par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Après la chute de Lehman en septembre 2008 et la crise mondiale qui en a découlé, les politiques monétaires sont devenues extrêmement expansionnistes partout dans le monde, via la forte baisse des taux d’intérêt directeurs et souvent via de nombreuses autres mesures de politique monétaire non conventionnelles (se traduisant par une hausse des bilans des banques centrales), comme par exemple la politique quantitative menée par la Réserve Fédérale américaine. Avec la forte reprise dans un certain nombre de pays, pour la plupart émergents, et la résurgence du risque inflationniste, de nombreuses banques centrales ont commencé à normaliser leur politique monétaire en 2010 (Inde, Chine, Brésil,… mais aussi Australie (dès 2009), Canada, Nouvelle-Zélande,…).
Si la volonté de sortir des politiques extraordinaires (« exit strategies ») a souvent été mentionnée par les banques centrales européenne et américaine, le chemin vers la normalisation a été semé d’embûches en 2010. Aux Etats- Unis, le redémarrage de la croissance n’a pas été aussi fort qu’anticipé et surtout ne s’est pas accompagné d’une amélioration du marché du travail. Parallèlement, l’inflation sous-jacente a sensiblement baissé et a atteint des plus bas historiques en octobre 2010 (0,6%). Pour lutter contre le risque de déflation, la Fed a donc finalement amplifié les mesures de politique monétaire en 2010 avec la mise en place du QE2 (900Md$ d’achats de titres publics), permettant la monétisation du déficit public de façon à éviter une remontée des taux longs.
La BCE, quant à elle, confrontée à la crise des dettes souveraines, a été obligée de prolonger les mesures exceptionnelles d’allocation de la liquidité illimitée à 1%. Elle a également été contrainte à mettre en place le SMP pour acheter des titres de dettes de pays fragilisés par la crise. Précisons toutefois que ces achats, contrairement à la Fed, sont stérilisés par la BCE, donc n’impliquent pas de hausse de la base monétaire.
Avec la forte remontée des prix du pétrole et des matières premières depuis l’été 2010, qui s’est amplifiée en fin d’année dernière, l’inflation a sensiblement progressé. L’inflation européenne a atteint 2,2% en décembre (sous l’effet également de hausses de TVA dans différents pays en 2010) et l’inflation américaine s’est redressée à 1,5% (vs. 1,1% le mois précédent). Face à une inflation supérieure à l’objectif de la BCE, JC Trichet a, comme dans le passé, mis en garde contre les effets de second tour. Les marchés anticipent désormais que la BCE va resserrer sa politique monétaire dès cette année. Effectivement, le prix du pétrole (Brent) continuant de caracoler au-dessus de 95$ le baril, l’inflation européenne risque de rester supérieure à 2% pendant le premier semestre. Pour autant, comme nous le mentionnons dans l’édito du 14 janvier sur le risque inflationniste en zone euro1, les effets de second tour vont rester très limités voire inexistants. Comment, en effet, envisager une accélération des salaires dans une zone avec une croissance très faible (1,2% selon nous) et un taux de chômage de 10% ? Par ailleurs, l’intérêt d’une hausse de taux pour essayer de contrecarrer les effets d’un choc exogène est extrêmement limité, sauf à souhaiter un ralentissement de la demande domestique, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas aujourd’hui dans la zone euro et constitue une différence de taille avec 2008.
La situation américaine est différente car l’inflation pour le moment reste en deçà de 2%. Par ailleurs, contrairement à la BCE qui ne se concentre que sur l’inflation, la Fed a un double objectif de politique monétaire, la stabilité des prix mais aussi la maximisation de l’emploi. La Fed est donc beaucoup moins sous pression aujourd’hui. Pour autant, avec une croissance plus forte, les appels à l’arrêt du QE2 pourraient s’intensifier. Lors de son dernier FOMC (26 janvier), la Fed n’a guère modifié son discours et est restée prudente sur les perspectives économiques. Nous pensons que la Fed ira jusqu’au bout de son programme de QE2 en juin 2011 mais qu’elle aura du mal, dans un environnement économique plus favorable, à justifier la mise en place d’un QE3…
Au total, nous continuons de penser qu’il sera très difficile pour la BCE comme pour la Fed de sortir des politiques économiques expansionnistes dès cette année, ce qui devrait conduire selon nous à une correction des anticipations de hausse de taux par les marchés.