Zone euro/Etats-Unis : un nouveau différentiel

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Les perspectives s’améliorent enfin pour la zone euro. Nos prévisions placent la croissance aux alentours de 2% pour 2015 et 2016.

Les soutiens sont nombreux et puissants: injections massives de liquidités, une monnaie dépréciée, des prix du pétrole bas, une politique européenne de soutien à l’investissement, et une interprétation moins stricte du Pacte de Stabilité et de Croissance.

Les Etats-Unis ne bénéficient plus d’une politique monétaire aussi accommodante alors que le dollar s’est fortement apprécié. De plus, les ménages semblent préférer l’épargne aux dépenses dans l’allocation des économies réalisées sur leur facture énergétique.

En résumé, le différentiel de croissance entre la zone euro et les Etats-Unis s’est probablement inversé temporairement en début d’année, en faveur de la première.

Des injections monétaires massives, une devise moins forte donc plus favorable aux exportations, une facture pétrolière réduite d’un tiers et qui permettrait d’économiser jusqu’à 100 milliards d’euros en 2015, une politique européenne qui encourage l’investissement (plan «Junker») et interprète moins au pied de la lettre le Pacte de Stabilité et de Croissance : rarement l’économie de la zone euro aura bénéficié d’autant de soutien. Après sept années de crise, dont plus de trois passées en récession, l’Union économique et monétaire (UEM) entrevoit enfin la reprise.

La zone euro remonte la pente

La Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) ont révisé en hausse leur prévision d’activité. Notre propre scénario retient une croissance proche de 2%, en 2015 comme en 2016. A ce rythme, le chômage recule, le crédit redémarre progressivement, une tendance confirmée par les enquêtes. En janvier, une majorité de banques de la zone euro indiquaient un renforcement de la demande de prêts en provenance du secteur privé, notamment des entreprises. C’est précisément ce que la BCE cherche à encourager via ses mesures «non conventionnelles» de politique monétaire, assouplissement quantitatif ou opérations de refinancement à long terme. Désormais assises sur la dynamique des crédits (et non plus les encours), également assorties d’un taux d’intérêt quasi nul, celles-ci enregistrent leurs premiers succès. En mars, la BCE a alloué pour près de 100 milliards d’euros de liquidités, parallèlement à son programme étendu de rachats d’actifs. Ce passage au très haut débit a des conséquences heureuses, pas seulement pour les marchés d’actions. Longtemps déprimé, le principal agrégat de monnaie M3 retrouve une orientation haussière. Au sud de l’UEM les taux d’intérêt débiteurs des banques commencent à baisser.

Pour qui veut bien admettre qu’avant d’être affaire de pétrole, l’inflation reste un phénomène monétaire, ces tendances sont encourageantes. Elles infirment la thèse déflationniste et soulignent le caractère transitoire de la baisse des prix. Rien ne permet notamment de conclure à la diffusion d’effets de « second tour » tendant à déprimer l’ensemble des salaires. Inscrits sur une pente faible mais ascendante, ces derniers marquent plutôt une forme d’inertie. A en juger par le fort rebond des ventes au détail en début d’année, les taux d’inflation négatifs se traduisent surtout par des gains de pouvoir d’achat et un surcroît de consommation.

Leur monnaie, leur problème ?

Le taux de change effectif de l’euro ayant chuté de 10%, l’UEM peut espérer des gains de parts de marché et un surcroît d’activité de l’ordre d’un demi-point de PIB en 2015. Les partenaires commerciaux, dont la monnaie s’apprécie, subissent toutefois l’effet inverse. C’est le cas des Etats-Unis, qui doivent désormais composer avec un dollar beaucoup plus cher. Leur économie est plus internationalisée que ne le suggère le faible poids des exportations dans le PIB (14%), les échanges intra-groupes y occupent une grande place. Dès lors que l’appréciation du billet vert entraîne celle des monnaies qui lui sont liées, c’est toute la base de production américaine qui peut se renchérir, quel que soit son lieu d’implantation. Le yuan chinois a, par exemple, gagné plus de 25% contre euro depuis un an, ce qui est considérable. La plupart des grandes sociétés indiquent déjà une pression sur leurs chiffres d’affaires et leurs marges, ce qui pourrait freiner l’investissement. Restent, face à cela, des prix du pétrole bas, des créations d’emplois nourries, une consommation robuste. L’effet de la hausse du dollar est donc atténué. Mais on aurait tort de le tenir pour négligeable. La Réserve fédérale, qui prépare le terrain à une hausse des taux d’intérêt, l’intègrera certainement dans son timing.

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