par Laetitia Baldeschi, Responsable des études et de la stratégie chez CPR AM
L’année 2018 a été particulièrement difficile pour les actifs émergents, notamment pour les actions émergentes. En effet, la forte accélération de la croissance américaine en début d’année, bénéficiant de la réforme fiscale a permis la normalisation graduelle de la politique monétaire de la Fed. Le dollar s’est apprécié, les taux longs américains ont nettement progressé (atteignant 3,23% pour le 10 ans) et le baril de pétrole a dérivé lentement à la hausse jusqu’à l’automne.
2018 a également été marquée par la montée en puissance de tensions commerciales initiées par le Président Trump et un ralentissement de la croissance chinoise plus important que celui envisagé en début d’année. Cette configuration globale a été tout particulièrement défavorable au monde émergent, traditionnellement sensible aux conditions financières, aux échanges commerciaux internationaux et à la demande chinoise.
Toutefois, à l’inverse de ce que l’on avait pu observer lors des derniers coups de semonce, notamment en mai 2013 avec le « Taper Tantrum » de Bernanke, la plupart des pays présentent des situations macroéconomiques bien moins déséquilibrées d’une part et, d’autre part, des banques centrales plutôt réactives, avec un vrai engagement pour le respect des objectifs d’inflation. Bien entendu, quelques exceptions sont à relever au premier rang desquelles l’Argentine et la Turquie, avec dans les deux cas des banques centrales en « retard » sur la hausse de l’inflation, particulièrement forte dans ces deux pays. A l’aube de 2019, le resserrement monétaire est resté globalement mesuré, à l’exception peut-être du Mexique, qui, avec un taux directeur à 8,25% retrouve les plus hauts de fin 2008, alors que l’inflation a commencé à refluer.
Ainsi un bilan 2018 difficile sur le plan des marchés financiers émergents certes, mais rassurant sur le plan de la gouvernance économique dans ces pays. 2019 commence, et tous les espoirs sont encore permis !
Un environnement global plus favorable en 2019
Les facteurs à l’origine de la désaffection des pays émergents en 2018 devraient peu à peu s’estomper, voire s’inverser au cours de l’année 2019. En effet, les taux longs américains ont d’ores et déjà bien reflué depuis leur pic, notamment avec l’effondrement des anticipations en matière de fed funds pour l’année. La perspective d’une pause de la Fed constitue une forme de plafond pour ces taux longs. De même, le dollar qui s’était apprécié une bonne partie de l’année 2018 pourrait commencer à s’effriter dans les prochaines semaines (cf. Décryptage CPRAM – Quelle direction pour le dollar en 2019 ? décembre 2018).
Le taux de change reste certes toujours une variable difficile à prévoir, mais les arguments traditionnels mis en avant pour expliquer les variations du dollar vont tous dans la même direction. Ainsi, le pétrole, après un point bas fin décembre, pourrait progresser à nouveau, c’est en tous les cas la volonté clairement exprimée des Saoudiens, qui ont besoin pour boucler leur budget d’un baril de pétrole aux alentours de 80$. La pause anticipée de la Fed, alors que la BCE envisage toujours un premier mouvement de taux d’ici la fin de l’année, serait là aussi favorable à une baisse du dollar. Bien entendu, le différentiel de balance courante concourt toujours à l’affaiblissement du dollar.
Par ailleurs, les dernières nouvelles des négociations commerciales semblent plaider pour un apaisement des tensions d’ici le 2ème trimestre 2019, même si les problèmes plus structurels faisant référence au modèle même de développement chinois et aux questions relevant de la propriété intellectuelle resteront d’actualité. Dernier point primordial à nos yeux, la croissance chinoise continuera certes de ralentir, mais le plan de relance multiforme mis en place par les autorités pour stopper la dégradation de la conjoncture, devrait commencer à porter ses fruits au 2ème trimestre 2019. Dans cet environnement qui s’éclaircit peu à peu, les investisseurs pourraient de nouveau s’intéresser au monde émergent, qui dans sa grande globalité propose des fondamentaux macroéconomiques confortables, des marges de manoeuvre en termes de politique économique, notamment budgétaire pour certains d’entre eux, ce qui permettrait de soutenir la demande intérieure si besoin était.
La croissance chinoise restera un élément central de ce scénario favorable aux émergents
La croissance a ralenti tout au long de l’année 2018 et les derniers indicateurs d’activité sont des plus mitigés, avec notamment un très net affaiblissement du secteur manufacturier en fin d’année.
La politique de désendettement des entreprises et des collectivités locales s’est répercutée sur l’activité réelle via la baisse de l’investissement tout au long de l’année. Les autorités ont réagi assez rapidement, dès l’été, en assouplissant les contraintes monétaires, en relâchant certaines contraintes réglementaires, et pour finir en relançant une politique budgétaire expansionniste. La plupart des mesures budgétaires n’entreront en vigueur qu’en début d’année 2019 ; leur impact n’est donc pas encore visible sur la demande intérieure. D’autres mesures, comme la possibilité d’émissions obligataires supplémentaires pour financer des projets d’investissement, notamment en infrastructures, nécessiteront l’aval de l’Assemblée populaire qui se réunit en mars prochain. Il sera donc possible de mesurer l’impact de cette relance à compter du 2ème trimestre 2019 sur les statistiques chinoises, passée la période toujours compliquée du Nouvel an. La reprise des négociations commerciales avec les Etats-Unis, après une période de tensions assez fortes, est un facteur positif. De plus, les concessions d’ores et déjà annoncées par le gouvernement chinois en matière d’élargissement de quotas d’investissement étrangers, de hausses d’importations agricoles ou d’énergie en provenance des Etats-Unis apparaissent comme des gages nous semble-t-il de la bonne volonté chinoise en la matière, répondant à l’urgence de rétablir la confiance en Chine avant tout ! L’évolution du yuan sur l’année 2018 souligne le rôle central de la gestion de la parité contre dollar dans la politique extérieure chinoise, renforçant les doutes sur la place laissée aux forces du marché dans l’évolution du renminbi.
N’oublions pas que le pouvoir de Xi Jinping est sorti renforcé du XIXe congrès du Parti communiste et de l’Assemblée nationale populaire en mars 2018, avec l’abolition de la limitation à deux mandats présidentiels ; cela se traduit par un contrôle accru du parti sur l’économie. L’année 2019, est aussi celle du 70ème anniversaire de la création de la République Populaire de Chine. Les autorités auront à coeur de ne pas compromettre celui-ci par un accident majeur en matière de croissance. Elles feront donc ce qu’il faut pour maintenir la croissance au-dessus de 6%.
Quelques cas particuliers sont à surveiller dans le monde émergent
Difficile de ne pas parler du Brésil en ce début d’année. La victoire du candidat nationaliste aux élections présidentielles vient mettre fin à une longue période de flou à la tête du pays, après les déboires des candidats du parti des travailleurs. Les investisseurs l’ont d’ailleurs salué sur les marchés. Pour autant, beaucoup de problèmes de fond vont perdurer au Brésil. Tout d’abord, il faut rappeler que M. Bolsonaro ne dispose pas, loin s’en faut, d’une majorité dans les deux chambres. Il va donc être contraint dans son action. D’autre part, toute la campagne électorale s’est faite sur la thématique sécuritaire ; M. Bolsonaro est loin de disposer d’un mandat électoral clair pour réformer le pays, notamment pour la fameuse réforme des retraites ! Il est donc à craindre un certain désenchantement après l’euphorie de la victoire ! Il bénéficiera tout de même d’une conjoncture intérieure un peu meilleure, avec une banque centrale qui a relativement bien géré son objectif d’inflation. Si notre scénario central se réalise, la demande chinoise devrait retrouver quelques couleurs et apporter un peu de croissance au Brésil.
L’autre grand pays d’Amérique latine, le Mexique fait également face à un changement majeur à la tête du pays. Mais cette fois-ci, le nouveau Président López Obrador dispose d’une majorité dans les deux chambres ce qui lui laissera une grande latitude d’action. Pour autant, les premières annonces ne sont pas forcément rassurantes et pourraient conduire à la remise en cause des reformes réalisées ces dernières années.
En Asie, l’Inde reviendra sur le devant de la scène émergente en 2019 avec des élections générales au printemps. Si la victoire du parti de M. Modi ne faisait pas de doute jusqu’il y a peu, la perte de 3 Etats lors des dernières élections locales a ravivé les inquiétudes, avec la possibilité d’une opposition qui arriverait à se structurer. L’autre inquiétude pour les marchés repose sur la remise en cause évidente par M. Modi de l’indépendance de la Banque centrale qui avait assez bien géré toute la période récente. Il faudra être vigilant sur ce point et suivre de près les premières décisions du nouveau gouverneur nommé par M. Modi.
Plus généralement, l’Asie restera très sensible à la problématique des tensions commerciales, compte tenu d’une ouverture commerciale forte et d’une forte intégration dans les processus de production. En particulier, l’ajustement violent dans le secteur technologique des puces électroniques à l’oeuvre depuis quelques mois aura des répercussions pour les économies les plus ouvertes (Taiwan, Corée…).
Plus près de l’Europe, il faudra rester vigilant sur les perspectives de croissance des pays d’Europe de l’Est, largement dépendants de la dynamique industrielle de la zone euro et de l’Allemagne en particulier. L’importance du secteur automobile en Slovaquie, Hongrie ou République tchèque aura nécessairement des conséquences macroéconomiques sur ces pays, compte tenu des ajustements majeurs que l’automobile va connaître dans les prochains mois. Nous resterons à l’écart de la Turquie, de l’Afrique du Sud, de la Russie, pays encore très instables, dont les déséquilibres macroéconomiques et les situations politiques nous paraissent autant de raisons d’être très prudents.
En conclusion, il nous semble que les pays émergents sont une classe d’actifs présentant un intérêt en ce début d’année, après avoir été plus que délaissée en 2018 sans pour autant qu’il y ait eu une forte dégradation des fondamentaux. Les valorisations des marchés actions sont inférieures à leur moyenne historique (ratio Cours/Bénéfices à 10 au lieu de 12, versus 15 sur les pays avancés). La croissance attendue des bénéfices en 2019 reste confortable à 8%. En termes géographiques, nous privilégions plutôt l’Asie devant l’Amérique latine, avec un biais positif sur la Chine, avant de revenir progressivement sur la Corée et Taiwan. En Amérique latine, le Chili devrait bénéficier du regain d’investissements en infrastructures en Chine. Le Mexique pourrait également présenter des opportunités d’investissement.