Union cherche cohésion

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Dans l'esprit de ses promoteurs, l'Union économique et monétaire (UEM) devait être couronnée par un fédéralisme budgétaire. On sait qu'il n'en fût rien. Depuis plus de dix ans qu'existe l'euro, les politiques fiscales n'ont pas été harmonisées et ont même pu se faire concurrence. En dépit des critères édictés à Maastricht, les États ont piloté leurs comptes avec une relative liberté, certains obtenant des améliorations structurelles, d'autres pas. Quant au budget de l'Union européenne, il est resté limité dans sa taille (à peine plus de 1% du PIB communautaire) comme dans ses attributions (il reste pour beaucoup dévolu à la politique agricole commune). Aussi la zone euro ne dispose-t-elle pas de véritables amortisseurs en cas de choc.

Dans le vocable des économistes, elle n'est pas optimale. Si l'un de ses membres connaît une crise et que sa main-d'œuvre trouve difficilement à s'employer ailleurs que chez elle, il lui est difficile d'en sortir. La dévaluation n'est pas possible, et la chute des rentrées fiscales n'est pas compensée par le maintien des recettes en provenance de voisins mieux lotis. Le filet de protection qui, dans un système fédéral, est tendu par les régions riches au bénéfice de celles qui le sont moins, n'est pas aussi solide. Lorsque le maillon le plus faible de la chaîne est soumis à des tensions, il peut casser. 

La crise grecque du printemps 2010 aura finalement révélé un vice de conception que l’on soupçonnait depuis l’origine. Confrontée pour la première fois au risque de défaut d’un de ses membres, l'Union a dû inventer des solutions pour pallier son manque de gouvernance. Au-delà du prêt consenti à l’Etat hellène, les Seize ont constitué une structure de financement ad hoc pouvant mobiliser jusqu’à 440 milliards d’euros. C’est le Fonds européen de Stabilité financière (FESF) dont les ressources – des titres de dette émis sur les marchés – sont garanties par les États au prorata de leur participation au capital de la BCE. L’UE a, par ailleurs, mis à la disposition de ses 27 membres une facilité de prêt pouvant atteindre 60 milliards d’euros.

Cet arsenal communautaire aurait dû se limiter à une forme de présence rassurante pour les marchés. Il n'était prévu ni pour durer au-delà de 2013, ni même pour fonctionner aux yeux de l'Allemagne, très réticente à l'accepter. La première puissance européenne est, en effet, la plus susceptible de payer pour les autres. Son engagement de garanties auprès du FESF atteint 119 milliards d’euros (27% de l’enveloppe). Avec la France, elle cautionne près de la moitié des sommes susceptibles d'être levées dans le cadre d'une assistance aux autres membres de l'UEM.

Vus d'outre-Rhin, où la maîtrise des finances publiques est inscrite dans la Constitution, les plans de soutien valent tant que l'on ne s'en sert pas, le meilleur moyen de s'en passer étant de faire des économies. Las ! La crise ayant rattrapé l'Irlande et menaçant désormais le Portugal, la solidarité communautaire prend un tour concret. Le Tigre celtique va bénéficier d’un prêt international d'au moins 80 milliards d'euros, l'équivalent de la moitié de son PIB annuel. A charge pour lui de recapitaliser ses banques et d’engager une cure d’austérité budgétaire de grande envergure.

L’Ile jouirait de conditions financières plus avantageuses que celles consenties à la Grèce. Elle emprunterait à 3%, soit à la moitié du coût du marché, ses besoins étant ainsi couverts jusqu’en 2013. Mais après? Il lui faudra refinancer le prêt communautaire alors même que ses tombées de dette vont commencer à s’alourdir. Son retour sur les marchés pourrait finalement s’avérer d’autant plus problématique qu’il se fera pour des montants élevés et a priori sans le filet de sécurité communautaire. Les acteurs de marché l’ont bien compris, qui n’ont guère relâché la pression ces derniers jours. Le CDS (credit default swap) à 5 ans de l’Ile implique toujours une prime record et l’agence de notation Standard & Poor’s a salué, à sa manière, le plan d’aide européen, en dégradant la dette souveraine à long terme de l’Irlande de deux crans, de AA- à A.

Que valent les perfusions à l’Irlande ou la Grèce si leur retrait doit intervenir trop tôt et provoquer ainsi la rechute du patient ? Répondre à cette interrogation devient la priorité à Bruxelles, où il est désormais question de pérenniser le mécanisme de soutien aux États en difficulté. L’entreprise est ardue, puisqu’elle implique de modifier les statuts du traité de Lisbonne, donc de concilier des positions divergentes.

Celle défendue par Berlin reprend à son compte des modalités de restructuration de dette éprouvées en Club de Londres ou Paris mais jusqu'ici réservées au pays en développement. L'aide européenne serait conditionnée par la mise en place de programmes d'ajustements et l'acceptation par les créanciers privés de "clauses contractuelles collectives" sur les obligations émises par les Etats concernés. Il s'agit, en clair, de reconnaître à un pays dont les finances publiques sont sur une trajectoire insoutenable la possibilité d’allonger la maturité de sa dette, d'en renégocier les intérêts, voire de ne pas la rembourser au pair. Une révolution en zone euro.

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