par Jean-Christophe Caffet, Jésus Castillo, Peter Kaidush, Christian Ott et Cédric Thellier, économistes chez Natixis
Les dix-sept Etats-membres de l’Union abordent l’exercice 2011 en ordre dispersé. Alors que certains d’entre eux ont traversé la crise sans (trop) souffrir et profitent à plein de la reprise actuelle et du dynamisme émergent, d’autres semblent résolument englués dans la récession tandis qu’ils doivent mettre en œuvre des plans de consolidation budgétaire sans précédent.
Malgré cette très forte hétérogénéité, nous tentons dans cette note d’isoler les points clefs de notre scénario macroéconomique agrégé pour l’ensemble de l’Union :
- Après la très bonne performance enregistrée l’an dernier, les exportations de l’Union devraient progressivement s’essouffler.
- Un ralentissement encore plus marqué des importations parait probable, en lien avec la fin du restockage des entreprises. Le commerce extérieur pourrait donc contribuer positivement à la croissance.
- La demande intérieure hors stocks devrait continuer de se redresser, grâce cette fois à sa composante investissement. La consommation des ménages continuerait pour sa part de progresser à un rythme inférieur à 1% par an.
- La hausse des prix des matières premières fait resurgir un risque inflationniste que la BCE ne manquera pas de souligner – à tort selon nous. Un changement de cap monétaire à notre horizon de prévision nous paraitrait toujours largement prématuré.
Les dix-sept1 Etats-membres de l’Union abordent l’exercice 2011 en ordre dispersé. Alors que certains d’entre eux ont traversé la crise sans (trop) souffrir et profitent à plein de la reprise actuelle et du dynamisme émergent, d’autres semblent résolument englués dans la récession tandis qu’ils doivent mettre en œuvre des plans de consolidation budgétaire sans précédent. L’année qui vient de s’achever a mis fin au mythe de la convergence2, consacrant le retour d’une hétérogénéité intra-zone que le recours massif au crédit, dans certains pays, et aujourd’hui épuisé, avait permis de masquer. Entre les pays du Nord et du Sud, la dispersion actuelle des taux de croissance et des taux de chômage3 atteint ainsi des niveaux inégalés, supérieurs à ceux observés lors de la création de l’Union.
Alors que la plupart des indicateurs avancés suggèrent que cette hétérogénéité est appelée à s’intensifier nous pensons que l’année qui vient de commencer verra au contraire une stabilisation, voire un léger recul (en trompe l’œil), de cette dispersion: un jeu d’effets de base – favorables pour les pays du Sud, défavorables pour les pays du Nord – devrait en effet permettre une forme de (re)convergence des rythmes d’activité.
Nous revenons dans ce qui suit sur les grandes lignes de notre scénario (agrégé) pour l’ensemble de l’Union.
Essoufflement du moteur extérieur
2010 restera comme une année faste pour le commerce mondial. Après un plongeon sans précédent consécutif à la crise de liquidités post-Lehman (-10,7% en 2009) et malgré les craintes, légitimes, que nous pouvions nourrir quant au retour d’une certaine dose de protectionnisme, les échanges de biens et services ont très fortement rebondi en 2010 (+12,2% selon nos dernières estimations), dépassant même en fin d’année leur niveau d’avant-crise (pic du T2 2008). L’essoufflement du cycle de restockage (via son impact sur le commerce de biens intermédiaires) et la mise en œuvre des plans de consolidation budgétaire (via son impact sur la demande finale) pèseront néanmoins nécessairement sur les échanges mondiaux.
Au niveau agrégé, les exportations de la zone euro devraient donc significativement ralentir (de +9,6% en 2010 à +4,1% en 2011), les effets selon les pays étant toutefois nettement différenciés, fonction de leurs taux d’ouverture respectifs et de la structure géographique de leur commerce extérieur4.
Facteur stabilisant, les importations devraient néanmoins évoluer en ligne avec les exportations. Le ralentissement serait même légèrement plus prononcé (+3,9% après +10,0% en 2010) en raison de l’affaiblissement concomitant de la demande intérieure (cycle des stocks, cf. infra). La contribution du commerce extérieur à la croissance redeviendrait ainsi légèrement positive cette année (+0,1 point de PIB).
Net ralentissement de la demande intérieure
La demande intérieure devrait nettement ralentir cette année, en raison notamment de la fin du cycle de restockage des entreprises Après avoir soutenu l’activité à hauteur de 1,3 point de PIB en 2010, les variations de stocks ne contribueraient plus que marginalement à la croissance en 2011 (+0,2 point de PIB), l’impact net (des importations associées) sur l’activité étant toutefois bien moindre qu’il n’y parait en raison du fort contenu en importations des variations de stocks observées l’an dernier.
Mieux, les autres déterminants de la demande intérieure (hors consommation publique) seraient plus favorablement orientés. C’est le cas notamment de la formation brute de capital fixe, qui se redresserait assez nettement (+1,7%) après trois ans de contraction (pour un recul cumulé de près de 15% en volume au T3 2010). Les performances individuelles des Etats membres seraient néanmoins très contrastées, entre les pays où les agents privés semblent avoir saturé leur contrainte d’endettement et où les capacités d’autofinancement des entreprises sont faibles5 (pays du Sud), et ceux où au contraire la profitabilité des firmes reste forte après la crise et le soutien du crédit toujours possible (pays du Nord).
Etant donné les surcapacités actuelles (les TUC se situant toujours un écart-type sous leur moyenne de long terme dans le secteur secondaire), le rebond de l’investissement productif, au niveau agrégé, devrait toutefois s’avérer limité. La quasi-totalité des enquêtes disponibles confirme à cet égard que les entreprises du secteur manufacturier privilégieront à moyen terme les investissements de productivité (modernisation, rationalisation des processus de production…) aux investissements de capacité.
Il en est de même pour l’investissement logement, où la reprise devrait être extrêmement modérée. Au niveau agrégé, l’évolution des permis de construire ne suggère pas en effet de rebond marqué de la construction de logements neufs, sauf en France où ils peinent à se traduire par de nouvelles mises en chantier6.
Enfin, la consommation privée devrait pour sa part progresser sur un rythme proche de celui enregistré l’an dernier (soit +0,9%, après +0,8% en 2010), sous l’effet notamment d’un regain de dépenses des ménages allemands qui viendrait compenser le ralentissement prévisible côté français. Au niveau agrégé, la consommation resterait pénalisée par la faible progression des revenus salariaux et l’entrée en vigueur de plans de consolidation budgétaire ciblant essentiellement les ménages7. Tirée par la hausse des prix des matières premières, l’inflation ôterait de son côté près de deux points de pouvoir d’achat au revenu disponible des ménages.
Statu quo monétaire
L’accélération de l’inflation observée depuis trois mois est essentiellement liée à la hausse des prix des matières premières. Si la BCE n’est probablement pas insensible à ce regain d’inflation importée (la hausse du refi de 25 pb en juillet 2008 constitue à cet égard un précédent), nous pensons toutefois que la situation actuelle devrait l’inciter à reconduire le statu quo. On voit mal en effet comment les membres du Conseil pourraient justifier un quelconque risque inflationniste dans l’état actuel du marché du travail européen (effets de second tour), tandis que les agents – au premier rang desquels les Etats – cherchent à se désendetter. Nous maintenons par conséquent notre scénario de taux inchangé à l’horizon de prévision.
NOTES
- L’Estonie a intégré l’Union économique et monétaire le 1er janvier
- Voir Flash n°2010-695 : « la fin du mythe de la convergence dans la zone euro »
- Sur ce sujet, voir Flash n°2011-24: « La faible mobilité du travail est plus que jamais un obstacle à la cohésion de la Zone Euro »
- Voir la publication Fiches Pays pour un aperçu des principaux partenaires/produits d’exportation par pays.
- Sur ce sujet, voir la Note Mensuelle Zone Euro de septembre 2010 : «La dynamique des taux d’autofinancement des entreprises européennes nous permet-elle de comprendre les évolutions actuelles ? »
- Sur ce sujet, voir la Note Mensuelle Zone Euro de novembre 2010 « Un point sur l’évolution du crédit immobilier dans les grands pays de la zone euro » 7 Pour une vue d’ensemble, voir Flash n°2011-19 : « Zone euro : budgets et programmes de financement 2011 »