« Une transition juste »

par Claudia Ravat, Analyste ESG chez La Française AM

Lors du 12e Forum des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme, une assemblée diversifiée de parties prenantes, comprenant des représentants d’ONG, des militants, des entreprises et des hauts fonctionnaires, s’est réunie dans ce qui était connu sous le nom de salle XX du Palais des Nations à Genève. La conférence s’est penchée sur l’état actuel des droits de l’homme, les progrès récents et les initiatives futures. Un appel pressant a été lancé pour cesser de séparer la crise climatique de la crise humaine, en soulignant leur interconnexion. Avec en toile de fond le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, les participants ont reconnu les liens complexes entre ces défis, ouvrant la voie à des discussions sur la manière dont les entreprises peuvent jouer un rôle transformateur dans l’élaboration de solutions durables. Cette affirmation souligne le rôle vital d’une action décisive pour assurer une transition climatique juste et durable. 

Droits de l’homme, état et violations

La conférence a exploré le paysage mondial des droits de l’homme d’aujourd’hui, où une triade de défis – conflits politiques, changement climatique et avancées technologiques – se profile à l’horizon. L’interconnexion entre les crises climatique et humaine souligne l’impératif d’une transition juste. En particulier, la chaîne d’approvisionnement est apparue comme un point central des discussions, se révélant être un sujet à risque en ce qui concerne les violations des droits de l’homme. Les communautés autochtones, qui protègent 80 % de la biodiversité restante[1], sont les plus touchées par les violations des droits de l’homme, confrontées à des problèmes tels que la discrimination, l’accaparement des terres et l’exploitation des ressources, et sont les plus vulnérables aux effets négatifs du changement climatique. Il est frappant de constater que les communautés, déjà fortement touchées par le changement climatique, sont doublement accablées et victimes des initiatives de transition climatique qui impliquent des projets d’infrastructure et d’énergie renouvelable à grande échelle sur leurs terres, ainsi qu’une intensification de l’extraction minière. Le forum a souligné l’importance des droits au consentement préalable, libre et éclairé, dont la pratique est pourtant limitée, et a appelé les entreprises à s’engager auprès des communautés autochtones. Le passage d’un état d’esprit fondé sur des considérations morales à une allocation stratégique des ressources est essentiel pour favoriser des pratiques commerciales responsables et durables.

En outre, la complexité des migrations humaines, notamment en réponse au changement climatique, met en lumière des lacunes importantes dans les cadres juridiques et politiques. L’aggravation de la crise du travail forcé et du travail des enfants constitue une menace pour les hommes, les femmes et les enfants et est principalement alimentée par des intérêts économiques privés. Nous estimons qu’aujourd’hui 50 millions de personnes sont victimes de l’esclavage moderne[2]. Un examen plus approfondi des droits des travailleurs dans ce contexte révèle des préoccupations urgentes, concernant notamment la liberté d’association, l’accès aux voies de recours et les droits fondamentaux sur le lieu de travail. Même dans les pays les plus développés, les travailleurs se heurtent à des obstacles pour faire valoir leurs droits et négocier des conditions de travail équitables. Le forum a souligné la nécessité de mettre en place des mécanismes de protection solides et d’assurer l’accès à la justice et à la réparation pour les travailleurs victimes de violations des droits de l’homme, y compris celles qui découlent des changements induits par le climat. 

Réglementations et solutions futures

Célébrant les douze ans des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, le forum a réaffirmé la norme mondiale. Approuvés par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en 2011, les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme fournissent un cadre global, « Protéger, respecter et réparer », qui définit les responsabilités des États et des entreprises en matière de droits de l’homme. Les normes de l’Organisation internationale du Travail et de l’OCDE[3] ont également été discutées, soulignant l’impératif de renforcer la diligence raisonnable, en particulier en ce qui concerne les populations autochtones. La nécessité d’une transparence accrue et d’une évaluation des risques des chaînes d’approvisionnement a par ailleurs été soulignée, illustrant le rôle crucial que les entreprises peuvent jouer dans le respect et la protection des droits de l’homme.

S’agissant de l’avenir, le forum a résonné comme un appel à des solutions innovantes et à des efforts concertés pour aborder le lien complexe entre l’activité des entreprises et les droits de l’homme. Les discussions ont mis en lumière les efforts du groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée (OEIGWG) pour élaborer un « instrument juridiquement contraignant visant à réglementer, en droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises ».  Le groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme s’apprête à remettre, en juin 2024, un rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, qui explorera l’alignement des pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans le secteur financier sur les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. 

À la clôture du forum, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a conclu en déclarant : « Je vous demande instamment de placer les droits de l’homme au centre de toutes les décisions relatives au climat lors de la COP 28 et au-delà ».

NOTES


^
[1] Le rôle des peuples autochtones dans la conservation de la biodiversité, Claudia Sobrevila, Banque mondiale, mai 2008

[2] Rapport sur les estimations mondiales de l’esclavage moderne, Organisation internationale du Travail, septembre 2022

[3] Organisation de coopération et de développement économiques