par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole
Un front anti-déflation s’est formé avec dans son sillage des baisses de taux exceptionnelles par leur ampleur et leur rapidité. L’enjeu est de taille : la déflation est un phénomène économique rare mais suffisamment destructeur pour chercher à tout prix à l’éviter.
Il y a quelques mois encore un front anti-inflationniste se formait, avec des hausses de taux censées infléchir la dynamique des prix, ali-mentée pour beaucoup par la dérive des prix pétroliers. Nous jugions à l’époque (Eco News du 12 juin 2008) que les banques centrales prenaient un risque en reléguant au second plan la crise financière et son onde de choc déflationniste. Seule la Fed semblait vouloir se prémunir contre le risque d’enclenchement d’une telle spirale baissière.
Depuis lors, l’éclatement de la bulle pétrole à la mi-juillet et la nouvelle aggravation de la crise financière après la chute emblématique de Lehman Brothers ont ravivé les craintes déflationnistes en même temps que la croissance mondiale connaissait un coup de frein brutal. En réponse, c’est un front anti-déflation qui se forme aujourd’hui avec, dans son sillage, des baisses de taux exceptionnelles par leur ampleur et leur rapidité. La Fed a, en une année, concédé 425 pdb de baisse de taux et vient de porter les Fed funds à zéro en décembre. Les autres banques centrales ne lui ont emboîté le pas que très récemment mais semblent également prêtes à frapper vite et fort (avec des cibles de 1,5 % pour la BCE et 0,5 % pour la BoE mi-2009, soit, respectivement, 275 pdb et 550 pdb de baisses en moins de neuf mois).
L’enjeu est de taille : la déflation est un phénomène économique rare mais suffisamment destructeur pour chercher à tout prix à l’éviter. Si comparaison n’est pas raison, l’épisode de la Grande Dépression des années 30 doit avoir valeur d’exemple : à l’époque, l’effondrement de la demande globale a provoqué une contraction de l’activité aux États-Unis de plus de 7 % en moyenne entre 1930 et 1933 et le taux de chômage a culminé à 25 %. Plus récemment, après l’éclatement de la bulle boursière et immobilière à la fin des années 90, le Japon s’est enferré dans une spirale déflationniste qui lui a coûté une décennie de croissance et une destruction massive de richesse.
Pour parer la menace, il faut bien sûr agir sur les anticipations d’inflation. L’économie a d’autant plus de chance de s’enfoncer dans une spirale baissière où récession et déflation s’auto-alimentent que les agents économiques anticipent des baisses de prix futures et repoussent en conséquence leurs décisions d’achat ou d’investissement. En plus de cette action sur les anticipations, il faut aussi et surtout alléger la contrainte de liquidité des agents surendettés afin de circonscrire les cercles d’insolvabilité et d’amortir la chute des prix d’actifs, pour limiter en retour une détérioration supplémentaire des bilans bancaires avec à la clef un rationnement excessif du crédit et une chute de l’activité. Ces mécanismes de déflation par la dette (debt deflation) sont à la mesure des excès de levier accumulés dans la phase montante du cycle et donc potentiellement dévastateurs, notamment à partir du moment où les taux réels ne peuvent plus baisser pour soulager les emprunteurs.
Des assouplissements monétaires agressifs ont bien pour vocation d’agir sur ces deux paramètres. Des taux bas favorisent une consommation immédiate au détriment d’une épargne rendue peu attractive et peuvent donc recréer un terrain favorable à l’inflation. En s’engageant à maintenir au plancher le loyer de l’argent, les banques centrales contribuent aussi à translater la courbe des taux vers le bas, ce qui habituellement agit sur le coût et la disponibilité de la ressource financière, surtout lorsque l’horizon s’éclaircit et favorise la prise de risque (intrinsèque à toute décision de prêt). L’ensemble participe au rebond des marchés financiers lorsque les anticipations finissent par se cristalliser autour de l’idée d’une reprise.
Sauf que, aujourd’hui, tant le dysfonctionnement des marchés est généralisé et l’aversion au risque élevée, les mécanismes de transmission de la politique monétaire traditionnelle sont inopérants. Les marchés restent tétanisés par manque de visibilité, la défiance est partout avec en corollaire une hausse des primes de risque et des problèmes de liquidité et de refinancement. Face à ce manque d’efficacité et alors que les munitions s’épuisent, les banques centrales, Fed en tête, innovent et commencent à déployer tout un arsenal d’outils non conventionnels pour « reflater » le système. Faire marcher la planche à billet pour racheter tous types d’actifs doit mécaniquement alléger les pressions déflationnistes dans la sphère financière, mais elle ne peut agir directement sur la psychologie des agents. L’aspect confiance est toute aussi primordial et la communication est à ce titre un outil puissant, à utiliser sans aucune modération…