Taux monétaires, vers la hausse ?

par Philippe d’Arvisenet, chef économiste de BNP Paribas

L’inflation de la zone euro a connu une accélération sensible ces derniers mois pour atteindre 2,4% en janvier (1,9% en novembre). Elle était tombée à 0,9% il n’y a guère plus d’un an. La BCE anticipe désormais le maintien de la hausse des prix à un rythme légèrement supérieur à 2% tout au long de l’année.

En dépit du discours relativement musclé de la BCE, nous n’envisageons pas de hausse du taux refi avant la mi-2011, sauf à imaginer un décrochage des anticipations d’inflation dont aucun signe n’est aujourd’hui observable. Les facteurs d’accélération sont clairement exogènes (alimentation et énergie), comme le souligne le dernier bulletin mensuel de la BCE, l’inflation sous- jacente reste bien maîtrisée. Elle devrait rester inférieure à 1,5% dans les prochains mois.

La situation actuelle est, de fait, très différente de celle que l’on pouvait observer en juillet 2008 lorsque la BCE avait décidé de relever son taux phare de 25 points de base. Le taux d’utilisation des capacités de production, tombé à un niveau de 12 points inférieur à sa moyenne historique au creux de la récession de 2009, est encore inférieur d’environ 2 points à cette moyenne, alors qu’elle la dépassait de 2 points en 2008. Le taux de chômage s’élève à 10% contre 7,5% en 2008. Il pèse sur la formation des salaires. Même en Allemagne, avec un taux de chômage de 7,5%, les négociations amorcées sur des demandes de l’ordre de 6 à 7% aboutissent à des hausses d’environ 3% et portent généralement sur des périodes de plus d’un an. La faiblesse du pouvoir de négociation des salariés conduit la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation à ponctionner le pouvoir d’achat plutôt que de déboucher sur un ajustement des rémunérations. Les coûts unitaires du travail, élément essentiel de la formation des prix domestiques, ne progressent pas, alors qu’ils augmentaient au rythme de 4,5% mi-2008. Il faut ajouter à cela que l’atonie de la demande interne n’est pas pour faciliter la répercussion des hausses de coûts ainsi que le confirme la comparaison de l’évolution des indicateurs PMI pour les prix à la production et pour les prix de vente qui ont affiché une tendance à se déconnecter.

Autrement dit, il est difficile d’envisager le jeu d’effets de second tour très significatifs. Le crédit au secteur privé ne reprend que très progressivement (1,8% en glissement annuel), en dépit de l’absence de nouveaux resserrements des conditions de distribution des nouveaux prêts (enquête trimestrielle de la BCE), alors qu’il augmentait d’environ 10% de 2006 jusqu’au printemps 2008. Enfin, la croissance de la masse monétaire M3 reste des plus modérées (1,6% pour la moyenne mobile sur 3 mois du glissement annuel, à comparer à une référence à moyen terme de 4,5%). En conséquence, la mesure de l’excès de liquidité, calculé sur la base des écarts cumulés entre la progression réelle de la masse monétaire et sa progression théorique (référence adoptée par la BCE), s’est inscrite sur une pente nettement baissière (20% mi- 2008, 13% actuellement)

Le contraste entre la politique prudente de la BCE et celle de la FED, engagée dans une monétisation massive du déficit budgétaire américain, débouche sur un euro surévalué en dépit d’une crise de la dette qui traîne en longueur. C’est en soi un facteur de restriction des conditions monétaires.

Les rendements à 10 ans (Bund) ont pu être influencés depuis un an par les arbitrages intra-zone euro au détriment des titres des pays périphériques. Ils sont avant tout très fortement corrélés aux rendements longs américains. Une consolidation budgétaire reportée de deux ans par le récent accord passé entre l’administration Obama et le Congrès, une absence de clarté sur l’avenir des finances publiques américaines à long terme, des craintes inflationnistes consécutives à la mise en œuvre du QE2 et à ses conséquences sur le prix des matières premières et la prise en compte d’une amélioration des perspectives conjoncturelles ont conduit à un redressement des taux longs dans les derniers mois. Pour autant, le niveau du rendement des T-Notes reste contenu, à 3,65% pour le 10 ans, ceux-ci restent légèrement inférieurs à ceux observés l’an dernier à pareille époque.

C’est largement la conséquence de la monétisation du déficit budgétaire américain, à la fois le fait de la FED (l’encours de Treasuries qu’elle détient a augmenté de USD 350 milliards depuis le milieu de 2010, la tendance devrait se poursuivre au moins jusqu’au milieu de 2011) et celui des non-résidents, notamment les banques centrales étrangères (l’encours de Treasuries détenu par le « reste du monde » a augmenté de USD 563 milliards entre octobre 2009 et octobre 2010). La tendance, là encore, est solide, car nourrie à la fois par l’accumulation de réserves de pays émergents soucieux d’éviter la hausse de leur devise et parfois aussi par des accès d’aversion au risque. Au total le potentiel de hausse paraît limité tant du côté américain que du côté européen.

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