par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
La BCE a étendu son dispositif d’offre illimitée de liquidité jusqu’à la fin du premier trimestre 2011, mais contrairement aux spéculations de marché, elle ne s’est engagée sur aucune cible en termes de rachats de dette d’Etat. Dans les faits, cependant, la BCE semble être intervenue massivement sur le marché obligataire périphérique depuis jeudi, ce qui a permis de stabiliser les spreads et l’euro. Une stratégie payante à ce stade, mais non dénuée de risques.
Toujours aussi flexible sur la liquidité
Le bon sens est-il la chose du monde la mieux partagée au sein du Conseil des Gouverneurs de la BCE ? La conclusion qui s’impose au terme d’une des réunions de politique monétaire les plus attendues depuis longtemps, c’est que la stratégie globale de la BCE reste largement inchangée malgré les fortes tensions sur les marchés financiers. Dans les faits, cette stratégie consiste essentiellement à gagner du temps, en intervenant sur les marchés de la périphérie afin d’éviter une crise de liquidité, dans l’espoir d’un retour à des conditions de fonctionnement normales.
Certes, le processus de sortie des mesures non-standards de soutien à la liquidité est une nouvelle fois repoussé, mais le coût d’une telle annonce (en termes de crédibilité) est finalement assez faible relativement aux bénéfices engrangés (en termes de stabilité du secteur bancaire). L’offre de liquidité illimitée aux banques a été étendue « aussi longtemps que nécessaire » pour les appels d’offres à une semaine et à un mois, et « au moins jusqu’au […] 12 avril 2011 ». Les trois appels d’offres à trois mois programmés au premier trimestre 2011 seront eux aussi illimités (contrairement à ce qui semblait se profiler avant la crise irlandaise et les phénomènes de contagion observés depuis un mois), mais leur taux d’intérêt sera fixé « à la moyenne des taux des appels d’offres à une semaine sur la durée de vie de ces opérations », soit exactement le même procédé que celui utilisé lors de la (ré)introduction des opérations à trois, six ou douze mois dans le passé. Si cette astuce technique permet à la BCE de ne pas s’engager sur une possible hausse (ou baisse) des taux sur les six prochains mois, un tel événement reste à ce stade largement hypothétique.
Cette décision de décaler la normalisation des opérations de refinancement ne devrait pas avoir un impact majeur sur les taux interbancaires à court terme, puisque c’est toujours la demande de liquidité exprimée par les banques qui continue de déterminer le niveau de liquidité excédentaire, et donc des taux. Les taux Eonia et Euribor peuvent se stabiliser, voire baisser légèrement à court terme, mais tout dépendra du comportement des banques les plus dépendantes à la BCE, et à leur capacité à trouver des sources de financement alternatives. La BCE ne peut pas régler seule ce problème des banques « accros », et c’est la raison pour laquelle elle appelle les gouvernements à apporter des solutions en termes de recapitalisation comme en Irlande.
Par ailleurs, cette décision ne s’est pas faite à l’unanimité, mais par consensus, ce qui suggère des voix dissidentes parmi les « faucons » du Conseil. On peut donc imaginer que ces derniers vont de nouveau pousser à la normalisation des conditions d’octroi de liquidité en 2011 si les conditions de marché le permettent. Pour cela, il faudra notamment que le fonds contingent de recapitalisation bancaire mis en place en Irlande permette de soulager les tensions sur le refinancement, le pays captant à lui seul 25% de la liquidité offerte par la BCE.
Encore de la marge sur les rachats de dette
Un petit commentaire de JC. Trichet en milieu de semaine, lors de son discours devant le parlement européen (« Nous verrons ce que nous déciderons sur le programme de rachat de titres ») avait suffi à doper les marchés, avec l’espoir d’une annonce autour d’un programme massif comparable au Quantitative Easing de la Fed ou de la BoE. Pour preuve du décalage entre les spéculations de marché et la réalité (celle du mandat de la BCE, qui interdit explicitement la monétisation des déficits publics), des chiffres de l’ordre de 1 ou 2 trillions d’euros avaient même commencé à circuler avant la réunion. En retour, ces espoirs démesurés avaient créé un potentiel de déception important.
Sans surprise (à nos yeux), la BCE s’est contentée de répéter que le programme SMP (Securities Market Programme) mis en place lors de la crise grecque en mai restait opérationnel, sans s’engager explicitement sur une cible en termes de montants, de spreads de taux ou de calendrier. En pratique, cependant, l’ordre semble avoir été donné par le Conseil des Gouverneurs d’intervenir massivement sur les marchés obligataires périphériques, notamment irlandais et portugais, pendant la conférence de presse de la BCE. Le recoupement de plusieurs sources (opérateurs de marché, média) confirme cette hypothèse, même si aucun chiffre officiel ne sera connu avant la semaine prochaine : les montants totaux de rachats sont publiés le mardi pour la semaine précédente, sans décomposition géographique.
En pratique, la simple constatation de la présence de la BCE sur le marché et du resserrement des spreads souverains a suffi à faire rebondir l’appétit pour le risque au niveau global. L’euro a d’abord perdu du terrain jusqu’à 1,30 contre le dollar, avant de rebondir au-dessus des 1,32 en fin de séance. Les indices actions ont également fini en hausse sur la semaine.
Il est probable qu’on ait la confirmation d’une augmentation considérable des rachats de titres par la BCE dans les prochaines semaines. A terme, un ordre de grandeur de 15 Mds d’euros ou plus n’aurait rien de choquant si les tensions perduraient, et pourrait facilement être justifié par le Conseil sur la base de l’illiquidité des marchés fragilisant en retour les canaux de transmission de la politique monétaire. C’était la justification du programme lors de sa mise en œuvre initiale, et les montants rachetés avaient alors atteint 16 Mds la première semaine, et 10 Mds en moyenne le premier mois. Par la suite, ces montants ont baissé à des niveaux négligeables, avant d’être augmentés à 1 Md environ depuis trois semaines.
Enfin, l’incertitude sur les montants effectivement rachetés par la BCE, ainsi que sur son calendrier, fait de nouveau peser une forme « d’ambiguïté constructive », comme en mai dernier, dans l’espoir que les conditions de marché reviennent à la normale. Cette approche est également justifiée par l’amélioration en cours des fondamentaux macro-économiques, fiscaux et bancaires dans l’immense majorité des pays de la zone euro, y compris en Espagne depuis quelques mois, où l’on observe notamment une baisse de la dépendance des banques au refinancement Banque centrale. La BCE a également accueilli favorablement le plan pluriannuel de consolidation fiscale du gouvernement irlandais. D’une façon générale, son président continue de marteler le même message : les gouvernements doivent poursuivre leurs efforts et en contrepartie, la solidarité financière entre Etats est garantie jusqu’en 2013.
Reste à savoir si la BCE peut maintenir un rythme d’intervention soutenu pendant une période prolongée en stérilisant leur impact sur les agrégats de liquidité, et sans exposer son bilan à un risque de crédit. Ce risque est théorique, et la BCE ne peut pas faire « défaut » puisque ses statuts prévoient que les Banques centrales nationales augmentent leur participation au capital de l’Eurosystème si besoin, afin d’absorber les pertes potentielles (un scénario peu probable selon nous, mais qui ne peut plus être définitivement exclu en cas de restructuration d’une dette souveraine après 2013). Le capital et les réserves de la BCE s’élèvent aujourd’hui à 78 Mds d’euros, un montant que le SMP a toutes les chances de dépasser début 2011. Cela n’aurait pas pour effet méca- nique de nécessiter une recapitalisation de la BCE, mais le sujet pourrait tout de même refaire surface l’année prochaine en cas de doute persistant sur la solvabilité de certains Etats-membres.
Enfin, concernant la stérilisation des montants de titres rachetés sous le SMP, il convient de rappeler qu’une opération de ce type avait échoué en juin dernier (des dépôts à terme sous forme d’enchères compétitives auprès des banques leur offrant un rendement inférieur à 1% pour retirer la liquidité injectée par les rachats), lorsque l’excès de liquidité global avait amorcé une décrue. D’autres «accidents» de ce type ne peuvent être exclus à l’avenir et quoi qu’il arrive, l’absorption de montants plus importants par la BCE devrait se faire à des taux plus élevés.
Stratégie globale et prévisions inchangés
La réunion de politique monétaire de décembre était aussi l’occasion de publier les projections macroéconomiques mises à jour du staff de la BCE. Ces dernières ont été globalement révisées à la hausse pour la croissance comme pour l’inflation, et les prévisions pour 2012, publiées pour la première fois lors de cet exercice, suggèrent un scénario central inchangé de poursuite de la reprise malgré le processus de consolidation budgétaire. La croissance est attendue à 1,7% en moyenne, et l’inflation à 1,5% en 2012 (inférieure à la cible de la BCE, mais compatible avec une remontée progressive de l’inflation sous-jacente).
En l’absence de tensions sur les marchés financiers, de telles prévisions constitueraient un signal clair de hausse marquée des taux directeurs l’année prochaine. Une règle de Taylor basique suggère ainsi des taux d’intérêt proches de 3% fin 2011 dans un tel scénario. En pratique, cependant, il sera aisé de justifier un statu quo prolongé en 2011 sur la base des fortes hétérogénéités entre pays (nominales et réelles) et des risques baissiers que les mesures d’austérité budgétaire font peser sur l’activité d’un certain nombre de pays. Le communiqué de la BCE confirme cette analyse, et les risques sur la stabilité des prix sont désormais jugés «équilibrés» (contre légèrement haussiers le mois dernier). Une façon parmi d’autres de préparer le terrain pour une politique monétaire qui devrait rester largement accommodante en 2011. Notre scénario central table toujours sur une première hausse de taux directeurs au T1 2012.
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