La chance des Irlandais ou l’intérêt de créer sa propre chance

par Richard Pease, Gérant chez Henderson Global Investors

Les Irlandais ne peuvent que se demander où est passé le chaudron d’or au pied de l’arc-en-ciel, quand leur gouvernement est contraint de demander l’aide de l’Union Européenne et d’emprunter, selon les premières estimations, environ 80 milliards d’euros(1), soit quasiment la moitié du PIB du pays.

Cela donne à réfléchir ; alors que le Royaume-Uni n’a évité une telle ignominie que grâce à la taille relative de son économie et aux taux d’intérêts fixés par la Banque d’Angleterre, taux légèrement plus élevés en comparaison de ceux fixés par la Banque Centrale Européenne sur les dix dernières années, et qui ont permis aux prix des actifs de ne pas être aussi impactés par l’inflation qu’en Irlande. De plus, n’étant pas pieds et poings liés à l’Euro, le Royaume-Uni a pu, quand nécessaire, dévaluer sa devise afin de soutenir ses exportations.

Accuser l’Euro d’être à l’origine de tous les maux de l’Irlande semble injuste, une grande partie du problème restant le fruit d’un gouvernement plus cigale que fourmi, et refusant de soutenir les porteurs d’obligations de ses banques. Même si certains investisseurs n’ont pas subi de pertes, le contribuable irlandais, lui, reste bien avec la note à payer.

Il est pourtant facile d’oublier, qu’au milieu des disputes et des représailles, il y a des perdants mais aussi des gagnants. Dès que les inquiétudes reviennent sur la solidité économique des pays secondaires de la zone Euro, les PIGS – Portugal, Irlande, Grèce, Espagne – l’euro s’affaiblit, donnant un coup de fouet à la compétitivité de ses exportateurs. Les sociétés irlandaises et grecques, générant une grande partie de leurs bénéfices à l’étranger, ne s’émeuvent pas devant l’agitation nationale, bien au contraire un Euro plus faible les aidant en fait à améliorer le change de ces bénéfices. C’est notamment le cas de CRH, groupe de matériaux de construction irlandais, qui génère moins de 5%(2) de ses revenus en Irlande, la majorité provenant des Etats-Unis et des marchés émergeants. Il est en est de même pour le groupe d’embouteillage grec Hellenic Bottling, qui ne réalise que 7%(3) de ses ventes en Grèce, le reste provenant de divers pays comme l’Italie, la Russie et le Nigéria.

Bien qu’elle doive supporter une part importante du plan de sauvetage, l’Allemagne reste relativement discrète sur le sujet. Cette position n’est surement pas étrangère à celle de la Banque Centrale Européenne, qui pour fixer les taux d’intérêts, prend largement en compte les besoins du noyau dur de l’Union, la France, le Benelux et l’Allemagne. Ces pays ont d’ailleurs, dans l’ensemble, bien réussi à contenir les coûts liés à l’exercice de leurs activités et à faire face à la rude compétition sur les marchés étrangers. Alors que le taux de chômage en Irlande est passé de 4.3% à 13.6% au cours des cinq dernières années, en Allemagne, il a au contraire reculé de 11.0% à 7.0%(4), grâce à de nouveaux contrats d’exportation, ayant conduit à de nouvelles embauches et par la même occasion à une amélioration de la consommation allemande.

Cependant, la forte pondération de ces principaux pays dans le Henderson European Growth Fund et le Henderson European Special Situations Fund, est plus une conséquence de notre approche d’investissement bottom-up que d’une évaluation top-down de leur puissance économique intérieure. Nous avons en effet identifié de nombreuses sociétés aux Pays-Bas, en Suisse, en Allemagne et en France disposant d’une bonne gestion, de solides modèles d’entreprises et d’évaluations positives, qui, réunis, constituent une proposition d’investissement intéressante.

Nous mettons l’accent sur des sociétés aux business modèles solides sur le long-terme, nous exposant ainsi à des sociétés générant des bénéfices réguliers ou dominant des marchés de niche, comme Kone et Schindler, ascensoristes respectivement finlandais et suisse, qui tirent une grande partie de leurs revenus des contrats suivis de maintenance. Un autre exemple est celui de la société de services pétroliers norvégienne Prosafe, qui forte d’une expérience de plusieurs décennies, a su gagner la confiance de ses clients jusqu’à devenir leader sur le marché des plates-formes offshore semi-submersibles.

Les épreuves que traversent aujourd’hui l’Irlande sont en fait une illustration de ce qui arrive quand les prévisions à court-terme prennent l’ascendant sur celles à long-terme. Ces dix dernières années, l’Irlande a été submergée par un flot de capitaux qui aurait pu facilement être investi dans le développement de nouvelles industries mais qui, à la place, a été dilapidé dans une chimère immobilière. Les prestations sociales en Irlande ont augmenté rapidement – et sont désormais plus importantes que celles du Royaume-Uni – l’Etat ayant été prolixe avec l’argent des contribuables et les fonds versés par l’Union Européenne, affaiblissant d’avantage encore la compétitivité de la main-d’œuvre. Il est toujours plus facile de dépenser l’argent des autres.

C’est pour toutes ces raisons que nous préférons investir dans des sociétés détenues majoritairement par leur fondateur ou tombant dans le cadre d’une gestion pour compte propre. Lorsque les intérêts des propriétaires sont alignés sur ceux des actionnaires, les décisions sont prises sur le long-terme. Sika, groupe suisse de spécialités chimiques pour le BTP et l’industrie, comme les enduits d’étanchéité, les solutions étanches et les ciments. Le groupe est détenu majoritairement par la famille Burkard-Schenker.

Les propriétaires accordent plus d’importance à la valeur de la société sur le long-terme que sur ses résultats trimestriels, et sont par conséquent prêts à absorber une partie des coûts afin de maintenir une politique de prix au plus justes et de permettre à la société d’accroître ses parts de marché à l’étranger. Ce type de stratégie est envisageable car la société est bien capitalisée et réalise des profits, ce qui lui donne une flexibilité financière suffisante pour se développer organiquement et par acquisition.

Le temps qui passe est l’ami d’une société à la gestion saine, quand acquérir une entreprise à risque requiert seulement d’agir au bon moment. Pour la gestion de nos fonds européens, nous ne comptons donc pas sur la chance qu’offrirait le marché à un instant donné pour générer des profits, mais plutôt sur un investissement patient, mais selon une méthode éprouvée, dans des sociétés bien gérées et avec de solides modèles d’entreprises.

NOTES

  1.  FT.com, 22 novembre 2010.
  2.  CRH.
  3.  Bank of America Merrill Lynch.
  4.  Datastream, au 15 octobre 2010.