Politiques non conventionnelles : le long chemin

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

La Réserve Fédérale américaine et la Banque Centrale Européenne communiquent depuis longtemps sur leur capacité à sortir des politiques non conventionnelles (« exit strategies »), politiques qu’elles ont mises en place pour contrer les effets adverses de la crise financière de 2008 et de la crise des dettes souveraines de 2010 (concernant la BCE) : politiques de taux très bas, achats de MBS, de titres d’agences et de titres du Trésor aux Etats-Unis, achats de covered bonds et de titres de dettes publiques périphériques (SMP) pour la BCE.

 Il est intéressant de noter la différence de perception des deux banques centrales sur ces politiques, la Fed considérant les achats de titres comme un prolongement de la politique de taux classique (le but étant de garder des conditions monétaires les plus accommodantes) alors que la BCE distingue bien la politique de taux de la politique non conventionnelle, cette dernière étant motivée par les craintes sur les états et les banques européennes.

Si nous ne doutons pas de leur capacité à réduire la taille de leurs bilans (surtout pour la Fed) ou à augmenter leurs taux directeurs assez rapidement, le contexte économique et les potentielles conséquences de ces actions pour les marchés nous rendent sceptiques sur la possibilité effective de le faire.

Pour la Fed, avant même de penser à la sortie, la question centrale porte sur la gestion de l’après QE2. Après avoir monétisé 900Md$ de dette publique fin 2010/ mi-2011 (à comparer à un déficit de 1500Md$ en 2011), le risque de l’arrêt des achats par la Fed est une forte remontée des taux longs, la demande de titres diminuant alors que l’offre reste très élevée, ce qui rendrait les conditions monétaires bien moins accommodantes, suggérant l’existence d’un cercle vicieux de la monétisation de la dette publique1.

Malgré ce risque important, la Fed pourra difficilement légitimer une troisième vague de politique quantitative (QE3) dans un contexte d’amélioration de la croissance. Rappelons en effet que le QE2 avait été vivement critiqué à son lancement en novembre aussi bien à l’étranger qu’au niveau national. Même au sein du FOMC, le QE2 ne fait pas l’unanimité : si les nouveaux votants ont été « team players » au premier conseil de l’année (26 janvier dernier) avec aucune dissidence, Fisher de la banque de Dallas (le membre le plus hawk) s’est déjà exprimé en faveur de la fin du QE2.

D’autres membres pourraient le suivre dans cette voie (Plosser de Philadelphie en particulier). Il est donc probable que la Fed commence à communiquer sur le fait qu’elle n’ira pas plus loin après juin tout en gardant un biais accommodant, de façon à préparer les marchés et à éviter une trop forte remontée des taux longs. Si ces derniers devraient rester sur une tendance haussière en 2011, son ampleur pourrait être limitée : les marchés ont vraisemblablement déjà intégré cette idée, la remontée des taux longs depuis début décembre 2010 (environ 70pb) reflétant les annonces budgétaires et en corollaire les anticipations d’amélioration de la croissance mais également l’affaiblissement de la probabilité d’un QE3 ; par ailleurs, la hausse pourrait être contenue par la déception sur les perspectives de croissance, si comme nous le croyons, cette dernière s’avère moins soutenue qu’anticipée en deuxième partie d’année.

Du côté de la BCE, les risques sur les dettes souveraines et en corollaire sur les banques européennes laissent penser qu’il n’y aura pas de sortie précoce de la politique non conventionnelle. Outre le fait que nous ne croyons pas à une hausse rapide du taux refi2, nous pensons que la BCE sera contrainte de prolonger à nouveau les mesures exceptionnelles d’allocation illimitée de la liquidité à taux fixe (surtout MRO) pour éviter tout problème de financement du secteur bancaire. Dans ce contexte, la liquidité bancaire risque de rester abondante. Concernant le SMP, la BCE souhaiterait limiter les interventions futures, en laissant l’EFSF prendre le relais dans le soutien aux dettes publiques périphériques mais il est loin d’être sûr que cela soit suffisant à moyen terme.

Si la situation de la BCE semble apparemment moins problématique que celle de la Fed concernant la gestion des politiques non conventionnelles (en raison de sa moindre implication), les déséquilibres à gérer et les risques portant sur l’économie et la finance sont de grande ampleur des deux côtés de l’Atlantique : aux Etats-Unis, la seule solution serait l’engagement de réduire rapidement le déficit public ce qui éviterait une trop forte remontée des taux longs ; en Europe, la mutualisation des risques semble constituer la porte de sortie la moins couteuse pour tout le monde…Dans les deux cas, le chemin est encore long.

NOTES

  1. Cf. Flash n°2011- 106 « Le cercle vicieux de la mo nétisation des dettes publiques »
  2. Cf. Eco Hebdo Edito du 27/01/11 « Vers un tournant des politiques monétaires américaine et européenne ? » 11 février 2011 n°06

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