par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Alors que toutes les grandes économies de la planète montrent des signes de faiblesse (à divers degrés) et mettent en place des politiques monétaires de plus en plus expansionnistes pour tenter de soutenir leur croissance, l’économie américaine affiche un taux de croissance très élevé, 4,2% en rythme annualisé en moyenne sur les deux derniers trimestres. S’il faut rester mesuré car des révisions sont toujours possibles et que le chiffre du deuxième trimestre suivait une contraction du PIB de 2,1%, il semblerait toutefois que l’économie américaine se trouve sur une dynamique de forte croissance, nettement supérieure à son potentiel (estimé à environ 2%).
La croissance américaine est principalement tirée par la demande domestique, toutes ses composantes contribuant positivement. Les ménages continuent de consommer sur un rythme de 2,5% environ (en rythme annualisé). Leur situation s’est nettement améliorée ces dernières années même si ce constat doit être nuancé par d’importantes inégalités. En particulier, malgré la modeste progression des salaires (environ 2%), ils profitent du dynamisme de l’emploi (+1,9% sur un an), d’une inflation relativement faible (1,7%) et d’une revalorisation de leurs actifs. Par ailleurs, ils ne subissent plus d’effet fiscal négatif. A ce stade, il n’y a guère de raison d’anticiper un ralentissement de la consommation, au contraire la forte baisse du prix de l’essence ces dernières semaines (de 16% depuis début octobre) redonne du pouvoir d’achat aux ménages et pourrait permettre une accélération de leurs dépenses. L’investissement résidentiel s’est également renforcé au cours des deux derniers trimestres après l’ajustement baissier enregistré fin 2013 qui avait été lié à la forte remontée des taux d’intérêt hypothécaires (+120pb sur le S2-2013).
Le marché immobilier devrait continuer de s’améliorer mais progressivement. Par ailleurs, après la modération de 2013 probablement liée à l’incertitude fiscale, les entreprises se sont remises à investir sur un rythme élevé (10% en rythme annualisé en moyenne sur les deux derniers trimestres). Si ce rebond n’est guère surprenant, toutes les conditions étant réunies pour envisager une reprise pérenne de l’investissement (cf edito « Les entreprises américaines vont-elles se remettre à investir ? »), les dépenses d’investissement pourraient toutefois ralentir dans les trimestres à venir ce que suggèrent les dernières commandes en biens durables (cf snap« US durable goods orders report suggests a poor start for business investment in Q4 »). Enfin, les exportations se sont raffermies et les entreprises américaines commencent à regagner des parts de marchés.
Globalement, l’économie américaine bénéficie d’une reprise cyclique à laquelle s’ajoute un choc d’offre positif (pétrole). Elle devrait donc continuer d’enregistrer une croissance assez élevée mais en baisse par rapport aux deux derniers trimestres. Si des taux de croissance entre 2,5% et 3% sont soutenables à court terme en raison de la persistance d’un output gap négatif1, cela risque de ne pas être le cas très longtemps avec l’absorption progressive des surcapacités productives. Il est toujours compliqué d’avoir une idée précise de l’ampleur de l’output gap mais les différentes mesures de tensions sur les capacités suggèrent que celui-ci ne devrait plus être très loin de son niveau d’équilibre, soit un retour du PIB à son potentiel. Le taux d’utilisation des capacités de production se trouve désormais à un niveau proche de sa moyenne de longue période (environ 78%) suggérant qu’il faudra davantage d’investissements de capacité pour répondre à une croissance plus forte. Par ailleurs, même si l’on sait bien que le taux de chômage n’est pas forcément le meilleur indicateur pour avoir une idée de la main d’œuvre inutilisée et qu’il doit être complété par d’autres mesures, sa forte baisse ces derniers mois reflète cependant une nette amélioration sur le marché du travail. En effet, il a perdu 1,2pt en un an pour atteindre 5,8% en octobre 2014, alors que le taux de participation s’est stabilisé (certes à un bas niveau). L’économie américaine a créé 2,6 millions d’emplois sur les douze derniers mois. Le taux de chômage est désormais également proche de son niveau naturel (5,5%).
Alors que nous évoquions certains risques portant sur l’économie américaine (cf edito « La Fed va-t-elle faire marche arrière ? »), le risque de ralentissement pourrait finalement venir de l’incapacité de l’offre à répondre à la demande dans un contexte où la croissance potentielle des Etats-Unis est aujourd’hui plus faible que par le passé avec le ralentissement de la progression de la population en âge de travailler et l’affaiblissement des gains de productivité.
NOTE
- Ecart entre la production effective et la production potentielle