par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Nous étions déjà très prudents sur les perspectives de croissance européenne avant l’été, mettant en avant le fait que le dynamisme du T1-2011 n’allait pas durer. La crise financière, qui a commencé cet été, nous a conduits à revoir sensiblement à la baisse nos prévisions pour fin 2011 et 2012. La croissance de la zone euro ne devrait pas dépasser 0,8% en moyenne en 2012 (vs 1,7% attendu au début de l’été) avec une croissance française de seulement 0,7% (vs 1,6% attendu fin juin).
Si cette révision est en partie liée à celle du commerce mondial avec en corollaire des perspectives un peu moins favorables pour l’Allemagne, la crise financière européenne en constitue le principal facteur. Ses effets sur la croissance passent par différents canaux :
- Le premier est celui de la confiance des agents économiques : la chute des marchés, les craintes sur la situation des banques, sur la pérennité de la zone euro et la montée des incertitudes provoquent un attentisme des ménages et des entreprises dans leurs décisions de consommation et d’investissement. On a vu une nette dégradation des sentiments économiques dans les pays de la zone euro depuis le début de l’été.
- L’intensification et l’extension de la consolidation fiscale à la plupart des pays européens impliquent que tant les ménages que les entreprises vont devoir contribuer plus aux efforts budgétaires dans les années à venir, ce qui signifie moins de pouvoir d’achat pour consommer ou investir.
- La baisse de la richesse financière peut également provoquer une certaine prudence dans les comportements de consommation mais l’effet richesse est faible dans la zone euro, contrairement à ce que l’on a pu observer aux Etats-Unis.
- Enfin, le principal canal de transmission est probablement celui du crédit. En effet, le resserrement des conditions d’accès au crédit, que l’on qualifie de « credit crunch » lorsqu’il devient très important, constitue le principal frein pour la croissance, car cela signifie que les ménages ne trouvent plus de financement pour investir dans l’immobilier provoquant ainsi un ralentissement brutal de l’activité dans le secteur de la construction et que les entreprises ne peuvent plus financer leurs investissements. Or rappelons qu’en Europe, contrairement aux Etats-Unis, le financement intermédié reste encore prépondérant.
Or que nous dit la dernière enquête de la Banque Centrale Européenne sur les conditions d’accès au crédit qui a été menée entre le 5 et le 27 septembre auprès des principaux établissements financiers de la zone euro ? Sans grande surprise, les banques ont significativement resserré leurs conditions d’octroi de crédit, le pourcentage de banques resserrant les conditions passant à 16% au T3-2011 (après 2% au T2) pour les prêts aux entreprises et à 18% (vs 9% au T2) pour les prêts immobiliers aux ménages. De plus les banques prévoient également la poursuite de ce resserrement au T4-2011 qui pourrait s’avérer beaucoup plus important que ce qui a été publié dans cette enquête avec une nette dégradation de la situation des banques au cours des dernières semaines.
Le « credit crunch » est donc en train de se matérialiser et va constituer un frein supplémentaire à la croissance de la zone euro, qui était déjà très fragilisée. Parmi les grands pays de la zone euro, la France et l’Italie sont probablement les deux pays qui ont le plus à perdre du rationnement du crédit car contrairement aux autres, leur taux d’autofinancement n’est pas très élevé (proche de 80%)1, ce qui implique que l’investissement des entreprises dépend des crédits bancaires. Par ailleurs, rappelons que la France a également été l’un des seuls pays européens à bénéficier d’une reprise du secteur de la construction ces deux dernières années avec en particulier les avantages fiscaux (Scellier, etc…). La crise financière va probablement mettre un terme à ce dynamisme dans les mois qui viennent.
Si la BCE a déjà pris conscience de ce risque et a annoncé lors de son dernier conseil un programme d’achats de covered bonds2 pour un montant de 40Md€, le salut de la zone euro ne passera que par la résolution politique de la crise de la dette souveraine permettant une restauration de la confiance et l’arrêt de la contagion de la crise.
NOTES
- Cf. SR n°2011-132 « Comment sauver la croissance de la zone euro ?»
- « Obligations sécurisées », émises par les banques ;