Contrefaçon de médicaments : le tabou ?

par Bleuzenn Monot, consultante chez Eurogroup et auteur du livre « La guerre de la contrefaçon »

La question de la contrefaçon de médicaments était restée jusqu’à récemment très confidentielle pour les firmes pharmaceutiques, par peur de remettre en cause leurs propres produits et d’entamer la confiance des patients. Elle est encore dans l’esprit du grand public cantonnée aux pays en voie de développement, notamment à l’Afrique et à l’Asie.

C’est en grande partie vrai en volume, mais on ne peut plus dire aujourd’hui qu’il y a une ligne Maginot de la contrefaçon de médicaments : tous les pays peuvent être touchés, à des degrés divers. Le directeur des Douanes françaises a annoncé une augmentation de plus de 20% des saisies des produits alimentaires et médicaments pour l’année 2008 sur le territoire français.

La notion de « contrefaçon de médicaments » était jusque là entendue de façon très extensive par les grandes firmes pharmaceutiques. Au sens strict, une contrefaçon de médicament s’entend comme un produit pharmaceutique produit en violation des brevets déposés sur la substance active, la formule etc. Or toutes les contrefaçons de médicaments ne tuent pas, loin s’en faut !

Schématiquement, on peut distinguer trois sortes de contrefaçons :

  • Les contrefaçons de brevets. Ce sont des produits fabriqués par des laboratoires, souvent de pays en voie de développement, dont la population n’a pas accès aux traitements produits par les grandes firmes. L’Inde et le Brésil se sont lancés dans ce type de production, en violation des droits de propriété intellectuelle et des accords internationaux. Néanmoins ces produits présentent quasiment tous un niveau de fiabilité acceptable et la présence de princeps actifs.
  • Les malfaçons : ce sont des médicaments fabriqués également en violation des droits de propriété intellectuelle, mais qui présentent un niveau de fiabilité et de sécurité faible ou inexistant : le principe actif est mal dosé, les excipients sont souillés, ou ne sont pas les bons. On les trouve dans des circuits qui ne garantissent pas leur fiabilité (vendus sur des marchés en vrac en plein soleil par des vendeurs sans formation etc.)
  • Les contrefaçons totales : elles ont pour objectif de tromper l’acheteur : elles ne contiennent aucun principe actif, on y trouve de la farine, de l’eau ou des substances toxiques. Les emballages sont destinés à tromper, imitant les vrais. Dans cette catégorie, on trouve les médicaments très demandés et connus du grand public, et des produits de médecine dite « de confort », comme des produits de blanchiment de la peau, des dopants pour sportifs, des vitamines, des coupe-faims et produits énergisants par exemple.

La plupart du temps, ce n’est pas le faux médicament qui tue, c’est l’absence de principes actifs, une posologie mal suivie, des produits en mauvais état de conservation ou périmés et plus globalement l’état sanitaire et social du pays. De ce point de vue, certains chiffres annoncés de morts causées par la faute de faux médicaments sont impossibles à établir avec rigueur.

Devant l’ampleur du phénomène, et surtout son extension aux pays développés, certaines « Big Pharma » ont changé de politique et sont sortis du silence. Ainsi, Pfizer, très touché par la contrefaçon sur des médicaments à succès, comme ceux qui soignent les dysfonctions érectiles, a sorti un clip tellement « trash », qu’il fait l’objet d’une procédure judiciaire (mais Pfizer a eu gain de cause et le clip a fait le tour de la planète).

En Europe, la communication autour du phénomène est encore bien timide. La sécurisation forte du circuit du médicament, mis à part peut-être au Royaume-Uni, qui autorise la vente libre de très nombreux traitements, met théoriquement les consommateurs à l’abri. En France, ce sont les grossistes répartiteurs qui sont en charge de l’approvisionnement des pharmacies. Ceux – ci font l’objet de nombreux contrôles. Seules les pharmacies sont autorisées à vendre des médicaments : la vente en supermarchés et sur Internet est interdite. Le large remboursement des médicaments n’incite également pas à acheter en dehors des circuits légaux. Bien sûr, nous ne sommes pas à l’abri d’un grossiste voulant ou croyant faire une bonne affaire qui s’approvisionnerait de manière douteuse. En France, des lentilles contrefaites et souillées, provoquant des conjonctivites ont été mises sur le marché. Certains produits sont plus volontiers contrefaits : ceux qui soignent les pathologies les plus répandues : sida, diabète, cholestérol, hypertension, ou encore ceux utilisés lors des grandes pandémies. Il est à craindre d’ailleurs une explosion de la contrefaçon des anti-grippaux type Tamiflu avec l’expansion de la grippe A. Des patients inquiets pourront chercher à s’en procurer préventivement à tout prix, y compris sur Internet ou dans des circuits non sécurisés. Néanmoins, l’exemple de Pfizer va probablement essaimer.

Dans certains pays en développement, c’est devenu un problème de santé publique. Au Nigeria, les autorités font des campagnes de prévention pour inciter les patients à se fournir dans les circuits contrôlés. Mais cela concerne aussi les pays développés qui ont un système de santé inégalitaire, comme aux Etats-Unis, où l’augmentation des contrefaçons est très importante. Cette montée inquiétant de la contrefaçon de médicaments signe la médicalisation croissante de la planète. L’exportation des modèles développés, caractérisés par un bon accès aux médicaments et une offre de produits très large, génèrent des comportements de consommation désordonnée de médicaments dans les pays en développement, comme un symbole d’accès à un certain niveau de vie. Est-ce vraiment la meilleure façon de copier les pays riches ?

NOTES

« La guerre de la contrefaçon » est paru en 2009 aux Editions Ellipses.