2017 : une année charnière dominée 
par la reflation mondiale et l’incertitude politique

par Didier Borowski, Karine Hervé, Mo Ji, Tristan Perrier, Akio Yoshino, Stratégie et Recherche économique chez Amundi

En 2016, et pour la 5e année consécutive, la croissance mondiale est restée proche de 3 %. Cette stabilité masque des cycles économiques très différents au sein des pays émergents comme au sein des pays avancés1. Nous prévoyons que la croissance mondiale restera proche de 3 % en 2017 et 2018, sans accélération notable, hormis dans quelques pays émergents qui sortent de récession et/ou rattrapent l’activité perdue lors de la chute des prix des matières premières (Brésil, Russie).

L’affaissement de la croissance mondiale s’explique par des facteurs tant structurels (ralentissement de la croissance potentielle mondiale, ralentissement du commerce mondial) que « conjoncturels » (la chute du prix des matières premières a fragilisé les pays producteurs, à commencer par les États-Unis). On observe toutefois des dynamiques très différentes selon les pays. Dans les pays avancés, les États-Unis, qui sont en « fin de cycle », auront très probablement besoin de mobiliser la politique budgétaire pour soutenir la croissance à l’horizon 2018. Au sein de la zone euro, la reprise cyclique est encore loin d’être achevée ne serait-ce qu’à en juger par le marché du travail : le taux de chômage baisse mais est encore très au-dessus de ses niveaux de 2008 dans de nombreux pays. Dans les pays émergents, la chute des matières premières depuis la mi 2014 a pesé sur les producteurs. Mais, tout comme dans les pays avancés, les cycles économiques se sont nettement décorellés les uns des autres (la demande domestique joue un rôle prépondérant).

Notre scénario 2017 s’articule autour de 5 idées clés :

  1. le cycle d’expansion se poursuit dans les principaux pays avancés mais à un rythme lent;
  2. la demande intérieure reste la pierre angulaire des économies (qu’elles soient avancées ou émergentes);
  3. les autorités chinoises parviennent à conduire en 2017 et 2018 un ralentissement ordonné de leur économie en dépit d’une vulnérabilité accrue (bulle immobilière, dette privée insoutenable à moyen terme) ;
  4. les prix des matières premières se stabilisent à un niveau légèrement supérieur à leur niveau actuel (55 $ en ce qui concerne le baril de Brent) ; (5) la remontée de l’inflation liée à l’effet de base est temporaire et les politiques monétaires demeurent ultra-accommodantes.

Les perspectives à l’horizon 2018 dépendront de la capacité des États à rééquilibrer leur policy mix en mobilisant davantage la politique budgétaire. Nous développons dans une première section quelques caractéristiques générales du cycle mondial avant de revenir, avec plus de granularité, sur les perspectives des grands pays.

1. Le commerce mondial n’est plus un moteur de croissance2 :

  • La chute des prix des matières premières de la mi-2014 à début 2016 explique en grande partie l’affaiblissement du commerce en 2016 (croissance nulle sur un an en juin). C’est en effet dans les pays émergents que la contraction a été la plus marquée. En 2017 et 2018, le
 commerce mondial de biens va rebondir, soutenu par la poursuite du cycle dans les pays avancés et la sortie de récession de quelques grands pays émergents. Cependant, il ne faut pas s’attendre à retrouver les rythmes d’expansion des années 2000.
  • Le ralentissement du commerce mondial est structurel: alors qu’il augmentait deux fois plus vite que le PIB mondial entre le début des années 1980 et la grande crise financière (7 % vs 3,5 %), son accroissement est moins rapide que celui du PIB depuis 2011 . Il s’agit d’une rupture de tendance majeure avec les 30 années qui ont précédé la grande récession de 2008-2009. La montée des pressions protectionnistes s’explique en partie par le rejet d’une mondialisation qui n’apporte plus les mêmes bénéfices que par le passé.

2. La croissance potentielle mondiale ralentit. Le ralentissement de la productivité, que l’on constate à l’échelle mondiale, explique en grande partie ce mouvement. Le vieillissement de la population a déjà des conséquences visibles avec un ralentissement (voire une baisse) de la population en âge de travailler dans plusieurs pays. Les origines de l’affaiblissement de la productivité font l’objet de débats (épuisement des gains liés aux innovations, poids croissant des services à faible valeur ajoutée dans les économies etc.). Si des problèmes de mesure sont parfois avancés comme explication, il est néanmoins frappant d’observer que ce ralentissement touche des pays dont les structures productives et les positionnements dans le cycle sont très différents, ce qui milite pour une explication d’origine structurelle davantage que pour un simple problème de mesure. L’affaiblissement de la croissance potentielle nominale a des conséquences majeures sur le niveau d’équilibre des taux d’intérêt et marquera les perspectives économiques de la décennie à venir4.

3. Le taux d’investissement productif stagne. Dans les pays avancés, le taux d’investissement en volume a cessé de progresser sans avoir retrouvé son niveau de 2008. Depuis quelques années, on observe qu’il stagne également dans les pays émergents, où l’investissement avait pourtant été plus dynamique que dans les pays avancés dans les premières années qui ont suivi la grande crise financière. En dépit de conditions monétaires et financières très accommodantes et d’une épargne abondante, les entreprises privilégient (c’est frappant aux États-Unis et dans la zone euro) les rachats d’actions et des opérations de croissance externe (fusions & acquisitions) à des opérations de croissance interne. La faiblesse des débouchés anticipés semble expliquer ce choix.

Cette évolution — qui se fait au détriment des investissements productifs – fait douter de l’efficacité de la politique monétaire. Les décisions des entreprises peuvent être justifiées sur le plan microéconomique mais produire des effets non désirables à l’échelle macroéconomique. Ainsi, moins il y aura d’investissement, moins il y aura de chances de voir des innovations stimuler la productivité. En d’autres termes, la faiblesse de l’investissement aujourd’hui hypothèque la croissance potentielle de demain et la politique monétaire est impuissante à endiguer ce phénomène.

4. Un rééquilibrage progressif de la politique économique vers la politique budgétaire. Face à l’impuissance de la politique monétaire à faire redémarrer l’investissement, les organisations internationales (FMI, OCDE) ainsi que les gouvernements du G20 font un même diagnostic: il est nécessaire de rééquilibrer le policy mix en mobilisant davantage le levier budgétaire et fiscal5. L’OCDE appelle ainsi à utiliser les marges de manœuvre libérées par la diminution des charges d’intérêt de la dette (induite par la baisse généralisée des taux d’intérêt). L’objectif est double: il s’agit non seulement de soutenir la demande globale (et donc de garantir
les débouchés futurs) mais aussi d’améliorer l’offre productive en mettant en
place des programmes d’infrastructure là où c’est nécessaire (aux États-Unis
et en Allemagne par exemple) et/ou en finançant la transition énergétique. Les programmes publics doivent être conçus pour entraîner des dépenses d’investissement privé dans leur sillage.

Si les gouvernements du G20 sont en ligne sur le principe de la mobilisation
du levier budgétaire, aucune initiative concertée n’est à l’étude. Aux États-Unis,
 les divisions entre le Congrès et la Maison Blanche rendent très incertaines
les mesures annoncées pendant la campagne électorale. Dans la zone euro,
les élections générales à venir en France et en Allemagne empêchent toute initiative d’envergure l’an prochain. Il faudra donc attendre au mieux 2018 pour voir la politique budgétaire affecter l’activité économique mondiale.

5. Une reflation généralisée. Mais l’inflation reste sous contrôle. La remontée de prix des matières premières va se traduire par une remontée des taux d’inflation (exprimés en glissement annuel), avec un pic au début de 2017: il s’agit d’un simple effet de base lié à la remontée des prix du pétrole observée depuis le creux de février 2016. Cet effet de base s’essoufflera dans le courant de 2017 avec la stabilisation du prix du pétrole que nous anticipons. On observe de façon concomitante un mouvement de reflation dans certains pays (Chine) en ligne avec la disparition progressive des excès de capacité dans certains secteurs. Par ailleurs, dans d’autres pays qui s’approchent du plein-emploi, l’inflation sous-jacente pourrait se redresser significativement (États-Unis, Allemagne) mais à partir de niveaux très faibles.

La remontée de l’inflation est perçue comme souhaitable après des années d’inflation excessivement faible, très en deçà des cibles des banques centrales. La relation entre croissance, chômage et inflation est profondément altérée : les pressions haussières sur les salaires demeurent contenues même dans les pays où le chômage est faible (États-Unis, Allemagne). L’inflation tendancielle semble s’être considérablement affaiblie.

6. Des cycles économiques de plus en plus domestiques et donc de plus en plus autonomes. On observe depuis 2011 une corrélation négative entre le commerce des pays émergents et celui des pays avancés, ce qui n’était pas advenu au cours des 30 dernières années. Cette évolution, qui est à mettre en relation avec le ralentissement du commerce mondial, signifie en creux que la composante domestique du cycle économique domine. Le « découplage » entre pays, qui est déjà à l’œuvre depuis plusieurs années6, concerne en réalité chacun des blocs :

  • Au sein des pays avancés, les États-Unis sont en fin de cycle mais ce n’est pas le cas des pays de la zone euro. En Europe, la croissance au Royaume-Uni va fortement ralentir tandis que le cycle va se poursuivre chez ses voisins de la zone euro (à des rythmes néanmoins très différents).
  • Au sein des pays émergents, la croissance reste solide en Inde tandis
qu’elle ralentit en Chine. Le Brésil, la Russie et l’Afrique du Sud ont des spécificités qui l’emportent de loin sur le fait qu’il s’agit de producteurs de matières premières. Les perspectives au Brésil demeurent moroses tandis que la Russie bénéficie de la remontée des cours du pétrole.

En définitive, les cycles économiques sont devenus plus autonomes avec une montée en puissance des déterminants domestiques. C’est une bonne nouvelle pour la stabilité de l’économie mondiale, même s’il faut naturellement ne pas oublier qu’une détérioration de la conjoncture dans certains grands pays (États-Unis et Chine notamment) est encore susceptible d’affecter l’ensemble des perspectives mondiales.

NOTES

  1. La distinction entre économies avancées et économies émergentes reste d’usage, même si la frontière entre les deux blocs est de plus en plus floue. La fragmentation au sein de chacun de ces deux espaces impose un examen granulaire pour établir des perspectives. La distinction entre pays « avancés » et « émergents » demeure cependant pertinente quand il s’agit d’étudier ou de rendre compte, dans ses grandes lignes, de la croissance mondiale (conjoncture, croissance potentielle, commerce mondial).
  2. Le commerce mondial a nettement ralenti au cours des dernières années, avec une croissance quasi nulle au 1er semestre 2016. 

  3. On ne considère pas les évolutions sur la période 2008 à mi-2011 qui sont biaisées par l’effondrement de la croissance et l’effet de rattrapage qui s’en est suivi. Depuis la mi 2011, un nouveau cycle semble à l’œuvre.
  4. Avec pour conséquence majeure de voir les taux d’intérêt d’équilibre rester très bas. 

  5. Partout où cela est possible sans détériorer la soutenabilité de la dette à moyen terme, 
étant entendu que la détérioration des finances publiques (ratios déficits/ PIB et dette/ PIB) est inévitable à court terme. D’où l’importance de réaliser en même temps des réformes structurelles.
  6. Le découplage observé à l’échelle mondiale entre les enquêtes (indices PMI) réalisées dans le secteur manufacturier et celles réalisées dans le secteur des services confirme le diagnostic de « découplage » : l’industrie (secteur le plus exposé au commerce mondial) ralentit mais pas, ou peu, celui des services, par nature plus dépendant de la demande domestique, et plus particulièrement de celle des ménages.