par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management
En 1929 puis au début des années 30, la crise qui a éclaté aux Etats-Unis, s'est approfondie en raison d'erreurs de politiques économiques et s'est propagée vers le reste du monde. Durant cette période, les Etats-Unis considérés comme première puissance n'ont jamais été remis en cause. Il fallait remettre chaque économie sur les bons rails après un choc considérable. Cela a été long, difficile et douloureux.
Cependant, les sorties du système de change-or du Royaume-Uni à l'automne 1931 et des Etats-Unis au printemps 1933 avaient eu un effet salvateur. Provoquant, de fait, des politiques monétaires accommodantes et fortes des réflexions sur le rôle de la politique budgétaire, la croissance est repartie rapidement à partir de ces changements de régime. Finalement, la reprise s'est opérée et la hiérarchie qui était observée avant la crise n'a pas été vraiment remise en cause notamment le leadership des Etats-Unis.
Crise de 2007 : de nouvelles références
La situation actuelle est très différente. la crise a éclaté aux Etats-Unis à partir de l'été 2007 et s'est déplacée en Europe. En cela elle n'est pas très différente de celle du début des années 30. Cependant, la différence principale est que la hiérarchie qui prévalait avant la crise ne sera probablement plus celle qui sera observée après.
Ce changement reflète deux situations très distinctes. La première est celle du rôle majeur des pays émergents depuis le début du XXIème siècle sous l'influence de l'Asie et de la chine en particulier. Cette prééminence de l'Asie est perceptible en regardant le profil de la production industrielle par grandes régions. Si la production industrielle mondiale est en progression depuis la récession de 2008 c'est essentiellement le fait de l'Asie hors Japon.
La seconde situation est que dans la phase de reprise observée depuis 2009, les pays industrialisés peinent à retrouver une croissance soutenue et autonome. Pour la plupart d'entre eux, le niveau d'activité est encore très loin de celui qui était observé avant la récession de 2008. Ce processus est très long, beaucoup plus long que ce qui était constaté par le passé. Aux Etats-Unis, où l'on dispose d'une mesure précise du cycle économique, on relèvera que le niveau d'activité d'avant la récession de 2008 n'est revenu qu'au 3ème trimestre 2011. Il aura donc fallu 16 trimestres pour retrouver ce niveau (le 4ème trimestre 2007 est estimé comme le point haut d'avant la récession). Auparavant et depuis les années 1950, ce retour s'opérait en 5 à 9 trimestres. Cette langueur dans la reprise est constatée dans tous les pays industrialisés. Elle provoque une dynamique réduite du marché du travail, limitant ainsi l'autonomie de la croissance des pays industrialisés.
Une concurrence exceptionnelle des pays émergents
La conjonction de ces deux phénomènes est une source de fragilité pour l'ensemble des pays industrialisés. la croissance de l'économie globale ne provient plus majoritairement de ces pays. Les émergents sont une concurrence exceptionnelle qui incite les entreprises à y investir. Potentiellement, les ressources qui étaient mises sur la reprise dans les pays développés sont aujourd'hui partagées avec les pays émergents.
Ce basculement est complexe à gérer. on observe des développements dans les pays émergents qui sont des incitations à y développer directement des ressources industrielles. Ainsi dans un grand nombre de pays européens, l'industrie est moins concentrée géographiquement qu'elle pouvait l'être par le passé. Les synergies sont moins importantes. Ce n'est pas le cas en chine où les concentrations géographiques d'usines accentuent la productivité. Cet avantage spécifique des pays nouvellement industrialisés est majeur et rend complexe la question de la réindustrialisation des pays européens et de la France en particulier. Ces regroupements géographiques d'entre- prises sont une nécessité pour avoir un développement industriel de grande ampleur. Comment faire en Europe pour retrouver un tel réseau rapidement ?
Les pays industrialisés à la recherche de source de croissance
La question des sources de la croissance doit immédiatement être posée au sein des pays industrialisés. Si l'activité se déplace en Asie et si la forme de la croissance facilite l'accélération de celle-ci alors les pays développés, notamment en Europe, doivent réfléchir sur leur processus de production.
Une première option est de se rendre plus dépendant des zones de croissance. Cela commence à s'observer en Allemagne où les exportations vers les pays émergents d'Asie sont plus élevées que vers les Etats-Unis. La dynamique de croissance devient alors très dépendante de la situation des émergents. En Allemagne cela permet de dégager une rente parce que le niveau des exportations est très élevé. En France, cette option n'est pas aussi robuste. Même si les exportations vers l'Asie en développement sont supérieures à celles allant vers les Etats-Unis, le niveau de ces exportations est encore modeste. En conséquence, l'impulsion du commerce asiatique qui joue à plein en Allemagne n'a pas cette vertu en France. Dès lors qu'elle doit être l'option retenue pour la France mais aussi pour de nombreux pays européens.
Par conséquent avant d'être une crise budgétaire, la crise est d'abord liée à l'absence de croissance. A très court terme, la réponse des Américains est de réduire les contraintes au maximum pour permettre à l'économie de développer des ressources susceptibles de favoriser la croissance. En Europe, la vertu budgétaire l'a emporté sur la croissance. On observe cependant qu'une fois les déficits réduits, la réponse apportée sur la croissance n'aura pas évolué. Cette situation est vraiment problématique car il faut réfléchir dès maintenant aux solutions à trouver pour faire face au changement radical de l'équilibre global et son déplacement vers l'Asie.