Krach Obligataire : Mythe ou Réalité ?

par Nicolas Forest, responsable de la Stratégie Taux, et Koen Van de Maele, CFA, responsable de la Gestion Obligataire chez Dexia Asset Management

Les marchés financiers sont en convalescence. La crise financière et économique a obligé les autorités monétaires et gouvernementales à recourir à un ensemble de mesures exceptionnelles tant par leur nature que par leur ampleur.

Emission massive de monnaie par les banques centrales, politique de taux zéro, rachats conséquents d’actifs risqués, déficits-records … le sauvetage de l’après-crise semble avoir un prix, mais qui le payera ? Le retour de l’inflation pourrait être un effet pervers des politiques accommodantes, renforçant de facto le risque du krach obligataire.

Et c’est ainsi que l’on fait de Trichet, Bernanke ou Obama des suspects idéals pour un crime qui n’a pas encore eu lieu. Alors toutes ces mesures de sauvetage vont-elles conduire les pays dans l’hyperinflation ? Les investisseurs obligataires doivent-ils s’inquiéter d’un possible krach obligataire ?

Le fantasme de la planche à billet

Pourquoi émettre de la monnaie ?

Les banques centrales ont émis massivement de la monnaie : c’est un fait. La Réserve Fédérale, par son programme de rachats d’actifs ou ses facilités de prêts aux banques, a crée près de 1 162 milliard de dollar de liquidités en une année, l’équivalent de 9% du PIB américain. Une telle création de monnaie a permis de re-normaliser les marchés monétaires, alors paralysés, tout en réamorçant la pompe du crédit. Et les faits donnent pour l’instant raison aux institutions monétaires qui ont ainsi évité les erreurs tragiques des années trente.

Mais quelles sont les conséquences d’une telle création monétaire ?

Aujourd’hui sur toute la liquidité émise, une grande partie n’a pas été absorbée, c’est à dire que cette monnaie constitue des réserves excédentaires stockées par les banques et sans aucune utilisation économique et financière. Ce gel des réserves excédentaires a ainsi cassé le multiplicateur de monnaie, évitant tout risque inflationniste.

Quel est alors le risque de la création monétaire ?

Le jour où l’activité économie repart, les banques pourraient tout à fait utiliser leur réserve excédentaire, pour offrir à leurs clients des nouveaux prêts. Dans un tel cas, les réserves excédentaires seraient multipliées dans l’économie réelle et pourraient créer une dangereuse inflation.

Alors que faire pour éviter cette transmission ?

La Réserve Fédérale utilise depuis 2008 une nouvelle palette d’outils monétaires, notamment la rémunération des réserves excédentaires. Par cette arme, elle peut décourager les banques à utiliser leur réserve excédentaire. En augmentant son taux, elle évite le risque de transmission dans l’économie réelle tout en laissant inchangé le montant de liquidité. En mettant en place ce nouvel outil (déjà utilisé par la Nouvelle Zélande depuis 2006), la banque centrale américaine démontre que dès 2008 elle s’est préoccupée de sa stratégie de sortie. Ne prenons pas les banquiers centraux pour des idiots ! Des erreurs sont possibles, mais jusqu’ici ils ont évité le pire et ont renforcé leur crédibilité.

Les vertus du déficit budgétaire

Pourquoi les gouvernements laissent-ils filer leur dette ?

Les gouvernements du monde entier ont tenté de faire face à la crise de manière coordonnée. Ainsi malgré des spécificités propres à chacun, ils ont tous, pour la plupart, mis en place des programmes de stimulation : soit via la consommation, soit par l’investissement. Ces programmes ont permis de compenser en partie la contraction économique. Dans le même temps, ils ont sauvé le système bancaire soit en rentrant dans le capital des banques, soit via des prêts. Tout cela a aujourd’hui un prix, c’est la dette. Et comme la croissance s’est contractée, la part de cette dette sur le PIB s’est d’autant plus élargie. 

Quelles sont les conséquences de cet endettement sur les taux d’intérêt ?

Il n’existe pas de relation évidente entre les taux d’intérêt et le niveau de la dette gouvernementale. Pour autant il est clair que les gouvernements vont devoir émettre des montants-records d’obligations, et que celles-ci doivent bien trouver preneurs. Ainsi il faut trouver une demande assez importante pour absorber ces montants gigantesques.

Mais y-a-t-il encore une demande pour les obligations d’Etat ?

Clairement oui. D’abord, nous l’avons vu, les banques centrales ont montré qu’elles étaient capables d’acheter massivement de la dette gouvernementale. Rien que l’annonce de cette nouvelle avait provoqué une chute des taux de 0.50% aux Etats-Unis ! Ensuite, il faut savoir que la dette américaine est par exemple détenue pour presque un tiers par des investisseurs étrangers, notamment les Chinois. La croissance formidable de tous les pays en développement permet de financer les déficits des pays à plus faible croissance. Enfin n’oublions pas l’épargne des ménages! Aujourd’hui en hausse, elle pourrait se reconstituer via ce type d’obligations. Quand l’inflation est négative, un taux gouvernemental de plus de 3% reste attractif ! 

Alors les déficits vont perdurer ?

Le retour à l’équilibre n’est pas pour tout de suite. Mais il doit être envisageable et prévu par les autorités concernées. Pour que toute cette nouvelle demande reste forte envers les obligations d’Etat, il faut garder une crédibilité. Ainsi, comme dans d’autres crises passées, une diminution de la dette sur PIB d’ici 5 ans permettrait d’ancrer la demande dans la durée. Les déficits ne doivent pas être éternels. 

Le mythe du krach obligataire

Quel est le risque de krach obligataire ?

Il est faible. Nous croyons que les banques centrales vont réguler les réserves excédentaires de monnaie et que les gouvernements feront tout pour satisfaire leurs nouveaux débiteurs. Si l’on écarte ces deux risques, il semble difficile d’envisager un rebond des taux, même dans le cas du rebond en V de la croissance. En effet, même si les économies sont en train de sortir techniquement de la récession, la croissance ne devrait pas être assez forte pour résorber le chômage. Avec un taux de sans-emplois de près de 10% aux Etats-Unis, peut-on vraiment parler de reprise ? L’inflation domestique reste orientée à la baisse et le risque d’un scénario en W est toujours là. La faiblesse de l’activité économique, combinée à une politique de taux bas, supporte encore les obligations d’Etat.

Y’a-t-il un risque dans le cas d’un rebond du prix du pétrole ?

C’est le risque principal sur l’inflation : une remontée du prix des matières premières en raison d’une trop forte liquidité dans les marchés. L’inflation totale rebondirait et pourrait entraîner dans un premier temps les taux à la hausse. Dans un second temps, cette hausse des matières premières conduira à un ralentissement de la croissance voire à sa contraction ; ce qui in fine amènera à une forte appréciation des obligations.

Quant aux obligations d’entreprise, le rebond entamé fin mars va t il perdurer ?

Les obligations d’entreprise ont offert une très belle performance ces 6 derniers mois, et cela ne devrait pas s’arrêter, même si le rythme devrait décélérer. Une amélioration progressive du profil fondamental des sociétés combinée à de solides facteurs techniques sont autant de soutien pour la classe d'actifs. La rémunération de presque 2% au dessus de la courbe gouvernementale reste attractive sur le long terme. Nos principaux axes s'articulent autour d'une poche de dettes financières et d'un renforcement sur les émetteurs les plus cycliques notés BBB affichant de bonnes perspectives.