notamment un recul de l’indice des directeurs d’achat de l’Institute for Supply Management dans les secteurs manufacturier et non manufacturier en avril.

Toutefois, d’après les premières prévisions du gouvernement (susceptibles d’être révisées), la croissance du PIB au premier trimestre est ressortie à un taux annualisé satisfaisant de 2,5 %, comparable à celui de la même période l’an dernier et bien supérieur au taux de 0,1 % enregistré au premier trimestre 2011. Le resserrement budgétaire pourrait affecter la croissance économique américaine ce trimestre, mais le pays semble aujourd’hui mieux armé pour surmonter un ralentissement en milieu d’année par rapport aux années précédentes, notamment car certains facteurs présents ces dernières années, tels que la crise de la zone euro ou un possible défaut des États-Unis, ne semblent pas être un frein dans l’immédiat. Les États-Unis ont également bénéficié de la baisse des prix de l’énergie au cours de l’année dernière.

La Fed, consciente que le pays doit renouer avec la croissance potentielle, n’a toujours pas révélé à quel moment elle comptait réduire son dernier programme d’achat d’actifs (« QE3 ») de 85 milliards de dollars par mois. Le 1er mai, le Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale (FOMC) a confirmé l’amélioration du marché de l’emploi, mais a déclaré que la politique budgétaire freinait la croissance et que la Fed était prête à « accroître ou ralentir » le rythme de ses achats d’actifs. Alors que le débat concernant une possible diminution du QE3 se poursuit, la Fed devra également prendre en compte la faiblesse de l’inflation, le nouvel activisme monétaire au Japon et en Europe et la réduction du déficit budgétaire.

Toutefois, pour le moment, la prolongation des mesures d’assouplissement monétaire a contribué de manière non négligeable à la hausse du cours de différents « actifs risqués », notamment les obligations d’entreprise de qualité inférieure à investment grade, dont les spreads ont globalement atteint des plus bas record mi-mai. Le président de la Fed Ben Bernanke a déclaré que la banque centrale attendait de voir si les taux d’intérêt faibles et la quête de rendement qui en a découlé entraînaient un regain de prises de risque excessives sur les marchés financiers.

Un environnement économique mondial mitigé

La situation économique reste quelque peu mitigée dans la plupart des autres pays. En avril, un indice important de l’activité économique mondiale, l’indice composite des directeurs d’achat calculé par Markit, a atteint son plus bas niveau depuis octobre. Dans certains pays, des signes de ralentissement ont incité le Fonds monétaire international (FMI) à abaisser ses prévisions de croissance mondiale pour 2013 de 3,5 % à 3,3 %(1). De même, la Banque européenne de reconstruction et de développement table sur une dégradation des perspectives économiques pour les pays de l’Europe émergente et d’Asie centrale, notamment parmi les grands exportateurs de matières premières. Par exemple, elle prévoit une croissance d’à peine 1,8 % cette année en Russie, dont l’économie dépend du secteur des matières premières, contre 3,4 % l’année dernière(2).

Outre la Banque centrale européenne (BCE), les banques centrales d’autres pays, comme l’Australie, la Corée du Sud, la Pologne, l’Inde, Israël, la Turquie et la Hongrie, ont réduit leurs principaux taux d’emprunt ces dernières semaines, afin de s’adapter aux changements de circonstances. Certaines de ses baisses de taux visent à freiner l’appréciation de la devise locale, due aux mesures d’assouplissement monétaire aux États-Unis, en Europe et au Japon. Le ralentissement récent de la croissance économique et de l’inflation a donné une certaine marge de manœuvre aux banques centrales pour abaisser les taux. Pour sa part, la Banque de réserve d’Australie a annoncé publiquement qu’elle souhaitait stimuler les investissements des entreprises et dans l’immobilier en raison de la hausse considérable des investissements dans le secteur minier.

En revanche, dans d’autres pays, la baisse des prix des matières premières a également dopé le pouvoir d’achat des ménages et, fait probablement plus important, a réduit les craintes de certains banquiers centraux vis-à- vis de l’expansion monétaire — même si certaines banques centrales, surtout au Canada et en Allemagne, ont critiqué l’excès de liquidités généré par les mesures d’assouplissement quantitatif au Japon, aux États-Unis et au Royaume-Uni ces trois dernières années. Pour le moment, il semble toutefois que l’atténuation des tensions inflationnistes, associée à des taux directeurs relativement élevés et, dans de nombreux cas, à des finances publiques solides, a donné aux banques centrales de nombreux pays une marge de manœuvre suffisante pour se préparer face aux perspectives économiques incertaines à court terme.

L’exemple le plus spectaculaire d’activisme monétaire vient du Japon. Le pays a affiché une croissance annualisée de 3,5 % au premier trimestre 2013, soit un taux supérieur à celui des États-Unis et qui contraste avec les chiffres du PIB décevants de la zone euro. Les mesures drastiques d’assouplissement monétaire et la dépréciation rapide du yen ont en effet entraîné une hausse considérable des exportations japonaises. La reflation et le regain de confiance des investisseurs, dû à l’envolée de l’indice Tokyo Stock Price durant la période de six mois jusqu’à mi- mai, ont incité les consommateurs japonais à dépenser. Le Parti libéral- démocrate du Premier ministre Shinzo Abe a proposé de fixer un taux de croissance annuel du PIB nominal d’au moins 3 % pour le Japon. La capacité du Japon à maintenir un tel niveau de croissance en l’absence de réformes budgétaires et structurelles importantes fait l’objet d’un fort scepticisme, mais les prochaines négociations concernant l’intégration du pays au partenariat transpacifique et les élections à la chambre haute du parlement en juillet pourraient être déterminantes dans la mise en œuvre d’une déréglementation et d’une restructuration économique.

Pour le moment, la croissance japonaise peut être considérée comme une bonne nouvelle, alors que la croissance économique mondiale est quelque peu inférieure aux anticipations. Même si la situation économique reste relativement peu encourageante, nous avons toutes les raisons de penser qu’elle pourrait s’améliorer. Par exemple, au premier trimestre, la Chine a enregistré une croissance annualisée solide de 7,7 %. Le pays a de nouveau déçu certains observateurs car ce taux est inférieur aux 7,9 % du trimestre précédent. Cependant, les chiffres du PIB indiquent une augmentation bienvenue des exportations nettes et il se pourrait qu’une hausse de la demande intérieure, soutenue par les mesures budgétaires, et la reprise actuelle des principaux marchés d’exportation, comme les États-Unis, améliorent les perspectives de la Chine dans les prochains mois. De manière plus générale, il est important de noter qu’alors que le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour cette année, il a maintenu celles de 2014 à 4 %(3).

Perspectives européennes

D’après les chiffres officiels publiés par l’Office statistique des Communautés européennes Eurostat, le PIB de la zone euro a reculé de 0,2 % en glissement trimestriel au premier trimestre 2013 (et de 1,0 % en rythme annualisé), soit une performance inférieure aux anticipations et qui maintient l’union monétaire dans la récession pour le 18ème mois consécutif. La croissance des trois principales économies de la zone euro (Allemagne, France et Italie) s’est révélée particulièrement décevante. Parmi ces pays, seule l’Allemagne a réussi à enregistrer une croissance faible. L’Italie est restée dans sa tendance baissière de long terme et la France, malgré sa capacité à émettre des emprunts d’État avec des taux historiquement bas, est de plus en plus considérée comme le mauvais élève de l’Europe, avec sa baisse de compétitivité inquiétante et sa faible capacité à réformer un État providence trop généreux.

D’après les enquêtes économiques prospectives auprès des investisseurs et des chefs d’entreprise, les intentions de dépenses et d’investissement ont légèrement augmenté. L’indice composite des directeurs d’achat calculé par Markit indique que la production dans les secteurs privés manufacturier et des services est restée obstinément faible en avril, alors que le chômage dans l’ensemble de la zone euro s’est maintenu à un plus haut record de plus de 12 % en mars, avec près de 27 % en Espagne. La faiblesse de l’activité dans la zone euro est également reflétée par l’inflation, qui a nettement reculé, passant d’un taux annualisé de 1,7 % en mars à 1,2 % en avril, d’après Eurostat. L’inflation mensuelle est ressortie négative en avril (-0,1 %), ce qui indique que l’union monétaire pourrait se diriger vers une déflation comparable à celle du Japon.

Certains signes laissent également augurer une amélioration. Au premier trimestre, l’Allemagne a enregistré une croissance annualisée de 0,3 %, soit un taux nettement supérieur aux -2,7 % du quatrième trimestre 2012. De plus, Eurostat a annoncé que les exportations de la zone euro ont augmenté pour le troisième mois consécutif en mars et que la production industrielle a dépassé les prévisions pour afficher sa croissance la plus soutenue depuis mi-2011. Sur le plan de la consommation, les ventes de voitures dans la zone euro ont progressé pour la première fois en 18 mois en avril, alors que le syndicat allemand le plus important, IG Metall, a obtenu dernièrement une revalorisation de 3,4 % des salaires (une hausse bien supérieure à l’inflation), ce qui pourrait entraîner (même si les chances sont minces) une augmentation bienvenue des dépenses de consommation en Allemagne.

Les responsables politiques européens semblent toujours compter sur un rebond pour le second semestre, puisque la plupart des pays européens en difficulté ont commencé à se redresser. Hormis la France, certains pays parmi les plus touchés par la crise de la dette souveraine (notamment l’Espagne et l’Irlande) ont en effet amélioré de façon régulière leur compétitivité sur le plan international et entrepris des ajustements structurels. D’après les dernières prévisions de la Commission européenne, les exportations espagnoles devraient progresser de 4,1 % cette année, soit la progression la plus soutenue de toute l’Union européenne. De plus, malgré le poids encore accablant de leurs créances douteuses, les banques espagnoles ont levé énormément de capitaux et passé des provisions importantes.

Même la Grèce est en train de se redresser, ce qui explique pourquoi les rendements des emprunts d’État grecs ont atteint leur plus bas niveau en trois ans mi- mai. La baisse des rendements obligataires est intervenue après la révision à la hausse inattendue de la note de crédit de la Grèce par Fitch, l’agence de notation ayant justifié sa décision par les « progrès manifestes » du pays dans la résorption de ses déficits commerciaux et budgétaires.

En dehors de la zone euro, le Royaume-Uni a réussi à éviter la récession grâce à une croissance de son PIB de 0,6 % en glissement annuel au premier trimestre. La Banque d’Angleterre a commencé à tabler sur une embellie de la situation économique britannique et a légèrement relevé ses prévisions de croissance pour les trois prochaines années. Son nouveau gouverneur, Mark Carney, devrait officiellement reprendre la direction de la Banque d’Angleterre le 1er juillet. Le gouvernement britannique espère que Mark Carney, félicité pour ses compétences à la tête de la Banque du Canada, donnera un nouvel élan à l’« activisme monétaire » et aidera l’économie du pays à renouer avec une croissance durable.

La BCE pourrait bien envisager également une nouvelle stratégie pour relancer la croissance. Après avoir réduit les taux d’intérêt de 25 points de base à 0,5 % début mai, le président de la BCE, Mario Draghi, a annoncé que la banque réfléchissait à d’autres mesures pour renforcer les crédits octroyés aux entreprises. Compte tenu de l’apaisement manifeste de la crise de la dette souveraine et de la volonté des dirigeants de la zone euro d’accorder davantage de temps aux pays périphériques pour résoudre leurs problèmes de dette publique, il semble que la série de mauvaises nouvelles touche à sa fin. Il est difficile de nier que les derniers chiffres du PIB et du chômage ont été décevants et que la forte dépréciation du yen par rapport à l’euro devrait peser sur les exportateurs européens.

NOTES

  1. Source : Perspectives de l’économie mondiale, avril 2013. © 2011 Fonds monétaire international. Tous droits réservés.
  2. Source : Service fédéral des statistiques, avril 2013.
  3. Source : Perspectives de l’économie mondiale, avril 2013. © 2011 Fonds monétaire international. Tous droits réservés.