par Maarten-Jan Bakkum, Stratégiste Senior Marchés Emergents chez ING IM
En 2010, la patience a été récompensée. Entre octobre 2009 et mai 2010, les actions des marchés émergents n’ont pas fait mieux que les actions des pays développés malgré la détérioration du profil de risque aux États-Unis et en Europe et la solide croissance du monde émergent. Ce n’est qu’à la fin mai que les actions émergentes ont renoué avec leur tendance de surperformance à long terme vis-à-vis des marchés développés. Depuis lors, les actions émergentes ont rapporté 12 points de pourcentage de plus que les actions des pays développés.
Les faiblesses et les maigres perspectives de croissance des marchés développés, la politique monétaire extrêmement stimulante des États-Unis et les forces endogènes du monde émergent ont créé un environnement favorable aux actions des marchés émergents. Aussi longtemps que les profils de risque et de croissance relatifs des pays développés et de l’univers émergent demeurent inchangés (comme le reflètent les rendements obligataires et les prévisions des économistes), il n’y a pas de raison convaincante justifiant une interruption de la tendance de surperformance à long terme des marchés émergents. Au contraire, nous distinguons six bonnes raisons de tabler sur une poursuite de la surperformance des marchés émergents :
1. Facteurs cycliques favorables
Au cours de ces dernières semaines, les données économiques américaines ont dépassé les attentes. Dans le même temps, les statistiques ont bien résisté en Europe et en Asie. Sachant que les indicateurs avancés mondiaux ont atteint leur sommet en janvier de cette année et que le cycle baissier dure en moyenne quatorze mois, nous prévoyons le creux cyclique vers mars 2011. En raison de la politique monétaire agressive des États-Unis et de la récente vague de surprises positives en matière de chiffres économiques, le creux des indicateurs avancés pourrait intervenir un peu plus tôt dans le cycle actuel. Nous ne pensons en tout cas pas être loin de la réalité en affirmant que les marchés devraient commencer à anticiper le cycle cyclique à un moment donné au cours des prochains mois.
L’un des indicateurs les plus avancés et les plus fiables, l’indice des attentes pour les exportations coréennes, affiche déjà des signes prudents de redressement. On sait que les marchés peuvent se montrer volatils lorsqu’ils approchent du creux cyclique. En 2005, les indicateurs avancés ont atteint leur creux en mai et, entre mars et mai, les actions des marchés émergents sont subi une correction de 10%. En 2008, les indicateurs avancés ont touché leur plancher en décembre et, entre octobre et décembre, les actions émergentes ont d’abord grimpé de 30%, puis ont chuté de 20%. Ces exemples nous incitent à ne pas encore jouer la carte cyclique. Nous préférons attendre jusqu’en janvier ou février.
2010 a été une année difficile et nerveuse pour les actions des marchés émergents, en raison surtout de facteurs cycliques défavorables. Pour 2011, et en particulier le premier semestre, nous nous attendons à ce que des éléments cycliques favorables aident les marchés à mieux maintenir le cap. L’Asie, qui est la zone la plus sensible à un redressement du commerce mondial, devrait constituer la force motrice.
2. Le risque inflationniste chinois est gérable
La récente vague d’aversion au risque, qui a fait plonger les actions des marchés émergents de près de 6% au cours de ces dernières semaines, est essentiellement imputable à la situation irlandaise et aux craintes relatives à l’avenir de la zone euro. La nervosité a encore été accrue par le chiffre décevant de l’inflation chinoise, qui a été suivi par un relèvement des taux et deux relèvements du ratio des réserves obligatoires. Même si la tendance de l’inflation chinoise est actuellement défavorable, nous pensons que les craintes de resserrement sont quelque peu excessives.
En octobre, l’inflation générale a atteint 4,4%, contre 3,6% le mois précédent. La variation en glissement mensuel est de 1,0%, ce qui a ravivé les craintes relatives aux perspectives de l’inflation à court terme. Etant donné que le niveau général des prix a augmenté en raison de la hausse des prix alimentaires et que le taux d’inflation sous-jacent (en glissement annuel) est resté modéré à 1% seulement, nous ne devons pas (encore) tirer de conclusions dramatiques à propos de l’inflation chinoise, d’autant plus que la hausse des prix alimentaires est due à l’augmentation des prix des légumes, lesquels sont influencés par des facteurs locaux d’offre et de demande qui peuvent changer rapidement.
En supposant que l’inflation des prix alimentaires se maintiendra au niveau élevé d’octobre pendant deux mois de plus, que les prix alimentaires diminueront légèrement avant les vacances de la nouvelle année chinoise (comme ils le font normalement) et que le taux d’inflation global mensuel sera égal à deux fois la moyenne des cinq dernières années (en raison d’une forte croissance de la masse monétaire), nous obtenons un taux d’inflation moyen de 4,5% pour 2011. Ceci constitue, à nos yeux, une prévision prudente, avec un risque limité de surprises négatives. Dans ce scénario, l’inflation des prix à la consommation devrait culminer durant l’été entre 5,5% et 6%.
Les autorités chinoises doivent utiliser des projections similaires, lesquelles sont trop élevées pour rassurer. Ceci explique pourquoi elles ont relevé les taux d’intérêt et le ratio des réserves obligatoires des banques. La plupart des économistes s’attendent à de nouveaux relèvements des taux au cours des prochains trimestres. Nous tablons, quant à nous, sur un ou deux relèvements supplémentaires de 25 points de base. Toutefois, une large part des nouvelles négatives est désormais incorporée dans les cours. Le marché des actions chinoises a été léthargique pendant la majeure partie de 2010 en raison des craintes de resserrement. Par ailleurs, lors des cycles précédents, le marché a bien performé en période de hausse des taux d’intérêt car une hausse des taux témoigne généralement d’une amélioration du contexte de croissance.
Nous prévoyons par conséquent de nouveaux relèvements des taux et, peut-être, de nouveaux renforcements du ratio des réserves obligatoires. Plus importantes encore sont nos prévisions pour le quota de prêts en 2011, qui sera annoncé durant la première moitié de décembre. En Chine, la politique monétaire est, en effet, principalement gérée au moyen d’objectifs quantitatifs, via des quotas pour les banques publiques. Les attentes des marchés à propos du quota de l’année prochaine se sont substantiellement repliées au cours de ces derniers mois en raison des craintes inflationnistes. Nous tablons sur un montant de nouveaux crédits compris entre CNY 6 billions et CNY 7 billions, ce qui correspond à une croissance des crédits de 12% à 15% en glissement annuel. Selon nous, il est improbable qu’un montant inférieur à CNY 6 billions soit annoncé eu égard aux perspectives mitigées pour la croissance de la demande d’importations aux États-Unis et en Europe. Les autorités chinoises ne peuvent plus compter sur leur secteur exportateur dans la même mesure qu’avant 2008.
Nous pensons qu’au cours de ces derniers mois, les attentes des marchés en matière de resserrement en Chine se sont détériorées de façon excessive. L’inflation a augmenté davantage que ce que les autorités peuvent tolérer, mais cela ne signifie pas que la banque centrale donnera un coup de frein brutal. Dans le contexte mondial actuel, nous ne pensons pas que les autorités chinoises prendront le risque de provoquer un net repli de la croissance de la demande domestique. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la croissance de la masse monétaire et du crédit chinois s’est déjà normalisée depuis l’assouplissement exceptionnel de la politique en 2008 et 2009.
Si les investisseurs devaient commencer à prendre conscience que les perspectives en qui concerne la politique économique chinoise ne sont pas aussi négatives que ce qu’ils pensent aujourd’hui, le marché des actions chinoises pourrait bénéficier d’une nette amélioration du sentiment. Les investisseurs locaux sont, en effet, largement influencés par les attentes relatives à la direction de la politique économique. Une reprise du marché local des actions A devrait aussi soutenir le marché des actions H, les actions chinoises cotées à Hong Kong. Un marché chinois plus performant serait, à son tour, positif pour l’ensemble des marchés émergents, car il refléterait de meilleures perspectives pour la Chine, le moteur de la croissance de l’univers émergent
3. Flux de capitaux vers les marchés émergents soutenus par un élargissement du différentiel de taux
Aussi longtemps que les attentes relatives à la politique monétaire des États-Unis, de l’Europe et du Japon ne changent pas substantiellement et que les taux d’intérêt du monde émergent continuent à augmenter, il est difficile d’imaginer un ralentissement marqué des flux de capitaux des pays développés vers les marchés émergents. Dans notre scénario central, les taux américains et japonais resteront nuls pendant plusieurs années, tandis que la zone euro ne procédera qu’à un seul relèvement des taux de 25 pb en 2011 (portant le taux refi à 1,25%). Au sein de l’univers émergent, plusieurs pays ont déjà commencé à relever les taux. Nous nous attendons à ce que cette tendance se poursuive en 2011, étant donné que l’inflation augmente graduellement. Nous prévoyons un taux d’inflation moyen de 5,5% et un taux de base moyen de 6%. Les taux d’intérêt réels du monde émergent devraient, pour leur part, rester stables à 0,5% seulement. Les craintes des autorités d’une appréciation excessive des devises devraient, en effet, empêcher les taux réels d’augmenter.
Sur la base de nos projections, le différentiel de taux entre les marchés émergents et développés devrait largement s’élargir. Ceci devrait entraîner des mouvements de capitaux vers les marchés émergents liés à des opérations de portage, mais aussi contribuer à des flux d’investissements guidés par la croissance supérieure et le profil de risque plus attrayant des marchés émergents.
4. Des perspectives de croissance nettement meilleures
La croissance économique du monde émergent devrait continuer à excéder celle des pays développés de cinq points de pourcentage. Pour 2011, nous prévoyons des taux de croissance de respectivement 6,5% et 1,5%. En raison d’importants déséquilibres budgétaires, d’un large endettement et de systèmes bancaires vulnérables, les obstacles à la croissance devraient demeurer plus grands aux États-Unis et en Europe que dans les pays émergents. Seules quelques petites économies émergentes – dont la Hongrie et le Vietnam sont probablement les meilleurs exemples – affichent d’importants déséquilibres économiques ou un système financier défaillant, qui pèsent sur le potentiel de croissance.
Un peu partout dans les pays émergents, d’ambitieux programmes de construction d’infrastructures et de logements maintiennent la croissance des investissements à un niveau élevé. Grâce à la faiblesse des taux d’intérêt réels, aux comptes budgétaires sains, à la faible pénétration financière et aux solides flux de capitaux étrangers, il est relativement facile de trouver les capitaux nécessaires. Entre-temps, la croissance de la consommation est aiguillonnée par un taux d’emploi élevé, une solide croissance salariale et des crédits à la consommation abordables. Il s’agit d’un phénomène que l’on observe dans la plupart des économies émergentes. La croissance de la demande domestique est globalement vigoureuse, ce qui a rendu les pays moins dépendants du commerce mondial.
Au cours de ces derniers mois, on a assisté à une amélioration des attentes de croissance dans le monde développé, essentiellement aux États-Unis grâce à une série de statistiques positives. Les rendements obligataires américains ont augmenté en conséquence, le taux à 10 ans ayant gagné près de 50 pb. Dans le même temps, les attentes de croissance pour l’univers émergent n’ont guère évolué. Elles se sont plutôt légèrement détériorées en raison des craintes de resserrement de la politique chinoise. Nous ne pensons pas que la Chine, ou une autre économie émergente, recourra à un resserrement monétaire agressif. Il n’est dès lors pas nécessaire, à nos yeux, de rabaisser nos prévisions de croissance économique pour 2011.
Avant d’affirmer que la dynamique de croissance relative entre les marchés développés et émergents s’est modifiée, avec des implications potentielles pour la tendance de surperformance des marchés émergents, nous avons besoin d’observer des signes de vie plus convaincants de la part de l’économie américaine, ainsi que l’émergence d’un sérieux problème inflationniste dans plusieurs grands pays émergents.
5. Les marchés émergents sont une bonne option en période de faiblesse du dollar
La politique économique agressive des États-Unis (injections de liquidités via un assouplissement quantitatif et déséquilibre budgétaire élevé persistant) devrait entraîner en fin de compte une dépréciation du billet vert. C’est essentiellement en raison des turbulences dans la zone euro que le taux de change pondéré par le commerce du dollar ne s’est pas déprécié cette année. En dehors de l’euro, la plupart des devises, y compris la plupart des devises émergentes, se sont appréciées vis-à-vis du dollar en 2010.
Eu égard au meilleur profil de risque et de croissance des économies émergentes par rapport aux États-Unis et à l’élargissement du différentiel de taux entre ces deux zones, le dollar devrait continuer à se déprécier vis-à-vis des devises émergentes. Il s’agit de l’une de nos convictions profondes pour les prochaines années. Une fois que le dollar commencera à se déprécier également par rapport à l’euro (tôt au tard, les marchés devront reconnaître que la zone euro n’est pas un projet d’une décennie), davantage de capitaux devraient fuir les actifs américains. Dans ce scénario, les flux en direction des économies émergentes devraient s’accélérer.
La croissance de la demande domestique des marchés émergents devrait bénéficier d’une impulsion supplémentaire grâce à la multiplication des flux de capitaux et à l’appréciation continue des devises locales. Dans ce contexte, il est fort probable que les actions des marchés émergents voient leurs cours progresser. Pour la première fois depuis 1994-1995 (et octobre 2007, lorsque les actions émergentes se sont négociées à des cours supérieurs à ceux des actions développées pendant un mois seulement), les actions émergentes afficheront une prime. Nous sommes d’avis que les perspectives de croissance supérieures, la croissance élevée et durable de la demande domestique et le profil de risque plus favorable justifient une prime de valorisation des actions des pays émergents.
6. Base de valorisation favorable
Aujourd’hui, les marchés émergents se négocient avec un rapport cours/bénéfices (12 prochains mois) de 11, contre 12 pour les marchés développés. Compte tenu de cette différence de valorisation, nous ne sommes pas d’accord avec les investisseurs affirmant qu’une bulle spéculative est en train de se développer ou s’est déjà développée sur le marché des actions émergentes. De même, nous ne distinguons pas de bulle dans une perspective historique : la moyenne à 10 ans s’élève à 11 et la moyenne à 20 ans est de 13.
Les faibles rendements obligataires mondiaux, résultant de la faible croissance et de la politique monétaire souple, n’ont pas encore conduit à une hausse des valorisations. Normalement, on peut s’attendre à ce que des taux obligataires plus modestes réduisent le taux d’escompte et augmentent les rapports cours/bénéfices d’équilibre calculés par les analystes. Tôt ou tard, le marché des actions devra néanmoins commencer à refléter le contexte de faibles taux obligataires par le biais d’une hausse des valorisations.
Conclusion (et septième raison pour une surperformance des marchés émergents)
Ces dernières semaines ont été difficiles pour les actions mondiales, y compris les actions des marchés émergents. Les turbulences qui ont agité les marchés obligataires européens ont entraîné une nouvelle vague d’aversion au risque. En l’espace de deux semaines, les actions émergentes ont, par conséquent, affiché une performance inférieure de 3 points de pourcentage à celle des actions développées.
Dans ce document, nous avons énuméré six bonnes raisons pour que les actions émergents performent bien en 2011. Une septième raison pourrait provenir d’un redressement de l’appétit du risque lorsque les craintes relatives à l’avenir de la zone euro s’atténueront.