par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
• Le président de la BCE, Mario Draghi, a de nouveau insisté sur le phénomène de « contagion positive » visible sur les marchés financiers et dans les enquêtes de confiance. Dans le même temps, il a signalé très clairement que la politique monétaire resterait accommodante, en raison de la persistance de nombreux risques baissiers.
• En particulier, le Conseil des gouverneurs surveillera de près l'évolution du taux de change afin d’évaluer les conséquences de l’appréciation de l’euro sur l’activité et l'inflation.
• Le changement de ton de la BCE est subtil, mais pas anodin, et suggère qu’un nouvel assouplissement monétaire reste probable. Nous prévoyons toujours une baisse du taux «Refi» à 0,50% d'ici le mois de juin. Les nouvelles projections du staff des économistes qui seront publiées en mars seront décisives : à moins d'une révision en hausse des prévisions d'inflation, la BCE devrait signaler un biais baissier plus explicite, ouvrant la voie à une baisse de taux.
• Les conditions de la liquidité et la récente hausse des taux Eonia liée aux remboursements des opérations de refinancement à 3 ans (LTRO) semblent, en revanche, assez peu préoccuper M. Draghi. La BCE prévoit un excès de liquidité suffisamment important pour que les taux du marché monétaire restent en ligne avec le réglage de sa politique monétaire.
La BCE plus dépendante des données et de l’euro
Il ressort de la conférence de presse de la BCE que les débats ont été particulièrement denses, tant en coulisse que durant la séance de questions-réponses. Pour autant, toutes les questions n'ont pas trouvé de réponse. D'un point de vue macroéconomique, l’orientation de la politique monétaire de la BCE paraît désormais plus sensible aux données et au taux de change qu'elle ne l'était il y a un mois. En citant explicitement l'appréciation de l'euro comme un risque (à la baisse) sur la stabilité des prix, Mario Draghi a surpris tous ceux qui n'attendaient aucune allusion au taux de change, tout en restant fidèle au cadre analytique habituel de la BCE. Ce commentaire nous conforte dans l’idée que si la BCE venait à assouplir sa politique monétaire en réponse aux fluctuations de l’euro, elle le justifierait nécessairement par une réévaluation de la balance des risques sur la stabilité des prix. Ce qui vaut pour d'autres chocs exogènes (sur les matières premières, les actions, les conditions financières), vaut pour l'euro.
Les variations de l’euro vont donc revêtir une importance particulière dans les prochaines semaines. Les indicateurs économiques seront, eux aussi, suivis avec attention pour détecter de nouveaux éléments plus probants d’une éventuelle « contagion positive » à l'économie réelle. Enfin, il en ira de même de la situation politique en Espagne et en Italie, y compris pour son impact potentiel sur la devise. Sauf accident, les projections actualisées du staff des économistes de la BCE attendues en mars devraient refléter une légère embellie des perspectives économiques, même si la faiblesse de la demande de crédit et les écarts cycliques entre pays membres devraient encore brider la reprise. Les projections d'inflation du staff constitueront un déterminant majeur de l'évolution de la politique monétaire à court terme. Dans les prévisions de décembre, l'inflation était attendue à 1,4% en 2014, ce qui se traduisait par une croissance nominale du PIB à moyen terme la plus basse jamais prévue par le staff. A moins que les projections d'inflation ne soient sensiblement relevées, la BCE n'aura aucun mal à justifier une position plus accommodante, voire à signaler une baisse des taux imminente; par exemple, en indiquant que les risques sur l’inflation penchent désormais à la baisse (contre une balance des risques « équilibrée » aujourd’hui).
Un geste sur les taux n’est toutefois pas garanti pour autant. Si l'euro se stabilise ou se déprécie au cours des prochaines semaines, la BCE pourra maintenir le statu quo plus longtemps. Or la difficulté, pour le marché et les observateurs, vient du fait que l'euro subit actuellement l'influence de multiples facteurs. L'un d'eux est le retour de la confiance, qui se traduit par des afflux de capitaux vers la périphérie de la zone euro et la réallocation des portefeuilles en faveur d’actifs en euro, un phénomène par ailleurs renforcé par les remboursements anticipés LTRO à 3 ans. Parmi les autres facteurs « fondamen- taux» figurent bien sûr les perspectives de croissance, la situation politique, la performance relative des indices boursiers, sans oublier la communication de la BCE elle-même ! Enfin, certains facteurs affectant l'euro échappent au contrôle direct de la BCE, dans un contexte de craintes liées à une « guerre des change », marqué par de nombreuses banques centrales qui tentent de déprécier leur devise de façon plus ou moins directe.
Un ton plus « dovish » en mars, avant une probable baisse des taux au T2
Au final, compte tenu de notre vision prudente des conditions de crédit et des perspectives économiques à court terme (cf. notamment les deux graphiques ci-dessous tirés de l'enquête de la BCE auprès des banques), mais aussi parce que nous pensons que la récente appréciation de l'euro, extrêmement rapide, peut menacer une reprise fragile, davantage que dans des conditions « normales », nous continuons de penser qu'un nouvel assouplissement monétaire reste probable cette année (pour plus de détails, voir ECB: dealing with unintended consequences). Notre scénario central intègre donc toujours une baisse de 25pb du taux « Refi » en juin (contre mars initialement).
Quoi qu'il en soit, le Conseil des gouverneurs dispose d'une marge de manœuvre assez limitée, et il faut s'attendre à ce qu'il continue de gérer les anticipations de façon à assurer la stabilité financière et laisser le temps à la reprise économique de se renforcer. C'est à nos yeux la raison pour laquelle Mario Draghi a tant insisté sur le fait que « l'orientation de la politique monétaire restera accommodante », comme une forme d’assurance contre un resserrement de fait des conditions monétaires (euro, taux interbancaires). Sur une note plus positive, la BCE a indiqué que le climat des affaires se «stabilisait à de bas niveaux » (bien que les risques restent orientés à la baisse) et qu’une reprise plus marquée était toujours attendue plus tard cette année, à la faveur notamment d'un « raffermissement de la demande mondiale » (une formulation plus positive qu'en janvier).
Pas d’inquiétude sur les conditions de liquidité
Les points suivants ressortent également du communiqué de la BCE et des commentaires de Mario Draghi durant la conférence de presse :
-) La BCE ne s'inquiète pas à ce stade de voir son bilan se réduire et les taux d'intérêt à court terme remonter légèrement sur le marché monétaire. Les remboursements de LTRO sont sans surprise considérés comme le reflet d'un regain de confiance et d'un meilleur accès aux financements privés. La BCE continuera de surveiller la situation de près après l'ouverture de la fenêtre de remboursement de la deuxième opération de refinancement à 3 ans (première annonce le 22 février), mais il est intéressant de noter que M. Draghi a indiqué ne pas s'attendre à ce que l'excès de liquidité chute sous le seuil de 200Mds EUR, considéré comme compatible avec une politique accommodante. L’excès de liquidité se situe actuellement sous les 500 Mds EUR et historiquement, ce seuil de 200 Mds représente le niveau en dessous duquel les premières tensions sur le taux Eonia peuvent apparaître, même si rien ne garanti qu’il en sera de même à l’avenir. Surtout, en cas de besoin, la BCE se tient prête à garantir aux banques la liquidité nécessaire, en maintenant notamment les appels d'offres illimités. Mario Draghi a d’ailleurs déclaré ne pas accorder trop d’importance à la hausse des taux Eonia qui est selon lui le résultat de divers facteurs, y compris « structurels », liés au profil des banques, grandes ou petites, ayant remboursé les LTRO.
-) Les négociations avec l'Irlande visant à réduire la charge de la dette du pays ont débouché sur un accord. M. Draghi a répété à plusieurs reprises que « le Conseil des gouverneurs avait pris acte de la décision irlandaise » de liquider la banque Anglo Irish. Bien que refusant d'entrer dans les détails, il a indiqué que les lignes de liquidité fournies par la banque centrale d’Irlande (ELA) prendraient fin, un autre point positif. Peu après la conférence de presse, le Premier ministre irlandais, Enda Kenny, a confirmé qu'un accord avait été trouvé pour remplacer les promissory notes contre des obligations à plus long terme.
-) A propos du scandale de la banque italienne Monte dei Paschi (MPS), Mario Draghi a défendu l’action « appropriée et efficace » de la Banque d’Italie liée à la supervision de MPS, précisant qu’il avait d’ailleurs été publié des documents détaillés le prouvant. Il a en outre rappelé que le FMI avait donné un avis positif sur ces mesures. Il a enfin suggéré que cette affaire faisait partie du « bruit habituel que des élections sont susceptibles de générer ».