par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole
L’intensification de la crise financière va laisser des traces. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’on constate les dommages collatéraux sur la croissance. Nous avons en conséquence révisé notre scénario central et tablons désormais sur une croissance mondiale qui passerait sous sa moyenne de historique (de 3 %) pour s’établir en 2009 à 2,4 %. Le monde développé entre en récession et les pays émergents ralentissent de concert avec des risques de rupture pour les pays d’Europe centrale les plus expo- sés aux financements externes.
Aux Etats-Unis : quatre trimestres de baisse du PIB
La récession s’annonce profonde et longue. Le plan de sauvetage et de soutien au système bancaire va finir par porter ses fruits. Mais avant cela, la destruction de richesse (actions et immobilier) et une confiance durement entamée vont lourdement peser sur l’état de la demande privée, avec une contraction anticipée de la consommation. Le PIB reculerait de plus de 2 % au T4, le troisième trimestre et la première partie de l’année 2009 s’inscrivant aussi légèrement en repli.
Le chômage va monter (avec un pic à 7,3 % mi-2009) et les tensions inflationnistes vont rapidement refluer (l’inflation revenant vers les 2 % en milieu d’année prochaine). La réaction de politique économique devrait être à la hauteur des risques pesant sur la croissance : la Fed va ramener ses taux à 1 % d’ici à la fin de l’année et un plan de relance budgétaire pourrait être voté rapidement après les élections.
En zone euro : une récession moins profonde suivie d’une longue stagnation
Nous avons également révisé à la baisse la croissance en zone euro. L’ampleur du retournement devrait néanmoins être plus limité, la cure de désendettement devrait être à la mesure des excès commis et donc moins sévère en Europe. Les mesures de soutien au secteur bancaire vont également aider à amortir le choc financier. A contrario, les capacités de rebond étant réduites, la zone euro devrait ensuite connaître une année de quasi-stagnation (0,5 % en moyenne en 2009). Avec cette faible croissance et la remontée induite du taux de chômage, les risques inflationnistes vont s’évanouir et ce d’autant que les prix du pétrole vont poursuivre leur décrue. L’ensemble plaide en faveur d’une poursuite de la détente monétaire initiée le 8 octobre dernier avec la baisse concertée de 50 pdb. La BCE devrait normalement adopter une posture prudente, en suivant de près l’évolution de l’inflation, avec une cible de 3 % début 2009. Le risque reste qu’elle soit obligée d’en faire plus et plus vite.
Pétrole : les fondamentaux alimentent la baisse des prix
Les prix du pétrole ont fortement corrigé à la baisse depuis l’été (d’un pic de USD 145/bl pour le WTI en juillet, à moins de USD 70/bl aujourd’hui). La détérioration de l’environnement global de croissance, et la baisse de la demande de pétrole qui en découle, continuent d’alimenter la baisse des prix. L’OPEC (…) devrait s’entendre sur une baisse de la production de manière à stabiliser les prix dans une fourchette 80-100 USD/baril. Nous anticipons désormais une moyenne de 79 USD/bl pour l’année 2009 avec un risque baissier. En effet, si un prix autour de ces niveaux n’a pas pénalisé la demande en période de forte croissance, des prix plus bas pourraient devenir désirables, voire nécessaires, pour soutenir la demande globale en cas de récession profonde et prolongée.
Marchés obligataires : des forces contradictoires
Le ralentissement mondial et l’entrée en récession dans le monde développé sont plutôt favorables aux marchés obligataires, dans la mesure où les banques centrales sont censées accommoder leur politique à ce nouvel environnement de croissance faible, voire négative. Par ailleurs, avec la montée de l’aversion au risque en ces périodes de grande nervosité, les investisseurs privilégient les actifs sûrs, comme les obligations d’Etat. D’un autre côté, l’explosion de l’offre de titres publics pèse sur les fondamentaux et exerce des pressions haussières sur les taux longs. L’ensemble laisse penser que les marges à la baisse des rendements obligataires sont réduites, vu les niveaux historiquement bas atteints et que les taux longs devraient monter en tendance en 2009, selon un mode graduel (avec des cibles de 4,50 % de part et d’autre de l’Atlantique).
Marché des changes : le yo-yo du dollar
Si la crise a débuté aux Etats-Unis elle prend aujourd’hui une dimension mondiale, ce qui profite au dollar par défaut. Par ailleurs, dans un univers d’aversion au risque très élevée, le billet vert joue son rôle de monnaie refuge, tout comme le yen ou le franc suisse. La tendance à l’appréciation de ces monnaies devrait donc se poursuivre jusqu’en début d’année prochaine, avec pas mal de volatilité autour. Au-delà, les marchés vont à nouveau se tourner vers les fondamentaux. Nous sommes plus négatifs que le consensus sur les perspectives économiques aux Etats-Unis, avec une franche récession à la jonction 2008-2009. Certes, la croissance a également été revue à la baisse dans les autres régions mais dans une moindre amplitude. Cette prise de conscience d’une économie américaine plus durement touchée et une certaine normalisation de l’aversion au risque nous poussent à penser que le dollar pourrait renouer avec la baisse mi-2009 et terminer l’année autour des 1,40 contre euro.
Ces grandes lignes de scénario ne sont pas figées, vu le degré extrême d’incertitude auquel nous faisons face. Notre conviction est que le degré de contagion à l’économie réelle va étroitement dépendre de la durée et de l’ampleur des débouclages financiers à l’œuvre. La question de la confiance reste centrale et personne ne sait, vu d’aujourd’hui, quel élément catalyseur sera susceptible de la restaurer durablement.