Une BCE trop optimiste ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Dans un monde où les risques politiques et géopolitiques se sont intensifiés, et où en corollaire l’incertitude est devenue une caractéristique durable, l’exercice de prévision devient une tâche ardue. La fin d’année 2014 en fournit un bon exemple avec la chute combinée du prix du pétrole et de l’euro qui modifie considérablement les scénarios de croissance et d’inflation, en particulier pour la zone euro.

Associée à l’assouplissement du policy-mix, avec la détente de Bruxelles sur les finances publiques et le lancement du QE, ce nouvel environnement permet de devenir beaucoup plus optimiste sur les perspectives économiques de la zone euro à court terme, ce qui semble aujourd’hui relativement consensuel. Toute la question est celle de savoir s’il faut redevenir positif sur la zone euro à moyen terme… Or il est très compliqué aujourd’hui de répondre à cette question. En tout cas, la BCE semble y croire. En effet, lors de son dernier Conseil des gouverneurs, la BCE a révélé ses nouvelles projections de croissance et d’inflation qui apparaissent très optimistes.

Si la révision haussière de la croissance pour 2015 et 2016 était largement anticipée, la première publication de la prévision de croissance pour 2017 peut paraître surprenante. En effet après une croissance de 1,5% en 2015 et de 1,9% en 2016, la BCE attend une nouvelle accélération de la croissance en 2017 à 2,1%. La BCE précise toutefois que les risques portant sur les perspectives économiques sont toujours baissiers. Du côté des projections d’inflation, alors que la prévision de 2015 est revue à la baisse à 0% ce qui n’est guère étonnant avec la prise en compte de l’affaiblissement du prix du pétrole, celle de 2016 est révisée à la hausse à 1,5% et la BCE anticipe une inflation de 1,8% en moyenne en 2017, soit un retour vers sa cible (légèrement inférieure à 2%). Rappelons que ces projections sont faites à partir des anticipations de marché sur le pétrole (59$ en 2015, 67$ en 2016 et 71$ en 2017) et le taux de change (1,14 en 2015 et 1,13 en 2016/2017).

Derrière ces chiffres, le scénario brossé par la BCE nous semble très optimiste même s’il est plausible. En 2015, l’accélération de l’activité est en grande partie imputable à celle de la consommation des ménages qui est très probable avec le choc pétrole positif. En 2016, si la consommation se maintient, c’est l’investissement qui prend le relais en accélérant nettement ce qui peut se justifier, en partie, par la mise en place du plan Juncker. La BCE croit ensuite au retour du cycle d’investissement à l’image de ce qui s’est passé aux Etats-Unis. La machine se remettant en route, les entreprises embauchent à nouveau, les salaires accélèrent légèrement et la consommation se maintient. Enfin, la BCE anticipe une poursuite de l’accélération de la croissance mondiale.

Nous voyons plusieurs risques portant sur la réalisation de ce scénario. En effet, si les politiques économiques devraient rester expansionnistes, les autres chocs positifs dont bénéficie aujourd’hui la zone euro pourraient se révéler transitoires. C’est en particulier le cas du pétrole. Même dans un scénario de faible remontée (anticipations de marché), l’impact sur la croissance va progressivement s’estomper. De plus, le risque d’une hausse plus forte que prévue du prix du pétrole est bien présent, avec un effet négatif sur la croissance et haussier sur l’inflation. De plus, ce scénario de la BCE suppose le retour de la confiance des agents privés, ce qui est incertain. Par ailleurs, contrairement aux Etats-Unis où la période post-crise a été caractérisée par le désendettement des agents privés, l’ajustement a été faible dans la zone euro ce qui milite pour une modération de la reprise du crédit (cf edito : Vers une reprise du crédit dans la zone euro ?). L’accélération de la croissance mondiale est également loin d’être certaine. Enfin, les risques politiques, reflétés par le manque de confiance et d’ambition dans l’approfondissement de la zone euro (toujours pas de fédéralisme), nous semblent aussi un frein à moyen terme. Avec de telles projections de croissance, le déficit de demande dont souffre aujourd’hui la zone euro – caractérisé par un taux de chômage élevé – va se résorber progressivement et l’output gap va se refermer. Comme nous le mettions en avant dans le cas des Etats-Unis (cf edito : Fed : pourquoi les marchés ne veulent pas y croire ?), il est très difficile de savoir précisément quelle est l’ampleur de l’output gap mais la zone euro va finir par buter sur la limite de ses capacités impliquant un retour de la croissance vers son rythme potentiel qui est bien inférieur à 2%.

Ainsi, la BCE privilégie le scénario très optimiste du retour du cycle d’investissement et une reprise forte en 2017 avec l’idée sous-jacente que sa politique va être plus que fructueuse et que les gouvernements vont mettre en œuvre les réformes nécessaires à une amélioration structurelle de la croissance. A ce stade, nous aurions tendance à être plus mesurés…

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